La découverte du corps sans vie d’un jeune motocycliste de Malemba Nkulu (Haut-Lomami) dimanche 12 novembre 2023, a failli mettre le feu aux poudres dans l’ex-Grand Katanga, une région minière connue pour ses affrontements interethniques à la limite du pogrom depuis les années de l’indépendance. A Malemba-centre, des jeunes se sont aussitôt lancés à la chasse aux ressortissants kasaïens, accusés du meurtre et du vol de la moto de l’infortuné. Le 14 novembre, les violences de Malemba Nkulu avaient atteint le paroxysme, au vu des images d’horreur devenues virales sur les réseaux sociaux : habitations incendiées, des kasaïens lynchés à mort, voire brûlés vifs, une jeune dame violentée en public alors qu’elle quémandait la grâce des bourreaux etc.
Selon des sources dans la société civile, 11 personnes auraient été tuées à Malemba-Centre, toutes d’origine kasaïenne. Les milices dites Macchabé, Gédéon, Mvwende, Bakanda-Bakonda auraient été à la manoeuvre à cette fin, poussés par des acteurs politiques de la région connus pour leurs velléités d’épurations ethniques, dénonçait-on. Selon des chiffres officiels rendus publics mercredi 15 novembre, seulement 4 personnes avaient été tuées.
Peter Kazadi Kankonde, le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité a instruit la gouverneure de province d’initier une mission d’investigation pour «établir les responsabilités» et le cas échéant, faire traduire les coupables des violences déplorées devant la justice. Dans une note officielle, il indiquait qu’«il faut procéder à l’arrestation ou encore à l’interpellation immédiate des auteurs de ces actes ignobles et élargir les enquêtes en vue de connaître les mobiles cachés de tels actes». 24 heures plus tôt, le 14 novembre, le président de la République, Félix Tshisekedi, avait ordonné des mesures «avec une extrême urgence pour rétablir la paix à Malemba-Nkulu».
Vives réactions
Les violences meurtrières à caractère ethnique de Malemba-Centre ont, ainsi qu’on pouvait s’y attendre, suscité de vives réactions aussi bien dans la société civile que parmi les acteurs politiques. A l’instar de cette sortie médiatique de Mgr Fulgence Muteba, l’archevêque métropolitain de Lubumbashi, réputé pourtant pour ses velléités séparatistes. Réagissant aux horreurs de Malemba-Nkulu, le 16 novembre à Lubumbashi, le prélat a en effet déclaré que «le vivre ensemble et la paix doivent caractériser tout le monde. Il est inadmissible que la vie humaine soit banalisée de la sorte» avant d’appeler «tout le monde à revenir à la raison pour que la paix règne partout».
Dans la classe politique, la réaction empreinte d’émotion d’Adam Bombole Intole, candidat président de la République en 2006, n’est pas passé inaperçue. «A force de tenter le diable et de réveiller les vieux démons, certains Congolais ont perdu toute notion d’humanité. Les atrocités inhumaines ont été et sont banalisées, dans l’indifférence quasi générale. Notre appartenance à une seule Nation s’évapore au fil du temps et nous préférons regarder ailleurs. J’ai mal pour mon pays. Que Dieu nous garde», poste-il sur son compte X le jour des drames.
Malemba-Nkulu a horrifié jusqu’à Martin Fayulu, connu lui aussi pour ne pas dédaigner la violence pour autant qu’elle serve ses intérêts. Il s’est empressé de condamner des images de la tuerie qui «font froid au dos. Je condamne avec la dernière énergie cette barbarie primaire et inexplicable. J’exhorte les Congolais à ne pas céder aux démons du tribalisme et de la division car le Congo doit demeurer un et indivisible. ‘Congo Ekolo Moko’», a-t-il écrit sur son compte X, le 15 novembre.
Larmes de crocodile
Pour ne pas demeurer en reste, Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga et candidat président de la République controversé s’est lui aussi prononcé sur les tueries de Malemba-Nkulu. «Toute vie humaine est sacrée. Je suis révolté par les événements qui se déroulent à Malemba-Nkulu. Ces images d’horreur sont insoutenables. Faute de maintenir l’autorité de l’Etat, les pouvoirs publics doivent assumer leur pleine et entière responsabilité dans cette tragédie qui endeuille la nation. Il important de sauvegarder notre vivre ensemble. Les blessés doivent être soignés et les victimes secourues. Les responsables doivent être identifiés, poursuivis et sanctionné de la manière la plus exemplaire », a-t-il écrit, le 15 novembre, suscitant des réactions en sens divers dans l’opinion.
