En RDC, la tenue dans moins de cinq mois maintenant des quatrièmes scrutins électoraux de la troisième République est de plus en plus certaine. L’hypothèque financière qui pesait sur la mise en œuvre du calendrier électoral levée, il paraît de plus en plus évident que rien n’empêchera plus la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de respecter les échéances qu’elle s’était fixée en programmant la présidentielle, les législatives nationales, les provinciales et les locales le 20 décembre 2023. «Le gouvernement a fait sa part. Cela nous permet de faire de grandes acquisitions. Il y a des arriérés, mais cela ne nous empêche pas de travailler», déclarait, début juillet sur la radio Top Congo FM à Kinshasa, Denis Kadima, le flegmatique président de cette institution d’appui à la démocratie. «Sur le plan technique, en dépit de tout ce qu’il peut y avoir comme problèmes, nous sommes prêts. Nous sommes sur la voie de la tenue des élections à la date prévue. Je ne vois rien qui puisse nous arrêter», ajoutait-il.
La mise en œuvre des opérations pré-électorales semble donner raison au président de la CENI. Le 23 juillet 2023, les dépôts des candidatures aux législatives nationales se sont clôturés après une semaine de prolongation due à la lenteur observée dans le chef de nombre des partis et regroupements politiques en raison, notamment, du taux élevé de la caution exigée. Mais au finish, une sorte de sélection naturelle aura permis d’éliminer un certain nombre de prétendants incapables de passer par les mailles du filet tissé par le législateur pour ramener leur nombre à des proportions gérables sans compromettre l’essentiel.
20.000 candidats à la députation nationale
Car, contrairement aux rumeurs de défaut d’engouement dans les bureaux de réception des candidatures que certains s’étaient empressés de distiller aux quatre vents, les 168 bureaux de réception et de traitement des candidatures (BRTC) ouverts sur l’étendue du territoire national ont enregistré 25.000 candidatures aux législatives nationales. Soit, une moyenne de 50 candidatures par siège électoral, un taux jamais atteint depuis les premières élections organisées en 2006, renseigne encore le président de la CENI.
Mercredi 2 août 2023, la CENI a, ainsi que le prévoit le calendrier électoral, procédé à la convocation de l’électorat pour les élections des députés provinciaux et des conseillers communaux, après que le week-end eût été consacré à un cadre de concertation avec les mandataires des partis et regroupements politiques intéressés. Les BRTC seront opérationnels durant 20 jours, soit du 3 au 22 août 2023 de 8 h 30 à 16 h 3, indique la centrale électorale.
Reste que des pressions politiques tendant à retarder ces scrutins qui donnent perdants des adversaires du président de la République en place, candidat à sa propre succession en décembre prochain, se font plus fortes que jamais. Le camp politique du président de la République honoraire, Joseph Kabila qui, bien qu’aphone est demeuré un acteur influent dans le paysage politique national, a décrété le boycott des scrutins de décembre. Autant que Martin Fayulu, un candidat malheureux à la présidentielle de 2018 qui, à l’instar du FCC de Joseph Kabila, exige la recomposition de la CENI et de la Cour constitutionnelle avant la tenue des scrutins.
A ces deux tendances de l’opposition s’ajoutent les candidats déclarés à la prochaine présidentielle, Moïse Katumbi, Augustin Matata et Delly Sessanga qui, tout en partageant les préoccupations du FCC et de Lamuka, ont quant à eux pris le train des élections. Même s’ils n’en jouent pas moins des pieds et des mains pour discréditer à l’avance le travail de la CENI et des institutions en place.
