Publié aux éditions de l’Institut de recherche en géopolitique et d’études stratégiques de Kinshasa (IRGES), «Aspects comminatoires des relations belgo-congolaises: paradoxe entre utopie de puissance et une fragilité non assumée», a été porté à la connaissance du public samedi 21 octobre 2023 en la salle ‘‘La perle’’ de la paroisse Ste Anne à Gombe en présence des professeurs André Mbata, 1er vice-président de l’Assemblée nationale, Rigobert Kabwita Kabolo Iko, directeur général de l’Institut de recherche en géopolitique et d’études stratégiques (IRGES) et Jean Kambayi Bwatshia, recteur de l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (IFASIC) ainsi que de plusieurs autres personnalités parmi lesquelles on pouvait noter la présence de Laurent Batumona, autorité morale du regroupement politique AE, du doyen Jonas Mukamba, ancien ambassadeur de la RDC à Londres et de Jean-Claude Mukendi Mbiyamuenza, directeur général de Lignes maritimes congolaises.
L’ouvrage de Lambert Mende Omalanga, réparti en cinq chapitres, présente d’une part les impératifs de la souveraineté nationale trop souvent sacrifiée sur l’autel d’une conception pusillanime de la diplomatie et d’autre part, sur le rôle excessif joué par l’occident, particulièrement par la Belgique, ancienne métropole coloniale du Congo de 1885 à 1960. «C’est une remise en question sur la singularité de nos relations avec la Belgique, caractérisées par des ingérences et des admonestations dont j’ai été le témoin privilégié de 2016 à 2019, lorsque sans savoir pourquoi, je me suis retrouvé sur une liste de personnalités congolaises visées par les sanctions européennes, initiées par la Belgique, avant d’en être retiré hors de toute procédure légale».
Le livre est préfacé par le professeur ordinaire Rigobert Kabwita Kabolo Iko qui a invité les Congolais de tous bords à le lire en continu, de manière aléatoire ou à rebours afin de s’imprégner des informations précieuses et riches qu’il recèle.
L’ouvrage a été porté sur les fonts baptismaux par le professeur André Mbata.
Le recteur de l’IFASIC, quelque peu dans l’embarras pour présenter l’auteur de l’ouvrage, une de ses connaissances de longue date, s’est contenté plutôt de parler de lui comme «une personnalité politique et publique à la fois, mais aussi physique et métaphysique».
L’honorable André Mbata a, en baptisant le livre, souhaité qu’il puisse «contribuer à la décriminalisation des relations belgo-congolaises, et apporter aux Congolais la possibilité de repenser les relations entretenues depuis longtemps avec notre ancienne métropole. Que cet ouvrage soit présent dans les bibliothèques, dans nos salons, et qu’il soit présent en RDC comme en Belgique».
Cette cérémonie de vernissage s’est clôturée par la dédicace suivie de la vente du livre de Lambert Mende Omalanga par les différents invités dans la salle, cash ou par souscription.
L’auteur qui a déjà publié plusieurs ouvrages a été de nombreuses fois ministre de la Communication et des Médias. Il est actuellement député national élu de Lodja et en même temps président du Conseil d’administration de Lignes maritimes congolaises (LMC SA).
Le Maximum
Ce livre est une cogitation portant sur un aspect essentiel des relations extérieures de notre pays. J’y attire l’attention, d’une part, sur les impératifs de la souveraineté nationale que l’on sacrifie trop souvent sur l’autel d’une conception pusillanime de la diplomatie, et d’autre part, sur le rôle excessif joué par l’Occident, en l’occurrence la Belgique, ancienne métropole coloniale du Congo de 1885 à 1960, dans la définition de la situation et la mise en œuvre des priorités de l’action publique dans ce pays.
C’est une remise en question de la singularité de nos relations avec la Belgique, caractérisées par des ingérences et des admonestations dont j’ai été un ‘’témoin privilégié’’ de 2016 à 2019 lorsque je me suis retrouvé, sans savoir pourquoi, sur une liste de personnalités congolaises visées par des sanctions du Conseil européen initiées essentiellement par la Belgique avant d’en être retiré sans aucune procédure.
Il ne s’agit pas de questionner la légitimité de l’État belge à vouloir faire prospérer ses intérêts dans ses relations avec la RDC, dont les potentialités ne peuvent que susciter l’intérêt de n’importe lequel de ses partenaires.
Mon attention s’est focalisée principalement sur l’utopie de puissance décelée chez certains décideurs en Belgique, un pays devenu par la force des choses la fenêtre sur le monde pour la RDC, ainsi que sur le complexe d’infériorité qui ronge les élites congolaises et qui est aux sources de ces paradoxes que le professeur Ndaywel décrit dans son livre La saison sèche est pluvieuse (2010) dont l’oxymore révèle bien les chaînes eurocentristes cultivées par des technostructures religieuses, médiatiques et éducationnelles qui cernent le Congo.
Les procédés comminatoires qui en constituent la substance se définissent comme des interactions assorties de menaces, du genre de celles auxquelles un créancier recourt pour exercer une pression sur son débiteur indélicat. Quelques « bavures » sémantiques mais pas que, en illustre l’occurrence persistante dans les relations belgo-congolaises.
Un chapitre scrute les ambitions africaines de la dynastie belge et la hantise des occidentaux pour les richesses du Congo qui datent de longtemps avant l’accession au trône de Léopold II en 1865, avant la Conférence de Berlin de 1885 au cours de laquelle ce deuxième roi des Belges avait mis à profit, avec une indéniable dextérité, les rivalités entre puissances de l’époque pour s’adjuger la régence du Congo devenu en même temps sa propriété et «une colonie internationale».
