Augustin Matata Ponyo Mapon, ancien 1er ministre sous Joseph Kabila, n’échappera finalement pas à la justice de son pays. Poursuivi pour détournements de fonds destinés au Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo (Kwango) qui a vu s’évaporer comme une fumée de grange quelques 115 millions USD, ce technocrate qui n’a eu de cesse de vanter ses aptitudes à la bonne gouvernance est sommé de rendre compte devant la plus haute juridiction pénale du pays à ce sujet.
Bukanga-Lonzo, une bourgade située à quelques centaines de km de Kinshasa est connue pour ses terres arides. Rien ne semble avoir jamais poussé sur le site tout en broussailles choisi par l’homme à la cravate rouge pour prétendument innonder Kinshasa en produits frais. Malgré d’impressionnantes machines agricoles importées, à grands frais et à grand renfort de publicité. A telle enseigne que pour ne pas perdre la face, les gestionnaires du projet en furent réduits à faire venir subrepticement de la semoule de maïs d’Afrique du Sud pour la vendre à des prix défiant toute concurrence sur les marchés de la capitale avec des étiquettes Bukanga-Lonzo. Un simulacre trop onéreux qu’il fallut arrêter après que plus de 200 millions USD soient partis en fumée. C’était en définitive rien moins qu’une arnaque. Ni Augustin Matata, le maître d’oeuvre de ce projet mort-né, ni certains de ses collaborateurs au sein du gouvernement d’alors, et encore moins l’entrepreneur Sud-africain Safricom chargé de l’exécution du projet ne veulent assumer la moindre responsabilité dans l’hécatombe de Bukanga-Lonzo.
Dans les médias, les protagonistes du projet se rejettent mutuellement la faute : selon l’ancien 1er ministre élu au Sénat en 2018, qui apparaît aux yeux de tous comme le premier responsable de cette prévarication, le projet Bukanga-Lonzo aurait été «saboté par des adversaires politiques jaloux de ma réussite». Sans plus.
Plus de 200 millions USD
Cet argument lapidaire de Matata ne permet nullement de retracer le pactole ainsi anglouti comme par enchantement.
La pilule Bukanga-Lonzo s’avère impossible à avaler. La nouvelle majorité au pouvoir, dirigée le président de la République élu en décembre 2018 Félix Tshisekedi Tshilombo avait cru pouvoir aller de l’avant sans trop fouiner dans les tiroirs mais rien n’y fait. Une enquête de routine menée par les fins limiers de l’Inspection générale des finances à la demande de Matata Ponyo lui-même, a révélé l’étendue du gâchis matatesque devant lequel aucun esprit avisé ne pouvait rester indifférent. L’ancien chef du gouvernement est bien l’auteur intellectuel, et à certains égards le bénéficiaire, de la débâcle du projet qu’il avait personnellement conçu, planifié et pour lequel il a engagé des sorties de plus de 83 % des dépenses effectuées au profit des comptes du partenaire sud-africain et de ses filiales en violation de toutes les réglementations en vigueur.
Le rapport de l’IGF reproche au premier chef à Matata Ponyo la procédure du choix de ce partenaire qui n’avait que trois ans d’existence au moment de la signature du contrat de gestion, contrairement aux exigences légales de passation des marchés publics en RDC.
Conséquence de cette légèreté dans le chef d’un homme qui revendique ‘urbi et orbi’ le label de bonne gouvernance au point d’en faire la dénomination de son tout nouveau parti politique. Des montants faramineux se sont volatilisés dans l’achat d’équipements coûteux, dont certains ne furent jamais livrés ; des frais de gestion ont été indûment payés à des prestataires sans titres ni droits, notamment à travers des paiements au titre de libération du capital social au-delà du montant de la quotité due par l’Etat congolais dans un certain nombre de sociétés privées. Tous ces faits ainsi que l’opacité qui les a entourés ont conduit les collaborateurs de Jules Alingete Key à dénoncer un cas flagrant de dol et de négligence en matière de garanties de bonne gestion par le partenaire sud-africain. «Africom déterminait les besoins en investissements, passait les commandes, fixait les prix et achetait les équipements, matériels et intrants sans être mis en concurrence avec d’autres fournisseurs», déplorent, entre autres, les inspecteurs des finances. Au total ce sont bien 205 millions USD qui ont été détournés sur 285 millions décaissés par le Trésor public.
