Stanis Bujakera Tshiamala, correspondant de l’hebdomadaire franco-africain Jeune Afrique (JA) en RDC et directeur de publication adjoint de Actualité.cd, un média en ligne, a été arrêté vendredi 8 septembre 2023 à l’aéroport international de Ndjili à Kinshasa. Le journaliste s’apprêtait à emprunter un vol à destination de Lubumbashi lorsqu’il a été interpellé et placé en détention par des agents de la police judiciaire, selon un communiqué de JA daté du 9 septembre. Une véritable saga judiciaire s’est déclenchée autour de cette interpellation plutôt chahutée du journaliste. Jusque dimanche 10 octobre, le correspondant de JA en RDC était détenu dans les locaux de l’Inspection de la police de Kinshasa. Selon des informations qui n’ont pas été démenties, il était reproché à Bujakera la publication et la diffusion d’un faux rapport attribué à l’Agence nationale des renseignements (ANR) autour de l’assassinat de Chérubin Okende, le député et ancien ministre des Transports pour le compte de Ensemble pour le Changement de Moïse Katumbi, retrouvé mort à bord de sa voiture le 18 juillet 2023. Samedi 9 septembre, Bujakera avait formellement été entendu sur procès-verbal durant 3 heures en présence de son avocat par la commission chargée de l’enquête sur le meurtre de l’ancien ministre des Transports. L’audition s’est poursuivie di- manche, les enquêteurs cherchant à identifier les sources qui avaient permis au journaliste de rédiger l’information publiée dans les colonnes de JA. Lundi 11 septembre, Bujakera a été transféré au parquet de Grande instance de Kinshasa/ Gombe, connu pour être chargé du dossier de l’assassinat de Chérubin Okende, avant d’être aussitôt placé sous mandat d’arrêt provisoire (MAP). Révélations attribuées à l’ANR Le 31 août 2023, Jeune Afrique avait mis en ligne un article intitulé «Mort de Chérubin Okende en RDC : les renseignements militaires ont-ils joué un rôle ?», qui assurait que les informations publiées étaient tirées d’«une note de l’Agence nationale de renseignement (ANR) qui retrace les circonstances du meurtre de ce proche de Moïse Katumbi». L’article querellé accusait les services de renseignements militaires (DEMIAP) de l’enlèvement du député à la Cour constitutionnelle suivie de son assassinat. Selon son avocat, qui a livré l’information à la presse, Stanis Bujakera qui ne serait pas l’auteur de l’article, par ailleurs non signé, de JA, ne saurait donc être poursuivi pour un acte qu’il n’aurait pas posé. Selon les lois en vigueur, en cas d’information non signée, c’est le directeur de publication de l’organe de publication qui doit répondre du contenu de l’article publié devant la justice. Or, JA, qui n’a pas de directeur de publication en RDC, devrait donc être poursuivi à son siège social en France, selon cet entendement. L’hebdomadaire, stigmatisé par une certaine opinion pour sa connivence avec la tristement célèbre françafrique dont il véhicule et défend les intérêts depuis les années des indépendances africaines, disposerait donc d’une sorte de sauf-conduit pour diffuser notamment des informations qui relèveraient, à la limite, de tracts. Depuis le week-end dernier, l’affaire Bujakera a suscité beaucoup d’émois, parmi les journalistes particulièrement, dont la plupart des corporations ont condamné l’arrestation et exigé sa libération immédiate. Mais également les représentations diplomatiques en place en RDC et quasiment tout ce que le monde compte d’organisations occidentales de défense des droits de l’homme. Les politiques ne sont pas demeurés en reste, à l’instar du député katumbiste Claudel-André Lubaya, connu pour sa tendance à faire feu de tout bois contre le pouvoir tshisekediste en place en RDC. Il fut le premier à dénoncer «une menace à la liberté d’expression démocratique et une intimidation de trop à l’approche des élections», vendredi 8 septembre. Dans une communication, mardi 12 septembre, l’ancien gouverneur du Kasaï Occidental pour le compte du PPRD de Joseph Kabila, passé sous pavillon Ensemble pour la République de Moïse Katumbi depuis quelques années, n’y va pas avec le dos de la cuillère. «Les services recourent à des manœuvres dilatoires pour brouiller les pistes et faire obstruction à la manifestation de la vérité en arrêtant un pauvre journaliste dont le seul tort est d’appartenir à un organe de presse qui, dans l’une de ses publications, a semblé donner les liminaires sur les circonstances éventuelles du décès de Chérubin Okende. Ce n’était qu’une piste», dénonce-t-il, accusant carrément le pouvoir tshisekediste de tous les maux d’Israël sur ce crime. Les observateurs notent néanmoins que l’affaire du meurtre de Chérubin Okende est justement très électorale, et les pistes identifiées par cet héritier d’un ancien leader lumumbiste des années ‘60, sont celles mises