Campagne électorale anticipée, donc illégale, menaces à peine voilées contre la Commission électorale nationale électorale (CENI), la Cour constitutionnelle et toute institution chargée du processus électoral, tels sont les traits saillants de l’activisme politique déployé par nombre de candidats à la présidentielle de décembre prochain en RDC. Ceux qui se réclament de l’opposition au régime en place depuis janvier 2019, particulièrement. «Ils préparent la contestation», conclut à ce sujet, Denis Kadima, président de la CENI, qui compte parmi les cibles privilégiées de cette partie de la classe politique.
Le patron de la centrale électorale ne croit pas si bien dire. Plus qu’une simple contestation des résultats électoraux, c’est la révolte et l’embrasement généralisé qui sont conconctés par d’aucuns en cas d’échec à l’issue des scrutins du 20 décembre 2023.
De ce tableau peu flatteur pour les acteurs politiques de la RDC émerge particulièrement Moïse Katumbi Chapwe. L’ancien gouverneur du Katanga pour le compte du PPRD, déjà exclu de la course au top job dans son pays d’adoption en 2018 pour double nationalité, semble avoir une pomme à peler avec le processus électoral, et ne s’en cache pas. L’homme d’affaires également connu pour avoir livré les mines katangaises à la pègre internationale et s’être scandaleusement enrichi au détour d’opérations scabreuses y relatives, fait feu de tout bois pour imposer les ambitions politiques qui le hantent. En cherchant à imposer son ‘‘droit’’ à devenir président de la RDC.
Pour y parvenir, une multitude de médias, groupes de pression nationaux et internationaux sont mis à contribution pour tailler en pièces tout obstacle à ce projet. Un professeur de sciences politiques à l’Université de Lubumbashi (UNILU) résume et dénonce la démarche : «c’est un totalitarisme qui voit le jour dans notre pays et qui tente d’imposer l’irrationnel au rationnel élémentaire par diverses voies violentes, en commençant par la violence verbale. C’est ainsi qu’a vu le jour le mouvement nazi qui a causé tant de torts à l’humanité», explique cet universitaire sous le sceau de l’anonymat.
Appels à la violence
De retour de Tanzanie où il venait d’assister à un match international du TP Mazembe, son équipe de football, Moïse Katumbi a ainsi «improvisé» un meeting à Lubumbashi au cours duquel il a proféré des propos plutôt excentriques, accusant pêle-mêle le pouvoir en place de «l’assassinat du député Chérubin Okende (sans qu’aucune enquête ne l’ait établi), l’arrestation de Mike Mukebayi et Salomon Kalonda», avant d’exhorter la foule qui l’écoutait à «montrer ses muscles». Une gestuelle qui n’est pas sans rappeler le tristement célèbre salut nazi, de l’avis de l’académicien. «Katumbi surfe sur les ressentiments qu’il suggère lui-même aux supporters qu’il harrangue pour substituer toute rationalité à l’irrationalité, même la plus abjecte», explique-t-il.
De fait, la quiétude n’est pas à l’ordre du jour chez le candidat n° 3 à la prochaine présidentielle, selon la liste provisoire des candidats (pourtant) publiée par la CENI. Malgré la publication le 20 octobre de cette liste comprenant les 24 candidatures jugées recevables, dont la sienne.
Jusqu’à 48 heures avant cette publication, des médias en ligne bouillonnaient de communications orageuses traduisant l’obsession qui habite le chairman du TP Mazembe, anticipant sur des complots le visant. Pour les dénoncer ou les conjurer et ainsi imposer le point de vue selon lequel tout rejet de la candidature de ce congolais d’adoption résulterait d’un complot contre lequel il faut «prendre les armes».
Ainsi, dans une vidéo largement diffusée sur le net les 18 et 19 octobre, une nébuleuse dénommée «synergie des jeunes du Katanga» se fendait d’un mémo réagissant vigoureusement à ces rumeurs d’invalidation et menaçant le pays de tous les feux de l’enfer.