Il a maximisé ses profits pendant le boom de l’industrie automobile en enjoignant ses administrateurs d’accroître par tous les moyens la récolte du caoutchouc, matière première intervenant dans la fabrication des pneus. Adam Hochschild témoigne de la terreur répandue par le zèle de ces tristement célèbres administrateurs léopoldiens pour imposer ici une servitude sans contrepartie. Puis, furent découvertes d’autres ressources, notamment géologiques comme le cuivre (1892), l’or (1903) et l’uranium qui ont permis au ‘’conquistador financier Léopold II’’ (Kambayi Bwatshia) de faire main basse sur ce pactole notamment en faisant payer des «redevances» à tout exploitant puis en gageant avant de vendre carrément ‘‘sa’’ colonie à la Belgique avant de mourir en 1909, sans y avoir jamais mis les pieds.
Ni cette transaction insolite intervenue en 1908, ni l’indépendance congolaise proclamée un demi-siècle plus tard en 1960, n’ont remis en cause le statut de ‘’colonie internationale’’ du Congo qui justifie les attitudes et comportements comminatoires sous examen dans cet ouvrage.
Un autre chapitre analyse l’intériorisation par les élites congolaises des clichés dévalorisants et des lieux communs racistes et xénophobes qui ont bridé la conscience politique des autochtones et qui coûtèrent la vie à Patrice Lumumba, leader de la première majorité parlementaire, sur fond des sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï.
Des informations peu médiatisées sur les démêlées entre le Collège des Commissaires généraux, instrument de l’offensive anti-lumumbiste, avec ses mentors belges, indiquent qu’au-delà du radicalisme de Lumumba dont on parle tant, la déconsidération des dirigeants belges à l’égard de leurs homologues congolais reposait en réalité sur une ethnologie raciste et manichéiste.
Une thèse défendue par le professeur Louis Kalubi voudrait que cette situation soit consécutive à la non-invalidation formelle des traités et accords internationaux signés jusqu’en 1960 par les plénipotentiaires de l’EIC, du Congo-belge et de la Belgique en charge des relations extérieures de l’ancienne colonie belge, à l’indépendance du Congo et même après. Et que du strict point de vue du droit, ces textes enchaînant la vie nationale et internationale du Congo à la Belgique sont considérés comme liant toujours le Congo en vertu du principe de continuité de l’État. Cette idée semble toujours imprégner les relations belgo-congolaises ainsi que l’attestent les litiges économiques (contentieux belgo-congolais) jamais résolus, les sanctions ‘’ciblées’’ ou des épisodes criminels comme l’assassinat de Lumumba, un crime de l’Etat belge dont un détricotage des responsabilités est proposé au lecteur.
Bizarrement, après l’élection présidentielle de 2018, quelques acteurs congolais et africains de premier plan (la CENCO et le président rwandais Paul Kagame alors président en exercice de l’Union africaine) ont tenté de justifier ces intrusions étrangères dans les affaires congolaises en décrétant les résultats de ce scrutin «non conformes» à on ne sait quoi, avant de changer d’avis aussitôt que le gouvernement belge eut pris acte de l’élection du nouveau président Félix Tshisekedi.
Trois auteurs sont convoqués pour soutenir l’indispensable nécessité pour les élites congolaises de s’abstenir de se considérer comme une banlieue de la civilisation européenne: Cheikh Anta Diop qui a déploré «la nocivité des mythologies imposées par les européens en vue de garder leur statut de centre d’impulsion et d’orientation de la vie politique et économique des africains»; Venance Konan, auteur d’un ouvrage savoureusement iconoclaste intitulé «Si le Noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber !» (2018) et Erik Bruyland et son néologisme de « nokologie », du terme « noko » (oncle) désignant dans notre argot populaire l’homme blanc tout puissant et omniscient.
Un témoignage poignant et inédit de l’universitaire lumumbiste Thomas Kanza est affiché à ce niveau, portant sur la responsabilité d’un eurocentrisme de beaucoup d’acteurs politiques congolais dans l’échec de leurs efforts d’émancipation. Kanza estimait en effet que même son maître Patrice Lumumba a été victime de ce tropisme lorsque, négligeant le lobbying entrepris en sa faveur aux Etats-Unis par la très respectée Mme Eleanor Roosevelt auprès du président John Kennedy qui lui avait recommandé de rester «as cool as a cucumber» à Léopoldville en attendant la fin de ses tourments dès son investiture, il préféra s’en remettre à ses bouillants lieutenants obsédés par la supposée omnipotence des Belges, qui le firent évader vers Stanleyville, ce qui a précipité sa fin tragique le 17 janvier 1961, trois jours avant l’investiture de Kennedy le 20 janvier 1961.
Ce qui précède met donc en lumière l’incessant bégaiement de l’histoire dans cet espace où la Conférence de Berlin de 1885 a créé un État dans lequel d’autres États peuvent servir exclusivement leurs intérêts.
Faute de déverrouiller son rapport à l’Occident pour se concentrer sur l’essentiel, l’intelligentsia congolaise risque de se morfondre encore longtemps dans un mimétisme conformiste et utilitariste aux antipodes d’une réelle émancipation.
On aurait néanmoins tort de perdre de vue la nécessité de rééquilibrer les aspirations légitimes des Congolais avec les expectations tout aussi légitimes de leur ancienne métropole coloniale, tant il est vrai que, comme le soutenait le philosophe grec présocratique Héraclite d’Éphèse, «malgré les apparences, rien ne demeure identique. Tout se fait et se défait constamment».
Lambert Mende Omalanga