Car, c’est un secret de polichinelle : les sentiments anti-kasaïens de Katumbi et ses phalanges sont de notoriété publique. L’homme et son cercle restreint ne dissimulent guèrre leurs pulsions sécessionnistes. Et, selon des observateurs, ne sont pas étrangers à la survenance de tels actes de violences dans l’ex-Katanga.
Il est ainsi rappelé que les événements malheureux de Malemba-Centre sont survenus quelques semaines après une sortie médiatique remarquée, et déplorée de Moïse Katumbi qui, au détour d’une campagne électorale anticipée maquillée en opération de redynamisation de son parti, avait exhorté «les enfants du Katanga à montrer leurs biceps» contre le pouvoir en place, dirigé par un originaire du Kasaï, et présenté comme dictatorial. «Pima uyambe (Essaies pour voir)», scandait-il, mimant et liant le geste à la parole, le 24 octobre à Lubumbashi. «Nous, nous sommes des gens de paix. Ce que nous voulons, c’est la démocratie, s’il n’y a pas de démocratie, il n’y a pas de nation», avait-il ajouté à l’intention de ses partisans venus l’écouter. «Le ‘Nous’ de Moïse Katumbi est une opposition aux ‘autres’. Il suffit d’identifier qui sont derrière ce ‘Nous’ pour saisir la portée de son message », a expliqué ainsi à nos rédactions, Pierre Ngoy (c’est un nom d’emprunt pour préserver l’identité de la source), professeur à l’Université de Lubumbashi.
Quelques mois auparavant, des collaborateurs de Moïse Katumbi s’étaient montrés plus explicites en termes de tendances séparatistes et tribalistes.
Pyromanes
Christian Mwando, ancien ministre du Plan du gouvernement central pour le compte d’Ensemble pour la République et proche collaborateur de Katumbi, menaçait carrément de découper (aux ciseaux) le Katanga du reste de la RDC «si la loi Tshiani était adoptée au parlement». Il l’avait déclaré au cours d’un meeting à Kalemie, son fief électoral, début avril 2023. Peu après que la députée nationale Munongo Inamizi, également proche (parente) du candidat président eut posté une vidéo devenue virale dans les réseaux sociaux dans laquelle elle disait tout le mal qu’elle pensait des kasaïens fustigés et stigmatisés particulièrement comme «un peuple qui mange du chien. Ce qui n’est pas la meilleure façon d’encourager le vivre ensemble. Bien au contraire», selon Pierre Ngoy.
Dans cette partie du territoire de la RDC, des acteurs politiques entretiennent ainsi des foyers d’implosions socio-communautaires pour atteindre leurs objectifs politiques.
Ngoy n’est pas le seul qui flaire la résurgence de ces manoeuvres tendant à faire imploser tout ou partie de l’immense territoire rd congolais. Derrière les conflits prétendument ethniques au Katanga se dissimule en réalité ce qu’on désigne par le terme de « guerre hybride» qui vise la perturbation de l’exploitation des ressources naturelles, minières, pétrolières et gazières par des opérateurs autres qu’Occidentaux. Or, dans l’ex. Katanga – ce n’est plus un secret – ce sont des Chinois qui tiennent la dragée haute dans l’exploitation cobaltifère, particulièrement. Un rapport publié par le Financial Times en 2017 l’affirmait sans ambages. «Grâce au cobalt congolais, la Chine contrôlerait 62 % du marché mondial de ce minerai stratégique, se plaçant ainsi avantageusement à l’avant-garde du mouvement mondial vers les véhicules électriques avec la possibilité de contrôler l’avenir des systèmes de trans port personnels, commerciaux et militaires. Or, l’Empire du milieu importe 93 % de son cobalt de la RDC». Cela, les Occidentaux, Etats-Unis en tête, le digèrent difficilement. Il faut donc déloger les ‘‘chinetoques’’ selon le mot du fantasque ancien ministre belge Karel De Ghucht . En tentant une révision des fameux contrats chinois, d’abord. Ce à quoi le successeur de Joseph Kabila à la tête de la RDC semble s’être engagé sans toutefois aller jusqu’au bout de la logique. Ensuite, en procédant, s’il le faut, par un embrasement général de la région qui perturberait toute exploitation des minerais convoités, selon une thèse défendue par le géopolitologue Andrew Korbyko qui ne manque pas de pertinence.
A Malemba-Nkulu aura été testé ce scénario de l’embrasement généralisé qui viserait, à terme, la reproduction de l’horrible scénario sécessionniste des années ’60 qui était partie d’une revendication de tout et rien à la fois.
J.N. AVEC LE MAXIMUM