Presqu’au même moment où une autre nébuleuse, la «Fondation katangaise» disait mettre en garde à la fois la CENI et la Cour constitutionnelle. «Nous avons compris, Chairman, que votre moment est venu. Personne ne peut vous écarter parce que c’est le moment de Dieu», pouvait-on lire sur le compte X (ex-Twitter) de cette organisation. Le même jour, la «synergie des jeunes katangais», rebondissant sur des propos rapportés par Peter Tiani, un journaliste circonvenu par Moïse Katumbi évoquait une «tentative diabolique d’invalider la candidature en règle du prochain PR06 Moïse Katumbi. La synergie des jeunes katangais hausse le ton. Ça passe ou ça casse ! La tension monte». Un jour plus tard, Tiani n’avait plus eu besoin d’organisations katangaises’ pour émettre un point de vue aussi sulfureux. «Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, la CENI vient de sauver sa crédibilité en faisant preuve d’un sursaut patriotique. En retenant tous les candidats pour laisser le jeu se dérouler, elle vient de lancer un message fort à la communauté tant nationale qu’internationale. Honnêteté oblige, félicitations pour cette grandeur d’esprit de Monsieur le président Denis Kadima. Observons la suite», avait posté le journaliste militant sur son compte X après la publication de la liste des candidatures retenues pour la prochaine présidentielle.
Menaces par anticipation
La hantise et l’hostilité face à l’éventualité d’une invalidation de la candidature de Katumbi semble avoir particulièrement affecté Espoir Ngalukiye, un cadre du parti Ensemble pour la République qui a dénoncé «une campagne menée sur les réseaux sociaux pour inciter la CENI à l’invalider en l’accusant de détenir la nationalité italienne pour les uns et zambienne pour les autres».
Raison suffisante, pour ce fanatique katumbiste, de menacer la Cour constitutionnelle, prochaine et dernière étape de validation des candidatures. «Que la cour constitutionnelle ne soit pas manipulée parce que s’il arrive qu’elle soit manipulée, elle va le regretter. Si elle ose invalider même un candidat, ça ne va pas passer. Nous sommes démocrates et non violents. Nous ne devons pas soutenir la violation de la loi», a martelé Ngalukiye vendredi 20 octobre à Goma. Sans vraiment réussir à conjurer totalement le doute sur cette candidature au top job en RDC, déjà invalidée par la justice en 2018.
Le 21 octobre 2023, un certain Tshivuadi Mansanoa Junior de Lubumbashi a introduit une requête auprès de la Cour constitutionnelle alléguant de la nationalité étrangère de Moïse Katumbi, entre autres, pour exiger le rejet de sa candidature à la présidentielle.
Ancien employé kasaïen de MCK, une entreprise minière liée à Moïse Katumbi, Junior Tshivuadi a, par cette initiative, réveillé des vieux démons. Dans les médias en ligne et les réseaux sociaux, thèses et antithèses se sont aussitôt âprement disputé les espaces sans attendre que l’instance judiciaire saisie ne pipe mot sur la question. Des sentences ont été prononcées, précipitamment.
L’exploit Tshivuadi
« La requête déposée à la Cour constitutionnelle par Monsieur Tshivuadi est une requête pour rire. Elle ne saura anéantir la candidature de Moïse Katumbi. 1. Le requérant n’est pas candidat président de la République. 2. Il n’est pas non plus mandataire d’un candidat président de la République. 3. Même l’UDPS dont l’autorité morale, Félix Tshisekedi, a postulé comme candidat indépendant, n’a pas qualité pour attaquer un autre candidat devant la Haute cour. Ce qui est valable pour l’UDPS l’est aussi pour tout autre parti politique ou regroupement politique dont le chef (ou l’autorité morale) est aligné comme candidat indépendant à l’élection présidentielle de décembre et fait partie de la liste provisoire publiée par la CENI. 4. Seuls les mandataires des candidats président de la République ou les parties en lice peuvent s’attaquer à une candidature», postait sur son compte X, notre confrère Africanews, citant un expert non autrement identifié.
