Pays «post-conflit» selon l’expression consacrée, mais en réalité en état d’occupation et de guerres plus ou moins larvées depuis un quart de siècle à peu près, la RDC a organisé les 9èmes Jeux de la francophonie, du 28 juillet au 6 août 2023. A Kinshasa, la plus grande capitale d’expression française au monde créditée de quelque 15 millions d’habitants, se sont ainsi rencontrés et côtoyés plus de 3.000 compétiteurs en provenance de 37 pays, soit plus de la moitié de ceux qui à travers la planète terre ont la langue de Molière en partage. Les observateurs sont unanimes sur le sujet : pour un coup d’essai, c’est un coup de maître que le gouvernement congolais, qui organisait pour la première fois un événement de cette envergure, a réussi.
Ce ne fut pourtant pas donné d’avance. Au sein de la communauté francophone comme en RDC même, s’étaient levés moult obstacles à la tenue des jeux de Kinshasa. Au cours d’une émission sur Bosolo na Politik, une télévision kinoise, Isidore Kwandja, le directeur rd congolais de ces jeux a révélé que l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) s’était dispensée de sa contribution d’usage au budget de l’événement estimé à près de la moitié des frais d’organisation. «C’est Kinshasa qui a pris en charge la totalité des frais inhérents à l’organisation de ces 9èmes jeux qui sont avant tout des jeux de solidarité», a déclaré le maître d’ouvrage de la fête de Kinshasa, déplorant au passage ce qui est apparu comme une tentative délibérée de sabotage.
Ferveur populaire
Les jeux kinois furent une véritable fête populaire, en dépit des cris d’oiseaux de mauvais augures, ainsi qu’on peut en juger par les réactions aussi bien des compétiteurs, sportifs et artistes, que des kinois qui s’étaient découverts de nombreux hobbies.
Venus du Nouveau-Brunswick, cet Etat canadien préalablement choisi pour abriter les 9èmes Jeux de la Francophonie mais qui y a renoncé, des athlètes âgés de 18 à 35 ans se sont montrés satisfaits de leur séjour africain, le tout premier pour certains parmi eux. Elena Sehic et Vivian Kutnowski ont ramené au pays des médailles de bronze en lutte libre dans les catégories des 72 et des 64 Kg, respectivement. Elena Sehic assure avoir passé une semaine extraordinaire : «J’ai pu traverser le monde pour faire un tournoi, pour montrer mon sport et montrer d’où je viens », avait-elle fièrement déclaré à la presse, dimanche 6 août au moment de retourner au Canada. «Je me suis fait un couple d’amis du Cameroun, je me suis fait un couple d’amis de Kinshasa, qui sont venus m’encourager durant mes combats», a-t-elle expliqué. Alors que Guillaume Bouliane, représentant canadien dans la compétition ‘Contes et Conteurs’ s’extasiait littéralement devant la réussite de la cérémonie d’ouverture, le 28 juillet au complexe Olympique des Martyrs : «La parade des délégations a été l’un des moments les plus mémorables de ma vie. C’était pour ma première fois d’entrer dans un stade avec 80.000 personnes en liesse. C’était immense, une expérience surréelle» avait-il déclaré. Alors que Nelly, coach de l’équipe Libanaise de basket-ball féminin relevait plutôt la caractéristique principale de la capitale congolaise et de ses habitants : «C’est incroyable, le peuple congolais est un peuple accueillant, un peuple qui vous transmet la joie ; un peuple qui vous montre qu’il est content de vous recevoir», avait-elle indiqué. Un démenti en live des craintes exprimées par le Canada qui, à quelques jours de l’ouverture des Jeux de Kinshasa, avait annoncé la réduction à la portion congrue de sa délégation pour de fantomatiques raisons de santé et de confort et de sécurité. La France (!) et la Tunisie ont, elles aussi, claironné les mêmes réserves pessimistes. A la clôture des Jeux de Kinshasa, dimanche 6 août 2023, Peter Kazadi, vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur de la RDC, pouvait à juste titre se réjouir d’un bilan sécuritaire affichant 0 mort. «Durant les dix jours des Jeux de la Francophonie, j’affirme qu’aucun incident majeur lié aux jeux n’a été enregistré. Il n’y a eu aucun mort. La police et toutes les forces de sécurité ont démontré à la face du monde que les allégations de potentielles situations d’insécurité étaient sans fondement», avait-il fièrement déclaré aux médias.
Sécurité maximale
Certes, à Kinshasa, tout ne fut pas parfait. Jusqu’au dernier jour des Jeux, les travaux se poursuivaient encore sur certains chantiers. Le village olympique en construction sur le site du stade Tata Raphaël n’étant pas prêt, le site du campus universitaire de Kinshasa, beaucoup plus éloigné des lieux des compétitions, a été choisi pour héberger la plupart des délégations. Des problèmes d’approvisionnement en eau, de files au restaurant des athlètes, d’embouteillages ont été rapportés au début des jeux. Mais tout a été fait pour parer à l’essentiel.