Activisme politique hostile
A ce tableau, il faut ajouter quelques organisations de la société civile proches de l’opposition, particulièrement l’église catholique romaine de RDC dont certains évêques déploient un activisme politique sans pareil pour peser sur l’évolution des élections à venir. Si en 2018, certains évêques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) avaient quasiment mué leur mission d’observation électorale en une commission électorale parallèle, allant jusqu’à proclamer ‘‘président élu’’ un candidat n’ayant pas pu engrager sur sa liste plus de deux députés nationaux sur les 500 que compte l’hémicycle, pour 2023, ce quarteron de prélats paraît encore plus déterminé. Engagés aux côtés du candidat du regroupement Ensemble pour la République, Moïse Katumbi Chapwe, ce groupe cornaqué par Mgr Fulgence Muteba, archevêque de Lubumbashi et le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, remuent ciel et terre pour influencer le choix des fidèles catholiques en particulier et des Congolais en général. Et participe à la préparation du projet de la terre brûlée au cas où les résultats électoraux s’avereraient contraires à leurs desseins.
Conséquence de toute cette agitation, la mise en œuvre de ce qui reste du processus électoral d’ici décembre 2023 se déroule dans un climat délétère que chacun déplore et dénonce en tirant la couverture de son côté, sans pour autant contribuer à l’apaisement des esprits.
Résolument opposé à la tenue des élections en décembre prochain, au motif que la cour constitutionnelle chargée de valider in fine les résultats de la présidentielle n’a pas été recomposée, et que l’audit externe du fichier électoral ne s’est pas effectué, Martin Fayulu s’est lancé dans une campagne de mobilisation des Congolais contre les scrutins de décembre prochain. Dont il se fait fort d’empêcher la tenue, à tout prix. Dimanche 30 juillet 2023, il a animé un meeting populaire à cet effet sur un terrain de football de Ndjili, dans la partie Est de Kinshasa qui n’a pas attiré grand-monde. Néanmoins, les militants de son parti politique se rendant à pied à ce meeting se sont livrés à des voies de fait sur des paisibles citoyens le long de leur parcours, mettant à sac au passage le siège de Nouvel Elan, le parti d’Adolphe Muzito situé sur le boulevard Lumumba à Masina.
Cocktails molotov à Masina
Selon Blanchard Mongomba, porte-parole de Nouvel Elan, des cocktails Molotov ont été découverts parmi les projectiles lancés contre le siège de cette formation politique. La preuve, selon lui, que «l’intention des assaillants était d’incendier le bâtiment». Malgré les dénégations publiques des partisans de Martin Fayulu, peu convaincantes au vu de nombreuses vidéo en circulation sur les réseaux sociaux qui les montrent prenant d’assaut les lieux et provoquant des troubles sur la voie publique, les observateurs notent que la confection des cocktails molotov requièrent une préparation et une formation ad hoc aux tactiques terroristes.
«Martin Fayulu et ses partisans se prépareraient à mettre Kinshasa à feu et à sang qu’il ne s’y prendraient pas autrement», confie un criminologue de la faculté de droit de l’université de Kinshasa. Sur Radio Top Congo (émission « Le Débat ») des témoins ont récemment rapporté qu’à Masina III, un quartier chaud riverain du boulevard Lumumba à Masina, et qui tient lieu de base des inconditionnels du parti de Fayulu, quelques jeunes drogués opérant en bandes organisées se réclamant de l’Ecidé érigent des barricades et se livrent à des actes d’extorsions au détriment des passants.
C’est donc un soulèvement populaire que prépare un Fayulu que l’opinion rd congolaise avait déjà vu à l’œuvre en juin 2023, lorsqu’il haranguait des jeunes manifestement sous l’effet de substances hallucinogènes qu’il envoyait attaquer des policiers.
Il n’est pas le seul à s’engager sur cette voie de la terre brûlée. A Lubumbashi (Haut-Katanga), sont signalées des scènes de violence opposant des militants des partis politiques entre eux ou aux forces de l’ordre.
