Au procès ouvert à la Cour constitutionnelle sur le projet du Parc agro-industriel de Bukangalonzo, le principal accusé, l’ex-1er ministre Augustin Matata Ponyo, a brillé par son absence lundi 16 octobre 2023. Désormais candidat président de la République, il s’est fait porter pâle et se trouve à l’étranger pour des soins médicaux, selon ses avocats qui ont sollicité une remise de … soixante jours, c’est-à-dire jusqu’à l’élection.
L’esquive crève les yeux, même des plus profanes. C’est donc sans surprise que la justice a rejeté la requête de sa défense qui n’en est pas à la première manoeuvre dilatoire près.
En effet, le 25 septembre 2023, la partie Matata avait déjà brandi devant la cour une pile d’attestations médicales requérant 45 jours de repos.
L’ancien 1er ministre sera ainsi poursuivi par défaut, a-t-il été décidé, en même temps que ses co-accusés Christo Gobler Stephanus, patron de la firme sud-africaine chargée de la mise en œuvre du projet Bukangalonzo, et Déogratias Mutombo Muana Nyembo, gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC) au moment des faits.
Dans l’opinion en RDC, nombreux sont ceux qui croient que Matata Ponyo fait des pieds et des mains pour échapper à la justice de son pays. Des rumeurs d’exil politique de l’ancien 1er ministre de Kabila ont couru en ce sens, démenties aussitôt par son parti politique. «La LGD assure que son président national, Augustin Matata Ponyo, habitué, en homme d’honneur, à affronter les vents hostiles, n’est pas candidat à l’exil (…) il regagnera Kinshasa dès qu’il aura terminé ses consultations médicales en cours», a écrit dans un communiqué, le 14 octobre, Franklin Tshiamala, secrétaire général.
Pas suffisant pour faire changer d’avis à ceux, de plus en plus nombreux, qui sont convaincus que l’ex-1er ministre tente simplement d’éviter que ses compatriotes ne soient édifiés sur la manière dont l’Etat a été pillé par lui grâce au procès (public) ouvert par la Cour constitutionnelle. Une pratique de l’esquive que le géniteur du projet Bukangalonzo semble maîtriser à la perfection.
Tentatives de contournement de la justice
On rappelle à cet égard que le 10 mai 2021, Augustin Matata qui séjournait à Conakry dans le cadre d’un projet de consultance avec le président guinnéen déchu Alpha Condé, avait annoncé avec pompe son retour en RDC «pour se mettre à la disposition de la justice». Matata qui a battu le record de longévité à la tête du gouvernement sous la deuxième législature de Joseph Kabila, avait bien rappliqué à Kinshasa mais pas pour aider la justice à y voir clair dans la nébuleuse Bukangalonzo. Car il s’est plutôt démené pour brouiller les pistes afin de mieux les contourner.
Au cours d’un point de presse tenu le 12 mai 2021 dans la capitale, Matata Ponyo avait lancé la première attaque contre les instances judiciaires qu’il avait auparavant prétendu vouloir aider en dénonçant «une justice politiquement instrumentalisée», avant de se calfeutrer lâchement derrière ses immunités parlementaires qui lui sauveront la mise face au réquisitoire adressé à la chambre haute du parlement par le procureur général près la cour constitutionnelle, Mukolo Nkokesha aux fins d’obtenir une autorisation de le poursuivre. «Après l’exercice de leurs fonctions, leur juge pénal reste la Cour constitutionnelle pour les actes commis pendant l’exercice de leurs fonctions », avait écrit le patron du ministère public près la haute cour dans sa correspondance au Sénat, expliquant que «votre saisine se justifie dans le cas du sénateur Matata Ponyo, non pas parce qu’il était premier ministre, mais parce qu’il est devenu sénateur». Dans la chambre haute du parlement alors encore largement acquise à l’ancienne majorité politique, un vote à main levée s’était frileusement opposé à la requête du parquet, les sénateurs refusant de livrer l’ancien 1er ministre.
Ce n’était qu’une victoire à la pyrhus parce qu’il sera de nouveau sur la sellette à la suite d’un deuxième réquisitoire introduit le 24 juin 2021 auprès du bureau du Sénat, accusant Matata Ponyo d’avoir ordonné le paiement illégal de 110 millions USD et 27 millions USD au titre de dédommagement à 300 pseudo-anciens propriétaires de biens zaïriannisés sous la deuxième République.
