Lambert Mende Omalanga, député national et PCA de Lignes Maritimes Congolaises SA a défendu lundi 14 août 2023 dans un amphithéâtre de l’Université pédagogique nationale (UPN) devant un public nombreux, un mémoire de Diplôme d’études approfondies (DEA) en Sciences politiques intitulé «Aspects comminatoires des relations belge-Congolaises: Paradoxe entre l’utopie de puissance et une inexorable fragilité». Il a été reçu avec la mention ‘‘la plus grande distinction’’. Ci-dessous, un résumé de ce travail de recherche.
JM
ASPECTS COMMINATOIRES DES RELATIONS BELGO-CONGOLAISES : PARADOXE ENTRE L’UTOPIE DE PUISSANCE ET UNE INEXORABLE FRAGILITE
Par Lambert Mende Omalanga
Il y a un vrai débat depuis 1960 sur les relations extérieures de la RDC entre, d’une part, les impératifs de la souveraineté nationale et, d’autre part, le rôle jugé excessif par d’aucuns de la Belgique, ancienne métropole coloniale, et de ses alliés occidentaux, dans la définition des politiques publiques congolaises. On en a eu une illustration avec les contrats sino-congolais entre 2007 et 2010, lorsqu’un ministre belge s’était rendu à Pékin pour plaider auprès du gouvernement chinois la réduction des crédits à consentir à la RDC à l’insu des autorités congolaises ! Un véritable déni de la souveraineté internationale de ce pays …
La problématique de cette dissertation est un questionnement de cet atypisme des relations belgo-congolaises caractérisées par des ingérences et des admonestations incompatibles avec le poids «relatif» de la Belgique sur l’échiquier international et le principe de l’égalité souveraine entre États qui fonde la diplomatie moderne. Il ne s’agit ni de faire grief à un État de vouloir faire prospérer ses intérêts dans ses relations avec un autre, ni de banaliser l’attirance que les potentialités économiques de la RDC suscitent chez ses partenaires extérieurs. Notre attention porte sur l’utopie de puissance de la Belgique et le complexe d’infériorité des Congolais qui entraînent leur aplatissement paradoxal face à des partenaires qui les infantilisent depuis si longtemps. L’ouvrage La saison sèche est pluvieuse (2010) d’Isidore Ndaywel dont l’oxymore de l’intitulé décrit bien ce «royaume des paradoxes» qu’est une RDC ligotée par une multitude de technostructures (religion, éducation, médias) dans un eurocentrisme assumé constitue l’armature de cette problématisation.
Mes hypothèses prennent pied sur des théories contemporaines, sur une praxis ambiante et sur les conjectures de la décolonisation du Congo. La méthodologie du travail est aux confins de la sociologie politique et de la géopolitique, à la fois dialectique et historique. Sa structuration se décline en cinq séquences essentielles : (i) les aspects conceptuels, (ii) l’historicité des contacts entre la Belgique et le Congo, (iii) le mimétisme culturel et les atavismes des élites congolaises, (iv) la décolonisation chahutée du 30 juin 1960 et (v) l’alibi démocratique qui rationalise les intrusions dans les affaires domestiques congolaises.
Les procédés comminatoires, concept fondamental de l’étude sont des interactions assorties de menaces, du genre de celles qu’un créancier utilise pour exercer une pression sur son débiteur indélicat.
Le premier chapitre présente les réponses institutionnelles les plus fréquentes de la Belgique et des occidentaux aux velléités de souveraineté des Congolais et des africains en général par le biais de quelques « bavures sémantiques » historiques standardisées par des poncifs d’une diplomatie évanescente.
Le deuxième chapitre, consacré aux ambitions africaines du roi Léopold II, a puisé dans les écrits d’un auteur autrichien Anton Zischka qui dans son ouvrage ‘’Afrique, complément de l‘Europe’’ (1955), a présenté le Congo comme « le premier pays de l’avenir en Afrique ». On en tire la conviction que la hantise de la dynastie belge pour les richesses du Congo datait de bien avant l’accession au trône de Léopold II en 1865. A la Conférence de Berlin sur le bassin du Congo de 1885, Léopold II avait profité des rivalités entre les puissances parties prenantes pour se faire attribuer la régence du Congo devenu de la sorte « une colonie internationale ». Le boom de l’industrie automobile le conduira par la suite à enjoindre à ses administrateurs de tirer le maximum de profit de la cueillette du caoutchouc, au prix des massacres et des violations massives des droits des autochtones qui n’accomplissaient pas cette corvée.
