Moins d’une semaine avant la fin du dépôt des candidatures aux législatives de décembre prochain, Martin Fayulu Madidi, l’Ecidé, son parti politique et ce qui lui reste de l’ancienne coalition Lamuka confirment leur boycott. Le candidat malheureux à la présidentielle de 2018 l’a dit au cours d’une conférence de presse mercredi 12 juin 2023 à Kinshasa, se fondant sur le refus par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) d’un nouvel audit externe du fichier électoral, une des conditions posées par le groupe de 4 candidats à la présidentielle 2023 (Fayulu, Katumbi, Sessanga, Matata). «Malheureusement, il est aujourd’hui clair que la CENI ne veut pas se soumettre à l’audit externe de son fichier parce qu’elle sait bien qu’il contient des fictifs. De ce fait, nous réaffirmons notre position : en l’absence d’un fichier fiable, audité par un organisme indépendant réputé, en présence des délégués des parties prenantes, nous ne déposerons pas nos dossiers de candidatures», a précisé le président de l’Ecidé. Avant d’en appeler à la mobilisation «pour empêcher que la parodie électorale en préparation ne se réalise».
Les dés semblent donc jetés pour Fayulu et ses hommes, ou ce qui lui en restera après la décision, lourde de conséquences, de boycotter les législatives. Ne pas postuler aux prochaines élections, cela veut dire demeurer hors jeu durant les prochaines 5 années à venir. Peu d’acteurs politiques congolais y sont disposés. Même pour les beaux yeux de Fayulu, que beaucoup dans l’opinion donnent perdant à la prochaine présidentielle s’il osait une candidature. C’est ce qui expliquerait le boycott suicidaire annoncé le 12 juillet 2023.
Décision suicidaire
Au sein même de l’Ecidé, les secousses provoquées par les vagues déclenchées par Fayulu se sont déjà fait sentir. Ados Ndombasi, un des rares élus nationaux du parti à Kinshasa, avait déjà rendu publique une correspondance appelant son président à revoir sa position avant de claquer carrément la porte. Une perte énorme pour ce dernier, proclamé président élu par une fantomatique mission d’observation de la CENCO sur pied de résultats de quelques provinces de l’Ouest de la RDC, mais dont le parti n’a jamais réussi à aligner plus de 10 élus dans les trois scrutins électoraux organisés en RDC depuis 2006.
Au lendemain de la publication d’un communiqué de la CENI rappelant aux parties prenantes aux élections la forclusion des opérations d’enregistrement des candidatures aux législatives 2023, fixée au 26 juillet courant, Jean-Baptiste Kasekwa, un autre député national Ecidé, élu de Beni (Nord-Kivu), s’était lui aussi fendu d’une déclaration soutenant que «Lamuka va déposer les dossiers de ses candidats à la députation nationale. Les frais de caution pour ce faire ont été libérés» en attendant l’avis de la CENI sur l’audit du fichier électoral, le 4 juillet 2023. Un peu trop tôt, à en juger par la tournure prise par les événements. Il y a tout lieu de craindre que le radeau ne se vide de tous ses occupants, selon plusieurs observateurs.
Même l’appel à la mobilisation pour faire échec au processus électoral en cours, d’ici la fin du dépôt des candidatures aux prochaines législatives, paraît voué à l’échec. A l’instar des 4 dernières prestations publiques organisées à Kinshasa, qui se sont toutes terminées en eau de boudin.
Le fiasco de Ndjili
Le rassemblement populaire tenu à l’appel des 4 candidats à la prochaine présidentielle, organisé à grand renfort de publicité comme pour conjurer l’échec des trois précédentes sorties publiques, s’était avéré piteux. Place Ste Thérèse dans les faubourgs kinois de Ndjili, pourtant présentés comme le fief de Martin Fayulu, l’événement est passé quasiment inaperçu. Comparativement aux prestations antérieures du président de l’Ecidé dans cette partie densément peuplée de la capitale de la RDC. La 4ème manifestation publique organisée avec le concours de trois autres prétendants au top job en RDC avait fait flop, elle aussi. Prévu à 12 heures, le meeting n’a effectivement démarré qu’autour de 16 h 30, avec l’arrivée, plus discrète que de coutume, de l’homme fort supposé des lieux. Au du début des harangues, c’est à peine si quelques dizaines de sympathisants enfilant des drapeaux de leurs partis respectifs dans leurs tiges étaient encore visibles sur les lieux.