Lundi 5 juillet 2021, le Sénat étant en vacances parlementaires, son bureau avait accédé à cette deuxième demande de levée d’immunités du sénateur Matata en même temps qu’il autorisait des poursuites judiciaires à son encontre.
Stratégie de l’esquive
Plutôt que de présenter ses moyens de défense devant les instances judiciaires, Augustin Matata choisit alors de nouveau l’esquive en multipliant les stratagèmes pour échapper à ses juges. Mi-juillet 2021, il est placé sous mandat d’arrêt provisoire et assigné à résidence par le parquet auquel il refusera obstinément de répondre sur l’affaire Bukangalonzo en prétextant qu’elle ne faisait pas l’objet de la levée de ses immunités, qui concernaient seulement le dossier de la zaïrianisation.
La cohorte d’avocats qu’il s’était offerts à grand frais a avancé l’idée selon laquelle si la cour constitutionnelle était effectivement la juridiction du chef de l’Etat et du 1er ministre, selon l’article 163 de la constitution, l’article 164, qui précise que «la Cour constitutionnelle est leur juge pénal pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits
d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices» et que Matata Ponyo n’étant plus 1er ministre en fonction, il échappait à la compétence de cette haute juridiction. Pur sophisme.
Sans se laisser démonter, le procureur général Jean-Claude Mukolo a alors transmis lundi 30 août 2021 le dossier Bukangalonzo pour fixation à la cour constitutionnelle en maintenant la mesure d’interdiction de sortie du territoire national imposée à l’ancien 1er ministre, qui entretemps, faisait grand tapage autour de son état de santé nécessitant un séjour à l’étranger.
L’arrêt Kaluba
Le 15 novembre 2021, une composition de la cour constitutionnelle emmenée par le pénaliste Dieudonné Kaluba Dibwa s’est laissé convaincre par l’argumentaire d’un autre pénaliste, Raphaël Nyabirungu Mwene Songa, tête d’affiche de l’équipe de défense de Matata et s’est déclarée incompétente pour juger l’ancien 1er ministre devenu sénateur. La patate chaude sera ainsi transmise à la Cour de cassation, juge naturel des membres des chambres parlementaires, qui va à son tour s’en déssaisir et la renvoyer sans coup férir à … la cour constitutionnelle pour une interprétation de l’article 164 de la constitution.
Fin avril 2022, Matata Ponyo annonçait avec tambours et trompettes la création de Leadership et Gouvernance pour le Développement (LGD), son parti politique avant de se déclarer candidat à l’élection présidentielle 2023.
Malheureusement pour lui, répondant à la requête en interprétation de l’article 164 de la constitution, la cour constitutionnelle s’est, cette fois-ci, estimée compétente pour juger un ancien 1er ministre. Pour la haute cour en effet «l’expression ‘‘dans l’exercice des fonctions’’ telle qu’envisagée à l’article 164 de la constitution signifie qu’il faut que le président de la République ou le premier ministre, ait été en train de procéder à l’un des actes de sa fonction et doit être dans une situation d’exercice effective des fonctions. Il peut donc être poursuivi pendant son mandat suivant la procédure dérogatoire au droit commun prévue dans la constitution ; Dit en outre que l’expression une infraction commise ‘‘à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions’’ telle qu’envisagée à l’article 164 de la constitution signifie que c’est aussi le cas même s’ils ont perpétré l’infraction en dehors des fonctions mais en raison des actes professionnels accomplis dans la procédure dérogatoire au droit commun prévue dans la constitution. Dit que la cour constitutionnelle est seule compétente pour connaître les infractions commises par le président de la République ou le premier ministre dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ; Dit que la Cour constitutionnelle est le juge pénal d’un ancien président de la République ou d’un premier ministre qui n’est plus en fonction au moment des poursuites et ce, en parfaite harmonie avec l’esprit du constituant…».
Ainsi acculé sur le terrain judiciaire et doctrinal, Matata Ponyo a continué à se livrer à moult artifices pour échapper aux poursuites ainsi que l’illustre cette prétendue «décision du peuple de Kindu» (sic !) de le retenir dans ce chef-lieu de la province du Maniema pour qu’il n’ait pas à répondre devant la justice.
Affaire à suivre.
J.N. AVEC LE MAXIMUM