Lundi 31 juillet 2023, la Jeunesse de l’Unafec, le parti de feu Kyungu wa Kumwanza désormaisécartelé par des divisions internes, mais demeuré tristement célèbre à cause du pogrom contre les communautés kasaïennes sous la IIème République, ont organisé un meeting dans la commune de la Kenya pour braver les autorités provinciales qui leur interdisent l’accès au centre d’affaires de la ville.
La Junafec sur les traces de la Juferi
Mais il y a pire que cette simple défiance à l’autorité établie (par le pouvoir en place à Kinshasa, s’entend). Les tensions socio-politiques avaient déjà atteint ici un niveau de violence insoupçonnée le 24 mars 2023, lorsque des affrontements entre des jeunes de la Junafec et les forces de l’ordre qui les empêchaient d’investir la haute ville de Lubumbashi avaient provoqué morts d’hommes. Au moins 5 corps sans vie avaient, en effet, été retrouvés dans la rivière Naviundu, selon le maire de la Ville, Martin Kazembe, qui avait aussi annoncé l’ouverture d’une enquête afin de déterminer les responsables de ces crimes.

Jeudi 6 juillet 2023, des affrontements nés d’une dispute autour de la gestion des parkings entre éléments de la Junafec et de l’UDPS avaient occasionné la mort d’au moins deux personnes. Des témoins expliquent qu’en réalité, les protagonistes se disputaient le marquage de leurs ‘‘territoires’’ dans le chef-lieu au Haut-Katanga, chaque camp entendant circonscrire son champ d’activités en y installant les drapeaux de son parti.
On signale ainsi l’apparition à Lubumbashi et dans certaines agglomérations de la province cuprifère, de groupes de jeunes de certains partis politiques séparatistes qui font régner un climat de terreur qui n’est pas sans rappeler celui qu’instaura la Juferi de Gabriel Kyungu wa Kumwanza et Jean Nguz-Karl-I-Bond dans les années ‘90. «Dans certains quartiers, ils érigent des barrières et imposent des taxes aux passants, particulièrement à ceux qui sont perçus comme non originaires du Katanga», rapportent des témoins. C’est à ces groupes d’exaltés que l’on doit l’incident malheureux qui a opposé des jeunes manifestants de la Junafec à une unité FARDC à Lubumbashi, qui s’est soldé par morts d’hommes. «Les jeunes de la Junefec tentaient une marche vers le centre de Lubumbashi lorsqu’ils se sont trouvés face-à-face avec les éléments FARDC envoyés pour les en empêcher», expliquent encore nos sources au sujet de cette affaire autour de laquelle s’observe un curieux silence. Particulièrement de la part des princes de l’église catholique, pourtant prompts à dénoncer les bavures des forces de l’ordre.
Rumeurs de sécession au Katanga
Dans le même sens, circulent également, depuis de nombreux mois, des informations faisant état de la gestation de groupuscules armés décidés à soutenir un projet de sécession du Katanga à partir de la Zambie voisine. A l’appui de ces graves dénonciations, on mentionne des échanges téléphoniques et de vidéos présentant les cartes de la nouvelle province sécessionniste avec drapeaux et emblèmes.
Le 15 juillet 2023 à Kinshasa, une partie de la ville avait failli s’embraser lorsque des manifestants se réclamant d’Ensemble pour la République de Katumbi, avaient barricadé la route devant le siège du parti et brûlé des pneus sur la chaussée en guise de deuil en mémoire de feu Chérubin Okende, un député national membre d’ER assassiné quelques jours plus tôt dans des conditions non encore élucidées. La tension était, en effet, montée d’un cran lorsque les forces de police dépêchées sur les lieux entreprirent de neutraliser les inciviques qui s’étaient également livrés à des actes de vandalisme dans un sous-commissariat de la police à proximité, portant atteinte à l’intégrité physique des policiers en faction.
Ces menaces terroristes dans les grandes agglomérations congolaises sont une sorte d’épée de Damoclès sur la tenue des élections attendues en RDC.
J.N. AVEC LE MAXIMUM