En fait des lieux, il s’agissait d’un seul des cinq terrains de football bien connus de la Place Sainte Thérèse, à quelques dizaines de mètres de la station-service du quartier : au fond, à même la ligne de touche, à quelques mètres des habitations avait été érigée une belle tribune, juste devant les buts en fer peints en blanc. Un orchestre se préparait à entretenir la chaleur des manifestants en réglant les sons des instruments de musique. Mais l’engouement habituel n’y était pas.
Mobilisation laborieuse
Des groupuscules de sympathisants, rivalisant d’ardeur en chants et slogans comme pour se donner du courage, gagnaient progressivement les lieux. Toutes les 10 à 15 minutes, un taxi, un mini-bus en déposait qui brandissaient les drapeaux de l’Ecidé de Martin Fayulu, visiblement plus nombreux ; mais aussi ceux d’Ensemble pour la République de Moïse Katumbi, de la LGB d’Augustin Matata ou encore ceux d’Envol, le discret parti politique de Delly Sessanga.
Ce n’est qu’à 15 heures, qu’une 4 x 4 blanche escortée par une escouade de policiers s’était immobilisée à une centaine de mètres de la tribune de circonstance avec à son bord l’orateur du jour. Elle appartenait à un cadre du parti de Katumbi, à en juger par le mouvement des porteurs des drapeaux d’ER accourant pour disputer la «protection» de l’homme aux agents de la police, encercler le véhicule et faire honneur à l’occupant. C’était Dieudonné Bolengetenge, le secrétaire général du parti de Katumbi venu représenter son patron qui n’avait pas daigné effectuer le déplacement de ce quartier chaud de la capitale.
Quelques minutes plus tard surgissait, à pieds mais escorté par une dizaine de très jeunes manifestants hasardant quelques slogans sans grande conviction, Devos Kitoko. Il était méconnaissable et s’est révélé plus braillard sur les ondes que réellement populaire.
Porte-parole de Martin Fayulu, Kitoko s’est avancé vers le centre du terrain où s’agglutinaient déjà quelques manifestants brandissant drapeaux et effigies des quatre candidats présidents de la République avant de disparaître comme avalé par la petite foule et de réapparaître à la tribune aux côtés d’une sélection de musiciens de Ndjili qui égayaient l’assistance.
Incapables de remplir 105/68 m
A 16 heures, le terrain de football (105 m sur 68) n’était qu’à moitié rempli : les manifestants debout en face de la tribune n’en dépassaient guère le centre. Il fallait parer au plus pressé parce que les lumières autour ne fonctionnaient plus, les lampadaires à énergie solaire aux alentours ayant été délestés de tous leurs panneaux depuis belle lurette. Les dés semblaient jetés : la mobilisation avait échoué, encore une fois. Autour des terrains, les débits de boisson s’animaient, occupés par des spectateurs désabusés observant le fiasco de loin. D’aussi loin que les agents débonnaires du détachement de la police nationale stationnés à une centaine de mètres du lieu du meeting au cas où… Seul un haut gradé escorté par sa garde s’est approché des manifestants. C’était le commandant PNC du district visiblement familier du public avec lequel il s’entretint aimablement durant quelques minutes avant de s’éclipser sous les applaudissements frénétiques de ses interlocuteurs. Signe que la situation demeurait sous contrôle.
Quelques minutes après, a surgi la jeep de Martin Fayulu qui, debout, doigts levés en signe de victoire, gagna les lieux à son tour. Entouré par une haie d’honneur (et de sécurité !), le président de l’Ecidé s’est dirigé vers la tribune sous les chants de ses partisans sans que la foule ne grossisse. Face à la tribune et vu de dos, il y avait plus de drapeaux que de manifestants.
Sur une des terrasses riveraines de la place Sainte Thérèse, les commentaires allaient bon train pendant que Fayulu expliquait laborieusement qu’il n’avait pas décrété le boycott des élections mais seulement posé «des conditions sine que non». Mais son discours ne passait plus pour de nombreux ndjilois.
Un des spectateurs se proclamant fièrement natif de Ndjili et surnommé Me Mukomboso déclara rageusement que «l’homme qui parle n’est pas Fayulu. C’est son sosie».
