A quelques semaines de la présidentielle fixée au 20 décembre 2023, quelques ténors de l’opposition à Félix Tshisekedi, candidats à la magistrature suprême en RDC ont été rameutés du 13 au 15 novembre 2023 à Pretoria (Afrique du Sud). Objectif de la rencontre convoquée à l’initiative, semble-t-il, d’In Transformation Initiative (ITI), une Ong sud-africaine : tracer le cadre d’une éventuelle désignation du candidat unique susceptible de confronter le président de la République en exercice au pays de Lumumba, et ainsi multiplier les chances de l’opposition de remporter la joute à un seul tour du 20 décembre prochain.
Pour la seconde fois dans l’histoire politique récente de ce pays, ce sont des acteurs étrangers qui se chargent d’orienter l’avenir politique immédiat. On a appris en effet que la Fondation Koffi Annan, la même qui avait sponsorisé une rencontre analogue en 2018 à Genève, aurait également été associée à ces conciliabules. Comme il y a un peu plus de cinq ans, l’histoire bégaie avec cette réédition du conclave de Genève que dirigea le Britannique Alan Doss dans le même dessein : assurer l’‘‘alternance’’ à la tête du pays-continent qu’est la RDC. On se souvient que ces assises qui placèrent autour d’une table quelque sept leaders de l’opposition à Joseph Kabila, avait abouti à la désignation de celui qui se révéla, aux yeux de certains,comme le plus petit commun diviseur de l’opposition et que le porte-parole du gouvernement de Joseph Kabila, Lambert Mende qualifia de «souris naine» avant que le duo Félix-Antoine Tshisekedi – Vital Kamerhe ne monte au créneau pour faire voler en éclat ce montage néocolonialiste.
Bis repetita
L’histoire se répète donc et révèle qu’à Genève comme à Pretoria, le vrai problème à résoudre n’est pas celui qui est pompeusement affiché par les protagonistes du conclave de Pretoria. Le problème n’est ni Joseph Kabila ni Félix Tshisekedi ainsi que le martèle le chercheur et analyste Freddy Mulumba Kabuayi. C’est la République Démocratique du Congo et ses immenses ressources naturelles sur lesquelles d’aucuns tentent coûte que coûte de faire main basse à la moindre occasion.
The In Transformation Initiative (ITI), l’Ong sud-africaine qui a offert si «charitablement» ses «bons offices» à l’opposition politique de la RDC, est présentée comme une association sans but lucratif créée en 2013 pour «aider et soutenir les processus de rétablissement de la paix dans les pays à différents stade de transition en s’inspirant de l’expérience sud-africaine». Née à l’initiative de quatre vétérans qui ont joué un rôle clé dans la transition vers la démocratie au pays de Nelson Mandela, en mettant en œuvre les stratégies, discussions et négociations qui mirent fin à l’apartheid et transformèrent l’Afrique du Sud en un modèle international de paix et d’espoir, à en croire le site de l’organisation, cette Ong a tout pour séduire les bonnes âmes. Pas étonnant que des candidats à la présidence de la Républiqueen RDC plongent tête baissée dans cette énième opération de charme de suprématistes occidentaux. «C’est une structure très sérieuse, réputée pour son travail de facilitation», affirmait ainsi sur Top Congo FM Albert Moleka, directeur de cabinet du Dr. Denis Mukwege, le Nobel de la paix 2018 également candidat au Top Job à Kinshasa.
Certes ITI n’en est pas à son coup d’essai dans l’histoire politique de la RDC. En octobre 2018, cett Ong sud-africaine avait déjà organisé une rencontre des leaders politiques de l’opposition à l’alors chef de l’Etat Joseph Kabila à Johannesburg. C’était déjà «pour leur donner une opportunité de discuter des problèmes qui se posent autour des élections en RDC». La rencontre prévue pour 48 heures (du 24 au 25 octobre 2018) se solda par un succès mitigé. Parce que des poids lourds de l’époque, à l’instar de Jean-Pierre Bemba, Moïse Katumbi et Félix Tshisekedi, représentés par leurs délégués respectifs, s’abstinrent d’effectuer le déplacement de Johannesburg. Seuls Vital Kamerhe, Adolphe Muzito, Martin Fayulu, Freddy Matungulu et Mabaya Gizi avaient honoré personnellement l’invitation.
Une tentative de plus
La seconde initiative d’ITI pour fédérer l’opposition rd congolaise semblait pourtant viciée dès le départ compte tenu du défaut d’inclusivité des candidats à la magistrature suprême. Seuls les délégués de 5 des 26 candidats à la prochaine présidentielle (Moïse Katumbi, Martin Fayulu, Delly Sessanga, Augustin Matata et Denis Mukwege) ainsi qu’un représentant de l’Ong anarchiste rd congolaise la Lucha avaient été invités à Pretoria.
Les prétendants à la magistrature suprême rd congolaise ont été représentés respectivement par Olivier Kamitatu et Hervé Diakiese, Jean-Félix Senga et Devos Kitoko, Jean-Pierre Muongo et Justin Kima Kima, Franklin Tshiamala et Cédric Tombola. Et leurs discussions devaient se limiter à «préparer un cadre de négociations entre candidats», selon des sources proches de l’organisation. En attendant l’entrée en scène des leaders eux-mêmes, le 18 novembre.
Pretoria semble donc avoir été conçu comme un espace de balisage de terrain pour l’atterrissage de l’épineuse gestion des ambitions des uns et des autres alors même que certains s’étaient déjà bruyamment lancés dans une pré-campagne à la fois onéreuse et belliqueuse.
