Week-end et début de semaine chahutés à propos d’opérations de démolitions de clôtures en tôles jouxtant la résidence du président de la République honoraire, Joseph Kabila Kabange. Samedi 2 septembre 2023, une escouade d’agents de l’ordre convoyant des engins de démolition avait fait irruption dans les parages immédiats de la résidence dénommée GLM (Groupe Litho Moboti), sur le prolongement de l’avenue de l’Ouganda dans la commune résidentielle de la Gombe, pour y démolir des barrières bloquant l’accès notamment au mess des officiers des FARDC, proche des habitations de l’ancien chef de l’État et de la famille de l’homme d’affaires William Damseaux.
L’affaire a fait grand bruit et suscité quelque émoi dans une certaine opinion. Selon Adam Shemisi, chargé de la communication de Mme Olive Lembe Kabila, l’ex-première Dame, la famille, les employés et le personnel de surveillance de la résidence avaient été surpris par l’arrivée de ces engins chargés de casser le mur de la résidence afin, selon eux, de s’ouvrir un accès aux parcelles récemment acquises par certains dignitaires du nouveau régime, en construction un peu plus bas sur les rives immédiates du fleuve Congo. Des autorités qui envisageaient la création de nouvelles avenues impliquant la démolition des murs bordant des résidences, assurait-il devant les caméras de médias alertés à cet effet. Alors que des vidéos publiées sur les réseaux sociaux montraient, tout en contre-bas, des terrains en friches présentés comme appartenant au vice-premier ministre, ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, Jean-Pierre Bemba Gombo.
Nonobstant la résistance des policiers chargés de la protection des lieux, arguant de l’absence d’autorisations légales requises en pareilles circonstances, le mur visé a été démoli samedi dernier. «Si les autorités intéressées disposent de tels documents pour leurs propres constructions, cela ne leur donne pas le droit d’intervenir sur la propriété de Kabila, ni de démolir son mur», protestait-on encore. Selon Shemisi, «la famille Kabila, ainsi que Joseph Kabila lui-même, condamnent fermement cette action. Ils estiment qu’on ne peut pas établir une route sur la propriété d’autrui pour faciliter l’accès à sa propre propriété, d’autant plus sans présenter de document officiel». Mais rien n’y a fait.
Protestations
Gardes et employés de la résidence du président de la République honoraire n’ont pas été les seuls à prendre la défense des lieux querellés au quartier GLM. Jaynet-Désirée Kyungu Kabila, la sœur jumelle de l’ancien chef de l’État, mais aussi Emmanuel Ramazani Shadary, Félix Momat, Jean-Marie Kassamba, et Boniface Balamage, tous membres de la famille politique Front commun pour le Congo (FCC) s’étaient également dépêchés sur les lieux du «forfait».
En début d’après-midi, un rassemblement des «troupes» avait été décrété sur les réseaux sociaux par le PPRD/Urbain Lubumbashi-Katanga. «Nous appelons les camarades du parti résidant à Kinshasa à rejoindre Dada Jaynet, le Dr SP Ramazani S., Félix Momat qui sont déjà au GLM. Nous ne devons pas tolérer cette barbarie que Monsieur Félix (Tshisekedi, ndlr) est en train d’instaurer au pays», y lisait-on.