David Van Reybrouck (Congo, une histoire, 2010) renseigne que c’est en 1892, que le géologue belge Jules Cornet a découvert le cuivre au Katanga («Le Congo est un scandale géologique ») . En 1903, des prospecteurs ont mis à jour des filons aurifères à Kilo (Ituri) et Moto (Haut-Uélé) au Nord du Congo.
Dans sa monographie sur ‘’La Belgique coloniale et le Congo’’, Kambayi Bwatshia a détaillé comment le « conquistador financier » qu’était Léopold II a fait main basse sur tout ce pactole en imposant le paiement des «redevances» à quiconque voulait l’exploiter. Avant de mourir en 1909, sans avoir jamais mis les pieds au Congo, Léopold II va gager ce pays avant de le vendre carrément à la Belgique mais ni cette transaction (1908), ni l’indépendance congolaise proclamée un demi-siècle plus tard en 1960 par un de ses arrière-petit-fils, le roi Baudouin 1er, n’ont remis en cause le statut de ‘’colonie internationale’’ du Congo qui justifie les attitudes comminatoires sous examen.
Le troisième chapitre se penche sur l’intériorisation par les élites congolaises des lieux communs racistes et sur la manipulation des atavismes communautaires et des polémiques politiciennes entre autochtones pour brider les décideurs dans ce pays. Patrice Lumumba, le père de l’indépendance, en a été une victime emblématique. La défenestration de son gouvernement et son remplacement par un éphémère Collège des Commissaires généraux composé d’étudiants cornaqués par la Belgique 33 jours seulement après son investiture sur fond des sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï illustrent parfaitement le caractère cosmétique de l’indépendance proclamée le 30 juin 1960. Les démêlées de ce fameux Collège des Commissaires avec ses mentors belges démontrent qu’au-delà du radicalisme de Lumumba dont on parle tant, la déconsidération des Belges à l’égard des Congolais reposait en réalité sur une ethnologie raciste et manichéenne.

Pour Louis Kalubi, cette situation pernicieuse devrait être juxtaposée à la non-invalidation formelle des traités et accords internationaux signés jusqu’en 1960 avec divers partenaires par les plénipotentiaires de l’EIC, du Congo-belge et de la Belgique en charge des relations extérieures de l’ancienne colonie belge, à l’indépendance du Congo et même après. Ainsi, du strict point de vue juridique, ces textes qui enchaînent la vie nationale et internationale du Congo à la Belgique peuvent être considérés comme liant toujours le Congo en vertu du principe de continuité de l’État. C’est en tout cas une vision qui transparaît dans l’agir de nombreux officiels belges dont la politique congolaise demeure caricaturalement intrusive, ainsi que l’attestent les litiges économiques irrésolus (contentieux belgo-congolais) et les crimes de sang (Lumumba) qui jalonnent l’histoire des relations entre les deux États après 1960.
A ce sujet, l’opuscule Lumumba, un crime d’État de Colette Braeckman (2009) prend le contrepied des conclusions de la Commission d’enquête parlementaire belge présentant l’assassinat du premier 1er ministre congolais comme résultant de conflits entre factions unitaristes et irrédentistes congolaises. La volonté impériale de certains dirigeants belges vis-à-vis du Congo se manifeste également à travers le recours systémique à des sanctions européennes initiées par Bruxelles contre des responsables congolais jugés « indociles ». C’est une forme de réédition de la «mission civilisatrice» belge au Congo plus de 60 ans après l’indépendance car, selon le Professeur Auguste Mampuya, dès lors qu’elles ne sont pas initiées par le Conseil de sécurité des Nations-Unies, de telles sanctions sont contraires au droit international car leur infliction relève exclusivement de cette instance. Cela n’a pas empêché en 2018 des acteurs congolais et africains de premier plan (CENCO, Paul Kagame) de faire chorus avec des suprématistes belges qui justifiaient leur interventionnisme au Congo par une prétendue «non-conformité» à on ne sait quoi des résultats de l’élection présidentielle qui venait de se tenir en RDC. Il est symptomatique que les uns et les autres se soient ravisés aussitôt que M. Didier Reynders, alors chef de la diplomatie belge ait pris acte de la proclamation du nouveau président Félix Tshisekedi tout en exigeant « un changement d’orientation politique au Congo ».