MAFA a déçu plus d’un
«L’opposition nous a déçus. Aussi bien l’Ecidé que tous les autres», a bûcheronné Mukomboso. «C’est pourquoi nous avons décidé de prendre nos responsabilités. Nous allons recréer notre Royaume Kongo qui inclura le Gabon, le Congo-Brazzaville et l’Angola», provoquant l’ire de la tenancière des lieux qui lui déclara sévèrement : «Je ne veux pas que tu vienne ici parler de politique». Mais l’homme était lancé et ne voulait rien entendre. Alors que Martin Fayulu s’égosillait à quelques mètres, il ajouta : «C’est nul comme mobilisation. Lorsqu’ils étaient venus ici avec les Kamerhe, il y avait du monde sur tous les cinq terrains de football que vous voyez là. C’est pourquoi nous, les hommes du roi Mizele nous projetons de prendre bientôt la relève». Sans doute y était-il allé un peu trop fort car la table se vida discrètement et progressivement. D’autant plus qu’il faisait presque 18 heures et qu’en face les manifestants se dispersaient sans grand enthousiasme. Pas de chants ni de slogans. Son speech terminé, Martin Fayulu s’en était allé presque dans l’indifférence générale.
Dimanche 25 juin 2023, Place Ste Thérèse, Tshangu la bouillante n’avait donc pas répondu à l’appel de Martin Fayulu et ses amis du groupe de Lubumbashi. Sur les lieux de la manifestation et alentours, les observateurs ne tarissaient pas de commentaires pour expliquer le fiasco de ce qui avait été préalablement annoncé comme une démonstration de force de l’opposition. «Les Congolais tiennent à leurs élections, si mauvaises soient-elles. C’est la seule occasion de faire marcher les politiciens. Fayulu s’est lourdement trompé en faisant miroiter la menace d’un boycott», explique à ce sujet Me Gervais Kasambu, un jeune avocat formé à l’Université de Kinshasa, pourfendeur dans les réseaux sociaux de la proposition de loi dite Tshiani. Déçu, il n’avait pas osé s’aventurer au milieu des manifestants du terrain de football, préférant théoriser avec un groupe d’amis autour d’un verre à quelques pas de là.
Tshangu n’adhère plus
Le 25 juin 2023 Place Ste Thérèse, aucun des trois autres leaders politiques du groupe de Lubumbashi n’avait daigné se rendre au meeting. Tout s’est passé comme si Fayulu avait été commis par ses pairs du quatuor pour réparer ses propres errements verbaux du 19 juin 2023. En lieu et place de la ‘‘reconquête’’ promise de Kinshasa, on a eu droit à un exercice de correction et de rétropédalage. Le «roi (autoproclamé) de la Tshangu» n’en est pas sorti grandi. Loin s’en faut.
Selon des observateurs, le président de l’Ecidé ne doit pas son infortune dans le fief qu’il n’a eu de cesse de revendiquer à ses seuls errements de langage. «La commune de Ndjili, c’est la province du Kongo-Central en miniature», expliquait ainsi Lutonadio, un sportif du quartier (ainsi qu’il se présenta). «Tout ce qui touche la province affecte directement ou indirectement la majorité des ndjilois. Or, des décisions politiques ou économiques prises par Augustin Matata Ponyo du temps où il était 1er ministre ont suscité beaucoup de mécontentements ici. Souvenez-vous des suspensions d’importation de véhicules par les ports de la province, de l’interdiction de l’importation du ciment angolais… ici et en provinces, les gens en ont souffert. Fayulu n’aurait jamais dû s’associer l’homme à la cravate rouge. Même contre son pire adversaire politique», selon lui.
Désaffection pour un vendu
Mais il y avait sans doute pire que ces hypothèses. Selon d’autres observateurs, Martin Fayulu faisait les frais de la tentative de percée de Moïse Katumbi, le candidat président de la République manifestement adoubé par une partie des princes de l’église catholique, dans la partie Ouest de la RDC. Pour beaucoup parmi les sympathisants du président de l’Ecidé, le candidat malheureux à la dernière présidentielle aurait déjà troqué ses prétentions au top job contre celles de l’ancien gouverneur du Katanga. Pour nombre de kinois, cette dérobade n’est rien d’autre qu’une trahison de leurs aspirations. Beaucoup dans ses faubourgs considèrent le séjour de Moïse Katumbi à l’Ouest de la RDC comme une sorte de remise et reprise en bonne et due forme entre Fayulu et lui-même.
A Ndjili Ste Thérèse comme un peu partout dans la capitale de la RDC, les kinois refusent désormais de communier à un non-projet politique.
LTN AVEC LE MAXIMUM