La démolition de la clôture empêchant l’accès à l’avenue de la Gombe, près de la résidence de Joseph Kabila a donc pris une allure résolument politique. Dénonçant ce qu’il présentait comme une violation de la résidence de l’ancien chef de l’État, Emmanuel Ramazani Shadary, secrétaire général du PPRD et candidat malheureux à la présidentielle 2018 pour le compte du FCC de Joseph Kabila ne décolérait pas et condamnait cette «intimidation». Toussaint Tshilombo Send, ministre la Communication sous Joseph Kabila, communiait pour sa part à cette indignation en rappelant que «Joseph Kabila Kabange, ancien président de la RDC, sénateur à vie, mérite le respect et la considération. Peu importe ce que vous pensez de lui, il demeure un exemple sur le continent africain en ce qui concerne l’alternance politique et le transfert du pouvoir dans notre pays». Autant que Patrick Nkanga, rapporteur du bureau politique du PPRD, qui s’est montré particulièrement révolté. «Le président Félix Tshisekedi est un futur ancien chef de l’État (…) Il doit prendre garde à trop désacraliser et humilier son prédécesseur et partant, le futur statut qui l’attend. De peur que ces actes déplorables servent de jurisprudence à celui qui lui succèdera. La coutume démocratique s’ancre dans une nation au travers le respect de certaines notions qui parfois sont non écrites (…) Il est des actes qui sont inimaginables à l’encontre d’un ancien Chef de l’État …», a-t-il écrit sur son compte Twitter samedi dernier. Sans influer notablement sur la suite des événements.
Normes urbanistiques
Lundi 4 septembre, la clôture vers l’avenue riveraine à la résidence de Joseph Kabila a été totalement démolie, rouvrant la circulation sur les avenues des Coteaux (dans le tronçon compris entre l’immeuble GLM et l’Ambassade Helvétique), des Etats-Unis et de La Vallée, à hauteur de l’avenue de l’Ouganda. Au milieu de la journée, le même jour, des informations faisant état de la démolition d’une barrière similaire longeant le Palais de Marbre, ancienne résidence de feu le président Laurent-Désiré Kabila étaient rapportées par des internautes enthousiastes.
Selon le bourgmestre de la commune de la Gombe, Léopold Manzambi, l’autorisation de rouvrir les routes barricadées est «venue du ministère de l’Urbanisme. Il n’y a pas eu destruction méchante. Toutes les autorisations ont été données. Pas d’irrégularités».
En fait d’autorisations, des documents postées sur les réseaux sociaux indiquent que la réouverture à la circulation des avenues des Etats-Unis et de La Vallée a été sollicitée par le général major Kabi Kiriza Éphraïm «sur instruction du Commandant suprême», selon une correspondance adressée au ministre de l’Urbanisme et Habitat, Pius Muabilu. Motif avancé : elles «ont été barricadées ‘sans rime ni raison’ à hauteur respectivement des avenues Ouganda et Adama, ainsi que de l’avenue Nguma». Et, au cours du briefing de presse hebdomadaire du lundi 4 septembre 2023, Patrick Muyaya, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, a sommairement justifié les démolitions chahutées des clôtures sur l’avenue en face de la résidence de Joseph Kabila. «Si aujourd’hui n’importe quel citoyen congolais peut passer, à pied ou en véhicule, devant le Palais de la Nation où se trouve le bureau du président de la République en fonction, pourquoi il serait interdit de passer devant la résidence d’un ancien président de la République, encore que seuls les services de l’Habitat sont compétents pour dire qu’il s’agit effectivement de sa propriété», a-t-il expliqué en réponse à la question d’un journaliste.
Propriétés publiques ?
Du point de vue des officiels rd congolais et de certains experts, ce qui a été présenté par d’aucuns comme un crime de lèse-majesté ne fut donc qu’un rétablissement des normes urbanistiques. «Kalina (ancienne dénomination de la Gombe, ndlr), cité planifiée, connaît plusieurs problèmes d’organisation spatiale : servitudes violées, plusieurs voies barricadées», faisait observer à chaud à ce sujet, Kyana Basila Joël, un urbaniste qui s’est exprimé sur les réseaux sociaux, après beaucoup d’autres.
