La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a procédé, samedi 9 septembre, à l’ouverture de son Bureau de réception et de traitement des candidatures (BRTC) à l’élection présidentielle du 20 décembre 2023, conformément à son agenda calendaire. Pour la plus déterminante des élections en RDC, un dispositif de sécurité particulier a été mis en place autour du siège de l’institution d’appui à la démocratie, sur le boulevard du 30 juin dans la commune de la Gombe à Kinshasa. Chaussée partiellement fermée à la circulation de l’immeuble Sozacom jusqu’à la place de la Gare centrale côté CENI, déploiement discret mais suffisamment visible pour dissuader, d’éléments de la police nationale, etc. En cette première journée de fonctionnement du BRTC/présidentiel, les préposés de la CENI ne se sont pas tournés les pouces, puisque trois candidats à la prochaine présidentielle ont tôt fait de répondre présent : Augustin Matata Ponyo, Constant Mutamba, et Rex Kazadi, venu manifestement s’enquérir des conditions de dépôt avant de retourner lundi 11 septembre pour finaliser formellement son dossier de candidature. Le premier d’entre les candidats déclarés à la présidentielle de décembre 2023 à déposer son dossier a donc été Augustin Matata Ponyo, ancien 1er ministre sous Joseph Kabila, aujourd’hui à la tête de son propre parti politique, Leadership et gouvernance pour le développement (LGD). Son dossier de candidature déposé, Matata a déclaré aux médias que «les Congolais m’ont demandé de déposer ma candidature à l’élection présidentielle, tel est aussi la volonté des membres de mon parti LGD. C’est une décision du congrès de mon parti, c’est aussi la volonté de la population congolaise et je me réjouis d’être le premier à avoir déposé ma candidature. Moi, je n’ai pas beaucoup de promesses à faire, ayant été premier ministre-chef du gouvernement. J’ai fait beaucoup de choses qui restent dans la mémoire des Congolais. J’ai stabilisé le cadre macroéconomique, le taux de change est resté stable pendant près de 8 ans».
Poursuites judiciaires
Il reste que l’ancien chef du gouvernement central est poursuivi par la Cour constitutionnelle, la plus haute instance judiciaire en RDC, dans le dossier relatif au dé- tournement des fonds destinés au mégaprojet de la ferme agro-industrielle de Bukangalonzo dans la province de Kwango. Une entreprise gigantesque conçue pour assurer l’indépendance alimentaire de la douzaine de millions d’habitants de la capitale congolaise grâce à cette ferme implantée sur des terres pourtant réputées peu fertiles. Bukangalonzo, c’était un projet pilote de parcs agro-industriels à essaimer à travers la RDC, officiellement lancé le 15 juillet 2014 par l’alors président de la République, Joseph Kabila Kabange. Les premières récoltes de ses 5.000 hectares de maïs, attendues début mars 2015, ne sont jamais arrivées. Parce que le maïs salvateur n’a pas poussé. Malgré la présence d’impressionnantes machines agricoles importées, à grands frais et renfort de publicité. A telle enseigne que pour ne pas perdre la face, les gestionnaires du projet en furent réduits à faire venir subrepticement de la semoule de maïs d’Afrique du Sud pour la vendre à des prix dé- fiant toute concurrence sur divers marchés de la capitale sous étiquettes BukangaLonzo. Une mascarade trop onéreuse qu’il fallut arrêter après que plus de 200 millions USD soient partis en fumée. C’était en définitive rien moins qu’une arnaque. Mais, ni Augustin Matata Ponyo, le maître d’œuvre de ce projet mort-né, ni certains de ses collaborateurs au sein du gouvernement d’alors, et encore moins l’entrepreneur Sud-africain Safricom chargé de l’exécution du projet ne veulent assumer la moindre responsabilité devant la justice qui leur demande des comptes.
205 millions USD détournés
Une enquête menée par l’Inspection générale des finances (IGF) à la demande de Ma- tata Ponyo lui-même, a révélé l’étendue du gâchis. L’ancien chef du gouvernement est bel bien l’auteur intellectuel, et à certains égards le bénéficiaire, de la débâcle de ce projet qu’il avait p e r s o n n e l l e m e n t conçu, planifié et pour lequel il a engagé des sorties de plus de 83 % des dépenses effectuées au profit de comptes appartenant au partenaire sudafricain et à une flopée de ses filiales en violation de toutes les réglementations en vigueur, selon les enquêteurs.