Ces tergiversations qui s’expliquent dans le chef d’acteurs allochtones (Belges, Rwandais…) au regard de leurs propres Intérêts Nationaux prennent pour les élites congolaises les allures de cette « angoisse quasi-névrotique » que le psychologue Jean-Paul Yawidi chez nombre d’intellectuels de ce pays.
Dans le quatrième chapitre consacré à l’indépendance, il appert assez clairement que, même réduit à la portion congrue, le gâteau Congo reste lourd à digérer pour la seule Belgique, d’où l’association au festin des autres puissances occidentales. Il y est démontré, à la suite de Cheikh Anta Diop, « la nocivité des mythologies élaborées et imposées par les nations européennes dans l’unique but de garder leur statut de centre d’impulsion et d’orientation de la vie politique et économique des africains ». Venance Konan, un auteur ivoirien a publié (2018) dans cette veine, un ouvrage intitulé «Si le Noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber !» dans lequel il déplore la tendance des élites africaines à «faire démarrer leur histoire à la rencontre avec les colonisateurs et à se considérer comme une banlieue de la civilisation européenne». Erik Bruyland, un Belge né au Congo, évoque dans son livre «Cobalt Blues» la «nokologie» des Congolais, un néologisme tiré du terme ‘’noko’’ (oncle en lingala), utilisé dans le pays pour désigner l’homme blanc et ramène à la surface le «brutalisme», un autre néologisme que l’on doit à Elikya Mbokolo pour dépeindre la cruauté des administrateurs coloniaux au Congo.
J’y ai affiché le témoignage inédit de Thomas Kanza, disciple de Lumumba, qui, estime qu’à force de s’en remettre à la seule Belgique responsable des dysfonctionnements de leur société pour y remédier, de nombreuses élites congolaises condamnent elles-mêmes leurs efforts d’émancipation. Pour Kanza même son maître Lumumba, avait été victime de cette gestion belgo-centrée des affaires de son pays lorsque, négligeant le poids du lobbying aux Etats-Unis de la très respectée Mme Eleanor Roosevelt auprès du président élu John Kennedy qui, en attendant son investiture (20 janvier 1961), lui avait recommandé, de rester «as cool as a cucumber» à Léopoldville en attendant son inauguration après laquelle il mettrait fin à ses tourments, il avait suivi l’avis de ses bouillants lieutenants obnubilés par la supposée omnipotence des Belges qui le firent évader vers Stanleyville, ce qui aurait précipité son destin tragique le 17 janvier 1961.
Le cinquième et dernier chapitre est relatif au rôle de gendarmes par procuration que s’attribuent l’ONU et certains pays occidentaux gros contributeurs dans cette organisation mondiale dans la gestion des crises congolaises qui continuent à percevoir la RDC comme une colonie internationale. C’est à un bégaiement incessant de l’histoire que l’on assiste dans cet espace où la Conférence de Berlin a créé de bric et de broc un État dans lequel d’autres États peuvent servir exclusivement leurs intérêts.
En conclusion, je note la persistance des aspects comminatoires dans les relations belgo-congolaises et leur exacerbation due aussi bien à l’illusion de puissance dans le chef des élites occidentales en général et belges en particulier combinée à leur fragilisation sur la scène géopolitique globale.
Lors de sa récente visite en RDC, le Pape François a vivement déploré dans un commentaire du lieu commun italien«Africa va fruttata», signifiant que l’Afrique est destinée à être exploité aussi bien l’entêtement chez les occidentaux de cette mentalité colonialiste quele manque de courage des africains à assumer pleinement leur indépendance.
Il importe donc pour les élites congolaises de décomplexer leur rapport à l’occident et d’aller plus loin que la satisfaction superficielle des cérémonies mémorielles de l’indépendance en mettant concrètement en œuvre des politiques publiques autour de cinq priorités : (1) la production nationale pour éradiquer le sous-développement, (2) la défense des Intérêts Nationaux et de la souveraineté nationale, (3) la promotion d’une citoyenneté responsable, (4) la maîtrise de la science et de la technologie et (5) la lutte contre le révisionnisme et les externalités négatives sécrétées dans le tissu sociopolitique du Congo.
C’est à ces conditions, et à ces conditions seulement que seront ramenées à la surface les aspirations légitimes du peuple congolais qui doivent être rééquilibrées avec les attentes de leurs anciens maîtres car, ainsi que le soutenait à bon escient le philosophe grec présocratique Héraclite d’Éphèse, «malgré les apparences, rien ne demeure identique. Tout se fait et se défait constamment ».