Tentatives de contournement de la justice
Le 10 mai 2021, Augustin Matata qui séjourne à Conakry dans le cadre d’un projet de consultance avec le président guinnéen déchu Alpha Condé, annonce avec pompe son retour en RDC «pour se mettre à la disposition de la justice». Ancien directeur général du BCECO passé par le ministère des Finances avant de battre le record de longévité à la tête du gouvernement, a bien rappliqué à Kinshasa mais pas pour aider la justice à voir clair dans la nébuleuse Bukanga-Lonzo. Tout laisse croire qu’il s’agissait pour lui de brouiller les pistes pour mieux la contourner.
Au cours d’un point de presse, le 12 mai 2021 à Kinshasa, Matata Ponyo lance la première estocade aux instances judiciaires de son pays en dénonçant «une justice politiquement instrumentalisée», avant de se calfeutrer derrière ses immunités parlementaires. Celles-ci vont lui sauver la mise face au réquisitoire adressé à la chambre haute du parlement par le procureur général près la cour constitutionnelle, Mukolo Nkokesha aux fins d’obtenir une autorisation de le poursuivre. «Après l’exercice de leurs fonctions, leur juge pénal reste la Cour constitutionnelle pour les actes commis pendant l’exercice de leurs fonctions », avait écrit le procureur général dans sa correspondance au Sénat, expliquant que «votre saisine se justifie dans le cas du sénateur Matata Ponyo, non pas parce qu’il était premier ministre, mais parce qu’il est devenu sénateur».
Dans cette chambre parlementaire alors encore largement acquise à l’ancienne majorité politique, un vote à main levée s’était frileusement opposé à la requête du parquet. Le sénat refusait ainsi de livrer l’ancien 1er ministre.
Cette victoire ne sera néanmoins que de courte durée. Puisqu’il sera de nouveau sur la sellette à la suite d’un nouveau réquisitoire introduit le 24 juin 2021 au bureau du Sénat par le même procureur général Mukolo, accusant Matata Ponyo d’avoir dédommagé par une procédure illégale 300 pseudo-anciens propriétaires des biens zaïriannisés à l’époque par le président Mobutu Sese Seko à travers des décaissements de l’ordre de 110 millions et de 27 millions USD.
Lundi 5 juillet 2021, en période de vacances parlementaires, le bureau du Sénat a accédé à cette deuxième demande de levée d’immunités du sénateur Matata en même temps qu’il autorisait des poursuites judiciaires à son encontre.
Stratégie de l’esquive
Au lieu de présenter ses moyens de défense devant les instances judiciaires, Augustin Matata choisit de nouveau l’esquive en multipliant les stratagèmes pour échapper à ses juges. Mi-juillet 2021, il est placé sous mandat d’arrêt provisoire et assigné à résidence par le parquet auquel il refusera obstinément de répondre sur l’affaire Bukanga-Lonzo en prétextant qu’elle ne fait pas l’objet de la levée de ses immunités parlementaires, qui concernent plutôt le dossier relatif à la zaïrianisation.
Ces manœuvres qui permettent à la cohorte d’avocats qu’il s’est offert à grand frais d’avancer l’idée selon laquelle si la cour constitutionnelle est effectivement la juridiction du chef de l’Etat et du 1er ministre, selon l’article 163 de la constitution, l’article 164, qui précise que «la Cour constitutionnelle est leur juge pénal pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits
d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices» et que Matata Ponyo n’étant pas 1er ministre en fonction, il échappe à la compétence de cette haute juridiction. Pur sophisme.
Lundi 30 août 2021, le procureur général Jean-Claude Mukolo transmet le dossier Bukanga-Lonzo pour fixation à la cour constitutionnelle et maintient la mesure d’interdiction de sortie du territoire national imposée à l’ancien 1er ministre, qui entretemps, faisait grand bruit autour de son état de santé nécessitant un séjour à l’étranger.