Le rapport de l’IGF reproche au premier chef à Augustin Matata Ponyo la procédure du choix de ce partenaire qui n’avait que trois ans d’existence au moment de la signature du contrat de gestion, contrairement aux exigences légales de passation des marchés publics en République Démocratique du Congo. Des montants faramineux se seraient volatilisés dans l’achat d’équipements coûteux, dont certains ne furent jamais livrés, des frais de gestion auraient été indûment payés à des prestataires sans titres ni droits, notamment au titre de libération du capital social au-delà du montant de la quotité due par l’Etat congolais dans un certain nombre de sociétés privées. Tous ces faits ainsi que l’opacité qui les a entourés ont conduit les fins limiers chargés de l’enquête par Jules Alingete Key à dénoncer un cas flagrant de dol et de négligence en matière de garanties de bonne gestion par le partenaire sud-africain. «Africom déterminait les besoins en investissements, passait les commandes, fixait les prix et achetait les équipements, matériels et intrants sans être mis en concurrence avec d’autres fournisseurs», déplorent les inspecteurs, entre autres. Au total ce sont bien 205 millions USD qui ont été détournés sur 285 millions décaissés par le Trésor public.
Stratégie de l’esquive
L’apôtre autoproclamé de la stabilité du cadre macro-économique ne s’en est pour autant pas laissé conter et a multiplié, jusqu’à il y a peu, des stratégies d’esquive pour échapper aux poursuites judiciaires qui le visent. D’abord en se faisant élire sénateur en mars 2019 afin de pouvoir brandir ses immunités parlementaires face aux instances judiciaires. Avant d’annoncer (très prématurément) sa candidature à l’élection présidentielle le 3 mai 2022, en pleines tourmentes judiciaires. Deux qualités qui devaient, à son point de vue, lui procurer une armure protectrice contre toute velléité de poursuite par la justice de son pays. Au terme d’une saga judiciaire à rebondissement au cours de laquelle la Cour constitutionnelle s’était déssaisie du dossier des poursuites engagées contre un ancien 1er ministre avant de s’en ressaisir, et de fixer l’affaire au 21 août 2023. Absent à l’audience introductive – pour cause de «refus de la population du Maniema de le livrer à ses bourreaux» (sic !) – du reste renvoyée pour irrégularités dans la transmission d’exploits aux personnes poursuivies (en plus de Matata Ponyo, Déogratias Mutombo, ancien gouverneur de la Banque centrale du Congo, et Christo Grobler, l’entre- preneur Sud-africain), le président de Leadership et gouvernance pour le développement s’est bien rendu à la seconde audience dans le cadre de cette affaire en cours d’instruction, le 4 septembre. Et l’affaire a été renvoyée au 25 septembre 2023. Le premier candidat officiel à la présidentielle 2023 reste donc sous la menace de la justice rd congolaise. Et n’est pas dépourvu de raisons pour, stratégiquement, «sauter premier», comme le dit un vieux dicton populaire. Dans l’opinion publique en RDC, nombreux sont ceux qui pensent que l’ancien 1er ministre n’a pas d’autres ambitions que de se prémunir des poursuites, politicojudiciaires, à en croire ses propres propos. Et que la candidature déposée samedi dernier à Kinshasa s’inscrit dans ce contexte de la stra- tégie de l’esquive qui a systématiquement caractérisé son système de défense jusque-là. Au siège de la CENI, samedi 9 septembre, des sympathisants de son collègue candidat, Constant Mutamba, ne se sont pas privés du plaisir de chahuter l’ancien chef du gouvernement de Joseph Kabila, accueilli aux cris de «voleur» et de «détourneur». Outre le leader du LGD, deux autres candidats à la prochaine joute présidentielle se sont également pointés à la CENI. Constant Mutamba, un ancien kabiliste qui assure se présenter pour le compte de l’opposition dite républicaine, dont le projet politique se réduit à sa promesse de faire arrêter le chef de la principauté militaire en place au Rwanda, Paul Kagame, auteur d’un nombre important de crimes contre l’humanité en RD Congo et Rex Kazadi, un autre jeune candidat issu de la diaspora rd congolaise en France, dont la candidature semble compromise par la nationalité française qu’il posséderait encore jusqu’à il y a peu, selon des sources. De nombreux autres candidats au top job en RD Congo se sont déjà annoncés, qui sont attendus par l’opinion. Notamment : Moïse Katumbi Chapwe, Delly Sessanga Hipungu, Franck Diongo Shamba, Bernadette Tokwaulu Aena, Marie-Josée Ifoku Mputa Mpunga, Jean-Claude Baende Etaf’eliko, Seth Kikuni, Corneille Nangaa Yobeluo.
J.N. AVEC LE MAXIMUM