Une représentante de la France interrogée sur le sujet déclare que «l’hébergement n’a pas été mauvais. Il est vrai que les conditions n’ont pas été comme à la maison mais ils ont fait des efforts pour nous mettre dans des conditions qui sont meilleures que celles de plusieurs Congolais dans la cité. On a fait avec. Il est vrai que les deux premiers jours, c’était presque chaotique mais la situation s’est vite régularisée».
Des imperfections occultées par l’extraordinaire ferveur kinoise vis-à-vis des sports que beaucoup découvraient, en réalité. Dimanche 6 août à la clôture des Jeux, les quartiers riverains du complexe omnisports des Martyrs (80.000 places assises) avaient été pris d’assaut par les kinois plus que jamais auparavant. En début de soirée, aussi bien les installations sportives du stade elles-mêmes que le Palais du peuple à quelques dizaines de mètres de là, où étaient programmées des prestations musicales avaient débordé de monde. Au point de contraindre les pouvoirs publics à diffuser des communiqués recommandant au public de ne plus s’y rendre. Du jamais vu.
Il en fut ainsi de tous les sites où s’étaient déroulées les épreuves sportives et artistiques. Au complexe des Martyrs, les deux gymnases jumelés construits pour accueillir les compétitions de basket-ball féminin (5.000 places), avaient à chaque fois refusé du monde.
Les épreuves d’athlétisme au stade des Martyrs avaient enregistré une affluence moyenne de 35.000 personnes par jour durant 4 jours de compétition.
Affluence sans égale
Le site du complexe omnisports Tata Raphaël, où se sont tenues les compétitions de lutte et de judo était rempli tous les jours, particulièrement le stade mythique de football qui a enregistré une affluence de 20.000 personnes/jour. Le tennis de table et la lutte africaine ayant provoqué le reste d’affluence d’un public se déplaçant souvent en famille.
Il y avait de quoi, après que l’organisation eut frappé très fort avec une cérémonie d’ouverture qui avait attiré quelques 80.000 personnes au Stade des Martyrs, «la plus belle et la plus grandiose de toute l’histoire des Jeux de la Francophonie», selon les mots d’Isidore Kwandja, le directeur Congolais des Jeux de Kinshasa.
Au plan strictement sportif, les Jeux de Kinshasa ont permis au pays organisateur de rafler le plus grand nombre de médailles jamais gagné dans son histoire. Sans grande préparation, la RDC s’en est plutôt bien tirée en remportant 34 médailles, dont 5 en or (9ème au classement général), mais surtout bénéficié d’excellentes installations sportives qui lui faisaient défaut depuis des lustres.
C’est le Maroc qui a terminé en tête du classement général avec 58 médailles, dont 23 en or, suivi de la Roumanie avec 38 médailles pour 17 en or et du Cameroun, troisième avec 40 médailles dont 13 en or.
Des performances exceptionnelles sont venues couronner les jeux de Kinshasa. Chez les hommes, le Camerounais Emmanuel Alobwede Eseme s’est distingué aux 100 mètres en établissant un nouveau record de 10s03’, pulvérisant ainsi les 10s07 de Jean-Olivier Zirigon. Le Sénégalais Louis-François Mendy a établi un record de 13s38, surpassant les 13s56 du Canadien Jared MacLeod à Beyrouth en 2009.
Au lancer du javelot, le Roumain Alexandru Mihaita Novac a inscrit un nouveau record de 84,64 mètres, dépassant largement les 78m62 du Polonais Grzeszczuk Aukasz en 2013 à Nice.
Records battus
Chez les Dames, la Française Marie-Josée Perec, jusque-là imbattable avec son chrono exceptionnel de 22s60 à Rabat en 1989, a été dépassée par l’Ivoirienne Jessiska Lauren Gbai qui a réalisé un chrono de 22s43’. La Burkinabè Marthe Christian s’étant pour sa part illustrée en saut en longueur en réalisant 6,94 mètres.
Par ailleurs, trois records consécutifs ont été battus aux 5.000 mètres par trois Marocains.
Les Jeux de la Francophonie organisés à Kinshasa furent donc sans conteste un succès : «cette 9ème édition restera gravée dans l’histoire comme une réussite », avait déclarée Zeine Mina, la directrice du comité international des Jeux de la Francophonie. Pour les Congolais en général et les kinois en particulier, aussi, dont le point de vue se résume dans cette déclaration de ce kinois interrogé par des confrères de la presse internationale : «Je suis très fier de mon pays car aujourd’hui, nous avons montré au monde que nous sommes aussi capables d’organiser des grandes compétitions. Il n’y a pas eu des problèmes. Il nous manquait juste la volonté et maintenant il faut penser à organiser la CAN».
Les Jeux de Kinshasa ont donc aussi fait la preuve que les autorités congolaises, qualifiées de « médiocres » et «incompétents» à travers les incantations de certains princes de l’église catholique locale, ne l’ont pas été et ne le sont manifestement pas. Ainsi que le fait observer ce fidèle catholique d’une paroisse de Lemba à Kinshasa, qui a pris part aux compétitions artistiques sur le site de l’Echangeur de Limete, «il est peut-être temps de vérifier si ce n’est pas parmi nos évêques que se terrent d’authentiques ‘médiocres’ et ‘incompétents’ serviteurs de Dieu».
J.N. AVEC LE MAXIMUM