L’arrêt Kaluba
Le 15 novembre 2021, une composition de la cour constitutionnelle dirigée par le pénaliste Dieudonné Kaluba Dibwa se laisse convaincre par l’argumentaire d’un autre pénaliste, Raphaël Nyabirungu Mwene Songa, tête d’affiche de l’équipe de défense de Matata et se déclare incompétente pour juger l’ancien 1er ministre devenu sénateur. La patate chaude est ainsi transmise à la Cour de cassation, juge naturel des membres des chambres parlementaires, qui va s’empresser à son tour de s’en déssaisir elle aussi et de renvoyer l’affaire devant … la cour constitutionnelle pour une interprétation de l’article 164 de la constitution.
La sentence en a surpris plus d’un en RDC, où les conjectures sont allées bon train sur ce citoyen qui, du fait d’avoir été 1er ministre, serait devenu ipso facto, un véritable hors-la-loi, à l’abri de toute poursuite pénale pour des faits repréhensibles avérés. Parmi les juristes, l’affaire déclenche un débat houleux alimenté par la faconde talentueuse de Raphaël Nyabirungu, un professeur émérite de la faculté de Droit de l’Université de Kinshasa qui défend bec et ongles son client. Le principal intéressé en profite pour mieux se prémunir contre d’éventuelles poursuites judiciaires.
Fin avril 2022, Matata Ponyo annonce la création de Leadership et Gouvernance pour le Développement (LGD), son parti politique et annonce sans surprise à la faveur d’un congrès extraordinaire sa candidature à l’élection présidentielle 2023.
Malheureusement pour lui, répondant enfin à la requête en interprétation de l’article 164 de la constitution, la cour constitutionnelle s’est, cette fois-ci, déclarée compétente pour juger un ancien premier ministre. Pour la haute cour en effet «l’expression ‘‘dans l’exercice des fonctions’’ telle qu’envisagée à l’article 164 de la constitution signifie qu’il faut que le président de la République ou le premier ministre, ait été en train de procéder à l’un des actes de sa fonction et doit être dans une situation d’exercice effective des fonctions. Il peut donc être poursuivi pendant son mandat suivant la procédure dérogatoire au droit commun prévue dans la constitution ; Dit en outre que l’expression une infraction commise ‘‘à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions’’ telle qu’envisagée à l’article 164 de la constitution signifie que c’est aussi le cas même s’ils ont perpétré l’infraction en dehors des fonctions mais en raison des actes professionnels accomplis dans la procédure dérogatoire au droit commun prévue dans la constitution. Dit que la cour constitutionnelle est seule compétente pour connaître les infractions commises par le président de la République ou le premier ministre dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ; Dit que la Cour constitutionnelle est le juge pénal d’un ancien président de la République ou d’un premier ministre qui n’est plus en fonction au moment des poursuites et ce, en parfaite harmonie avec l’esprit du constituant…».
Revirement en toute légalité
Dans le camp Matata, avocats et partisans se sont égosillés pour crier au «scandale» parce qu’à leur avis, la cour constitutionnelle se serait dédite. A contrario, plusieurs voix expertes soutiennent la position de la plus haute instance judiciaire congolaise. C’est notamment le cas du professeur ordinaire Jean-Louis Esambo Kangashe et de son collègue Banyaku Luape, tous anciens juges à la cour constitutionnelle pour qui, cette dernière est fondée à revenir sur un de ses arrêts en vertu du principe du revirement dans les conditions prévues expressis verbis dans son règlement intérieur.
Le 7 août 2023, un troisième jurisconsulte, et pas des moindres, le professeur Luzolo Bambi Lessa, ancien ministre de la Justice a affirmé que la cour constitutionnelle était bel et bien compétente pour juger l’ancien 1er ministre en vertu du principe de la cristallisation. «Le juge compétent est celui en place au moment des poursuites. Le premier arrêt de la cour constitutionnelle a méconnu l’un des principes fondamentaux du pénal qui est celui de la cristallisation», estime ce pénaliste de la première Université du pays, également ancien juge constitutionnel.
Manifestement acculé sur le terrain judiciaire et doctrinal, Matata Ponyo continue à se livrer à des artifices pour échapper aux poursuites ainsi que l’illustre cette prétendue décision de sa base de Kindu de le retenir dans ce chef-lieu de la province du Maniema pour éviter de répondre à la justice. Une tentative aussi désespérée que vaine car le parquet dispose de moyens suffisamment contraignants pour l’obliger à se présenter devant son juge naturel.
J.N. AVEC LE MAXIMUM