Mercredi 6 septembre 2023, alors que les esprits se calmaient au vu des résultats d’opérations de démolition effectuées sur l’avenue de l’Ouganda-GLM, le cabinet du ministre de l’Urbanisme et Habitat a publié une vidéo recadrant les incidents du week-end dernier. «La réouverture de l’avenue de l’Ouganda n’est ni un règlement de comptes, ni un acte de provocation, comme le disent les mauvaises langues. Elle est une opération de police dont l’objectif principal est de rétablir la fluidité de la circulation illégalement perturbée et asphyxiée dans la capitale congolaise. Ceci, pour lutter contre les embouteillages monstres, permettre aux riverains de GLM de vaquer librement à leurs occupations après près de 23 ans de fermeture inédite de cette voie», a expliqué Célé Kanangila, chargé de la communication au Cabinet de Pius Muabilu. Rappelant à l’occasion que le boulevard Tshatshi et l’avenue Nguma, pour ne citer que ceux-là, avaient été rouvertes à la circulation dans les mêmes desseins plusieurs mois auparavant, à la grande satisfaction des Congolais. Par ailleurs, «aucun mur d’une quelconque résidence n’a été cassé. L’opération a visé les barricades érigées sur la voie publique en violation des lois de la République», a précisé le conseiller au cabinet du Ministre d’État, ministre de l’Urbanisme et Habitat.
De la polémique née de la publicité qui a entouré les démolitions de l’avenue de l’Ouganda-GLM, il appert que jusqu’à l’accession au pouvoir de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila en mai 1997, le quartier dénommé GLM, du nom de l’immeuble 7 étages sur avenue de l’Ouganda à la Gombe réputé propriété du Groupe Litho Moboti, les avenues rouvertes à la circulation au début de la semaine étaient libres d’accès pour le public. Mais aussi, que le quartier abritait, les résidences officielles du 1er ministre, du président de l’Assemblée nationale, un mess des officiers ainsi qu’un terrain de basket-ball, qui constituent ce qui est devenu la résidence de l’alors chef d’État Joseph Kabila Kabange. Il s’agit donc d’immeubles relevant du domaine public de l’État congolais, dont le reversement dans le domaine privé (propriétés de l’ancien président de la République) semble mis en doute par certains, désormais.
Rien de neuf sous les tropiques
S’agissant de l’immeuble abusivement dénommé GLM, parce qu’il appartient en copropriété à plusieurs personnes, il n’a jamais appartenu à Joseph Kabila, même s’il a servi de logement et de bureaux à la Garde Républicaine. Le «GLM» avait été en fait réquisitionné sous Kabila-Père au titre de ‘’biens mal acquis’’, rapportent des sources. Et le président de la République honoraire, qui en a déguerpi les militaires qui le squattaient, n’en a jamais revendiqué la propriété.
Ne demeure donc que le problème posé par la remise en vigueur des règles urbanistiques élémentaires et donc la réouverture à la circulation d’un certain nombre de voies publiques obstruées.
Il est rappelé à cet égard que tous les régimes qui se sont succédé en RDC depuis l’accession du pays à l’indépendance se sont illustrés par des «faits d’armes» analogues. A l’instar, du tout-puissant conseiller spécial du défunt Maréchal Mobutu, Honoré Ngbanda, qui avait barricadé la route menant vers le Palais de la Nation à la fin des années ’80, pour sécuriser les locaux abritant ses bureaux. Sous Mzee Laurent-Désiré Kabila, son directeur de cabinet, Abdoulaye Yerodia Ndombasi, avait pris sur lui de barricader les avenues menant vers sa résidence du quartier Ma Campagne dans la commune de Ngaliema.
Les autorités nationales ne sont pas les seules à avoir privatisé les voies publiques au pays de Lumumba. A la Gombe, non loin de la paroisse catholique Ste Anne, l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique a obstrué une avenue riveraine pour prétendument sécuriser ses installations depuis plusieurs années. Il en est de même de la MONUSCO à quelques encablures de là.
Les mesures de rétablissement des normes urbanistiques enclenchées par le gouvernement demeureraient donc incomplètes, et dramatiquement politiciennes, si elles n’étaient pas intégralement appliquées, selon des observateurs.
Compte tenu des succès apparents de ces opérations de salubrité publique auprès de l’opinion, il sied d’encourager les pouvoirs publics à ne pas s’arrêter en si bon chemin.
J.N. AVEC LE MAXIMUM