A commencer par l’Ecidé/Lamuka Martin Fayulu, candidat malheureux à la présidentielle 2018 qui, au détour d’un périple dans son Kwilu natal, avait fait pleuvoir les premières hallebardes. Contre ses collègues de l’opposition. «Le candidat commun, c’est Martin Fayulu, parce qu’il a été désigné par le peuple congolais. On a volé à ce peuple sa victoire et ce peuple doit recouvrer sa victoire. Il n’y a pas à transiger. Si les gens veulent venir, qu’on se mette autour d’une table, qu’on discute comment, comment, je suis d’accord. Mais on ne doit pas venir là me dire tel et tel … Dites-moi, quel candidat que vous avez là, sur le plan moral, sur le plan éthique, qui peut dire que moi je lève le doigt et je suis le premier. Sur le plan moralité, sur le plan éthique, je peux dire que le Dr Mukwege, c’est un monsieur. Ça, c’est un bon candidat. Sur le plan professionnel, sur le plan compétence, maîtrise des questions du pays, questions politiques, questions économiques, questions sociales, questions sécuritaires … qui peut lever le doigt et dire que je bats Fayulu ? Dites-le moi ! Il faut qu’on soit clair, qu’on le dise. Ceux qui parlent ici, voleurs patentés … Fayulu n’a pas d’argent ? Mais l’argent c’est quoi ? Trump est milliardaire, oui ou non ? Est-ce que sa campagne est financée par ses milliards ? Sa campagne est financée par ses supporters américains. La campagne de Fayulu sera financée par les Congolaises et les Congolais», avait-il vociféré sur les antennes d’une chaîne de radio ayant pignon sur rue en RDC.
Ambitions dévorantes
A Pretoria, les délégués du candidat malheureux à la dernière présidentielle furent sommés par leurs collègues de présenter des excuses formelles pour ces propos jugés désobligeants. Ils s’y refusèrent et firent camp à part durant les conciliabules d’ITI et de la Fondation Koffi Annan. «Aujourd’hui, la priorité c’est d’empêcher les fraudes, (et non de désigner un candidat commun, donc). Pour nous, la priorité, c’est comment faire en sorte que les votes des Congolais soient respectés», déclara, le 13 novembre, Devos Kitoko, un représentant de Martin Fayulu à Pretoria. Il réagissait ainsi aux pressions exercées sur ses collègues et lui-même, visant à déborder du cadre de travail arrêté vers la désignation hic et nunc d’un candidat commun de l’opposition en l’absence des principaux concernés.
Sur la question, des réticences criardes demeuraient parmi les candidats au Top Job. Dont celles de Delly Sessanga et Adolphe Muzito qui ne cachaient pas leurs réserves à l’idée d’une candidature commune de l’opposition. Le premier estimant qu’elle n’était pas nécessaire pour battre Tshisekedi. «La candidature unique est utile pour endiguer la fraude, pour empêcher que le pouvoir ne puisse matérialiser son schéma de fraude»,répétait avec insistance le président d’Envol aux médias. Il estimait également qu’une telle démarche «devrait s’articuler autour d’un projet commun, d’un programme commun, chose qui nous a souvent manqué par le passé, parce qu’on s’est battu pour les individus contre d’autres individus».
Sur ce dernier point, Delly Sessanga rejoint Adolphe Muzito qui subordonne toute candidature unique de l’opposition à un programme commun. Lundi 13 novembre, Blanchard Mongomba, porte-parole du Nouvel Elan, a réitéré cette exigence.
Katumbi enjambe les étapes
Alors que la position de Denis Mukwege paraissait, elle aussi, peu éloignée de celle de ces deux derniers candidats. Selon le Nobel de la paix 2018, nul ne devrait s’auto-proclamer candidat commun de l’opposition sans qu’il soit préalablement trouvé un terrain d’entente pour faire face à Tshisekedi.
Comme à Genève en 2018, l’opposition congolaise n’aura donc pas réussi à accorder ses violons. Pire, il est apparu qu’un des candidats à la présidence a délibérément tenté de sauter les étapes convenues avec ses collègues en annonçant, le 17 novembre à partir de Pretoria, la création de la plateforme «Congo ya Makasi». «Une coalition en vue de la désignation d’un candidat commun dans le cadre d’un ticket de la coalition en vue de l’élection présidentielle du 20 décembre prochain», selon une «lettre de confirmation» signée par Olivier Kamitatu, Jean-Pierre Muongo, Christian Liongo et Franklin Tshamala pour le compte respectivement de Moïse Katumbi, Delly Sessanga, Denis Mukwege et Augustin Matata.
L’arnaque fut aussitôt dénoncée dès le 18 novembre, par Prince Epenge, au nom de Martin Fayulu qui déclara dans les médias qu’«il y a un candidat qui a voulu manipuler tout le monde. Il se reconnaît. Qu’il arrête de faire ça parce que les Congolais ont besoin d’un candidat commun ». Alors que son collègue, Devos Kitoko déclarait que «Pretoria n’a été qu’un guet-apens et une arnaque politique».
Invité sur Top Congo FM, le directeur de cabinet de Denis Mukwege, Albert Moleka, démentait la formation d’un quatuor politique à Pretoria. «D’abord, en ce qui concerne le Dr Denis Mukwege, il n’existe pas de quatuor. La réunion était organisée par 5 candidats. Pas par 4. C’est vrai que, et la facilitation en a fait part aux mandants, qu’il y a eu quelques problèmes, qui peuvent toujours arriver dans ce genre de réunions. Et que la facilitation a tenté de surmonter à sa manière. Mais dans l’esprit du Dr Mukwege, il n’est en aucun cas possible de parler d’un quatuor ou quoi que ce soit».
A défaut d’une impossible candidature unique, Pretoria a accouché d’une souris même si elle n’est pas naine comme il y a cinq ans.
J.N. AVEC LE MAXIMUM