en avant par son regroupement politique. Le député assassiné en juillet dernier comptait parmi les collaborateurs du candidat à la présidentielle du 20 décembre prochain, Moïse Katumbi. Ce meurtre avait été présenté (par les katumbistes) comme un acte visant en réalité le chairman katangais dont les adversaires auraient ainsi voulu refroidir les ardeurs au top job en RDC. Ce qui a ainsi été présenté comme un crime d’Etat, y compris par Moïse Katumbi en personne s’exprimant à partir d’Abidjan en Côte d’Ivoire où il se trouvait, était porté sur le compte du pouvoir en place. Et donc du président de la République, candidat à sa succession en décembre prochain et challenger de l’ancien gouverneur du Katanga pour le compte du PPRD. Une thèse partisane La thèse de l’enlèvement du député défunt «à la Cour constitutionnelle», autant que celle de son assassinat par «les services», publiée fin août par JA épouse les contours de celle que la partie katumbiste soutient depuis le 13 juillet 2023, avant et/ou après la découverte du corps inanimé de Chérubin Okende, assis au volant de sa Jeep abandonnée devant un garage de la commune de Limete à Kinshasa. Trois jours avant l’interpellation de Stanis Bujakera, le 5 septembre 2023, Peter Kazadi, vice-premier ministre Tshisekedi en charge de l’Intérieur, avait adressé une correspondance de protestation aux rédactions de JA et de Radio France Internationale (RFI) pour «faux rapport relayé par vos médias sur la mort de Chérubin Okende Senga. Un examen interne a révélé de multiples anomalies dans la fausse note dont question, attribuée à l’ANR par des individus visiblement motivés à désorienter l’opinion tant nationale qu’internationale», écrit le plénipotentiaire rd congolais. Peter Kazadi indique en outre que «… la justice congolaise, en collaboration avec les experts internationaux et ceux de la MONUSCO, mène des enquêtes approfondies sur le meurtre de l’honorable Chérubin Okende dont les rapports crédibles sont attendus afin que les responsabilités soient établies». Le vice-premier ministre rd congolais reproche carrément à JA et RFI la publication d’un fake news, dont l’objectif est de discréditer les services de sécurité de la RDC et par ricochet, le gouvernement de la République. Les autorités de la RDC ont ainsi exigé la publication de la correspondance de Peter Kazadi au titre de droit de réponse. Ce qui ne les empêche pas, légalement, de faire engager des poursuites judiciaires contre les responsables attitrés des organes de presse accusés de publication de fake news sur ce sujet très sensible. Encore faut-il établir dans quelle mesure notre confrère Stanis Bujakera peut être tenu pour responsable de JA et donc faire, légalement, objet de poursuites judiciaires. Lundi 11 septembre, une délégation de journalistes a tenté de plai- der la cause de Stanis Bujakera auprès du ministre de la Communication, Patrick Muyaya pour lui dire leur peine de voir un confrère privé de sa liberté. «Cette situation nous afflige énormément et nous lui avons demandé de faire de son mieux pour que notre confrère puisse recouvrer sa liberté», a déclaré Israël Mutala, président d’une organisation de médias en ligne. Avant de s’entendre promettre par le porte-parole du gouvernement «de continuer à faire le suivi du dossier afin que le surnommé ‘information certifiée’ recouvre la liberté, dans le strict respect de la séparation des pouvoirs». Traduction : pas d’interventions politiques dans le cadre d’une affaire judiciaire. Placé sous mandat d’arrêt provisoire après 72 heures de détention par la commis- sion d’enquête sur l’assassinat de Chérubin Okende, Stanis Bujakera était plus près d’un transfèrement à la prison centrale de Makala que d’une re- laxation, ainsi que le reconnaissait, lundi 11 septembre, Me Hervé Diakese, son avocat et par ailleurs candidat député sur les listes du parti de Moïse Katum- bi à Kinshasa. Preuve s’il en est, le dossier du confrère empeste la politique à mille lieux à la ronde dans une enquête pour meurtre politique où la responsabilité de JA est plus que patente. L’hebdomadaire s’étant autorisé la publication d’une information déséquilibrée (les sources gouvernementales ne semblent pas avoir été consultées sur un dossier sensible qui les ac- cuse) et l’information non signée n’a donc pas été assumée. Donc, JA s’est rendu coupable d’un tract quasiment, selon des observateurs. Stanis Bujakera, ce sera donc le célèbre hebdo qui l’aura sacrifié à l’autel du Congo Bashing, en lui faisant courir le risque d’une condamnation à une peine sévère pour propagation de faux bruits. Pour la même infraction, Jean-Marc Kabund, ancien 1er vice-président de l’Assemblée nationale a été condamné par la Cour de cassation, le 13 septembre 2023, à 7 ans de servitude pénale.
J.N. AVEC LE MAXIMUM