Me Laurent Onyemba, avocat et porte-parole du parti katumbiste semble, pour sa part, avoir été passablement énervé par l’exploit de l’ancien employé de MCK. «Je suis obligé de rompre mon silence. Les rédacteurs de cette requête sont des infirmiers juridiques. Cet exploit est une insulte à la science juridique. Les juristes de dimanche doivent lire la constitution et la loi. La cour constitutionnelle devrait filtrer», avait-il posté le 21 octobre. Avant de revenir sur le sujet deux jours plus tard pour menacer l’auteur de la requête contre Moïse Katumbi. «Toute requête téméraire et vexatoire expose son auteur aux poursuites judiciaires», a-t-il posté sur son compte X enregistré sous le pseudonyme « Acquitator». 24 heures auparavant, Laurent Onyemba avait déjà soutenu que «la cour constitutionnelle devrait décréter l’irrecevabilité de l’action de Tshivuadi pour défaut de qualité dans le chef du requérant (qui) veut se servir de cette parodie de requête pour légitimer le chaos qui résulterait de la proclamation des résultats ? Nous sommes aussi techniciens en face ».
Dimanche 22 octobre, la synergie des jeunes Katangais a publié une déclaration dénonçant «un coup monté par des mains noires, tendant à écarter injustement la candidature de Moïse Katumbi à la présidentielle», et «une manœuvre visant à faire de la haute cour un virus de la division qui hante la RDC».
Pressions tous azimuts
Des pressions insistantes sont ainsi exercées sur quiconque oserait ne pas se plier à la volonté de Katumbi et des siens. A l’instar de celle du secrétaire d’Etat américain à la retraite, le nonagénaire Herman Cohen, qui a accusé le gouvernement congolais de vouloir rejeter la candidature l’italo-zambien, pourtant très populaire en RDC selon lui, dans un tweet sur son compte X.
Alors que des activistes katumbistes notoires comme un certain Patrick Lokala se chargent de stigmatiser anticipativement les autorités judiciaires. «Kamuleta Badibanga, président de la haute cour, de surcroît pasteur, s’apprête à faire sauter l’unité du Congo au profit de sa tribu. Selon mes sources, les katangais sont très remontés après avoir appris que Kamuleta Badibanga a utilisé ses frères Noël Tshiani et Tshivuadi pour obtenir l’invalidation de Moïse Katumbi par la cour constitutionnelle au profit de leur frère kasaïen Félix Tshisekedi. Une mésaventure extrêmement dangereuse pour le pays surtout que l’histoire récente nous rappelle que le conflit communautaire entre kasaïens et katangais avait occasionné plusieurs morts. Il est temps qu’il se ressaisisse pour éviter l’éclatement d’un pays dont une partie est déjà occupée par les rebelles du M23», a-t-il écrit sur son compte X, le 25 octobre dans la journée.
Cette exhortation pour le moins saugrenue à renoncer à la rationalité sous diverses menaces a trouvé un écho favorable et intéressé auprès de certaines autorités traditionnelles. Dans un communiqué publié le 20 octobre, des autorités coutumières réunies au sein de l’Association nationale des autorités traditionnelles du Congo (ANATC) instruit quasiment en fait, la Cour constitutionnelle à «ne pas exclure une fille ou un fils à cette compétition par des arguments insidieux et non pertinents, ce qui compromettrait la cohésion nationale et le vivre-ensemble, facteurs fondamentaux d’une vie apaisée dans la communauté de base».
Et, aussi surprenant que cela paraisse pour certains observateurs, la mission d’observation électorale conjointe des églises catholiques et protestantes (CENCO-ECC) est sortie des limites (rationnelles) que lui imposent les lois pour plonger, pieds devant, dans la même irrationalité. Dans un communiqué daté de mardi 24 octobre, elle exhorte la Cour constitutionnelle à«consacrer cette inclusivité promue par la CENI ainsi que d’autres parties prenantes qui offrent l’égalité des chances pour tous les citoyens admissibles à participer aux élections en tant que candidats». En d’autres termes, la haute cour est carrément invitée à ne pas jouer son rôle de juge constitutionnel et électoral.
La « rationalité » totalitaire d’inspiration katumbiste gagne jusqu’aux organisations religieuses longtemps présentées comme les plus crédibles en RDC.
J.N. AVEC LE MAXIMUM