Ce n’est pas la lune de miel entre les autorités congolaises et une partie de la hiérarchie de l’église catholique romaine emmenée par des évêques de la partie Ouest du pays. A la faveur du jubilé d’argent de Mgr Bernard-Emmanuel Kasanda du diocèse de Mbujimayi, le président de la République a dénoncé en des termes sans équivoque «une certaine dérive constatée au sein de l’Eglise catholique», d’autant plus dangereuse qu’elle survient au cours d’une année électorale. Félix Tshisekedi a ainsi déclaré, dimanche 25 juin 2023 au cours d’un discours prononcé au Stade Kashala Bonzola de Mbujimayi, notamment que «l’église doit être au milieu du village. L’église doit être au milieu des Congolais. Elle doit prêcher l’amour, l’unité et l’égalité. L’église doit accompagner toutes les filles et tous les fils de la République qui sont en politique de la même manière, sans distinction aucune, car il y va de la stabilité de notre cher pays. En tant que garant de l’unité de cette nation, je n’accepterai jamais une telle dérive».
Cette sortie médiatique du n° 1 congolais est d’autant plus commentée qu’elle est la première du genre en quatre ans de pouvoir dans un pays où la hiérarchie de l’église catholique se signale par ses démêlés récurrents avec les détenteurs du pouvoir, quels qu’ils soient. «Dans notre pays, les évêques catholiques se sont attaqués à tous les pouvoirs établis, à l’exception notable du pouvoir colonial», observe à ce sujet Norbert Mangaya, enseignant d’histoire dans un collège de Kinshasa. Fervent sympathisant de l’UDPS, le parti au pouvoir, l’homme assure que depuis l’accession du fils d’Etienne Tshisekedi à la magistrature suprême, toutes les déclarations des évêques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) «égratignent sensiblement le président de la République ou son gouvernement ». Même si on doit à la vérité de reconnaître que tous ses prédécesseurs à la tête de l’Etat post-colonial en RDC ne furent pas mieux lotis.
Incidents avant discours
Des incidents notables ont précédé le discours du président de la République à Mbujimayi, notamment, cette messe de la Pentecôte dite le 19 mai 2023 à la paroisse St Raphaël de Kinshasa, au cours de laquelle le cardinal-archevêque de la capitale Fridolin Ambongo s’est laissé aller à présenter carrément le futur candidat président de la République Moïse Katumbi Chapwe aux fidèles catholiques comme une sorte d’oint de Dieu. «Sa foi catholique compte pour nous. Prions pour lui parce qu’on sait très bien tout ce qui se passe en RDC», avait déclaré à la cantonnade le prélat en parlant du richissime homme d’affaires d’origine italo-zambienne.
Un peu plus d’un mois plus tard, réunis en assemblée plénière à Lubumbashi du 11 au 22 juin 2023, des évêques membres de la CENCO ont accouché d’une déclaration tonitruante appelant le peuple congolais à s’extirper de sa prétendue torpeur («Pour des élections crédibles. Peuple Congolais, réveilles-toi de ton sommeil»). Un véritable pamphlet politique dont la conclusion se lit comme une attaque en règle contre le chef de l’Etat en exercice dont on sait qu’il se prépare à briguer un second mandat. «Pour des élections crédibles, peuple congolais réveille-toi de ton sommeil ! Car il est temps que nous choisissions nous-mêmes nos dirigeants. Que personne n’achète ni ne corrompe notre conscience. A six mois des échéances électorales, nous nous invitons tous à la vigilance sur le processus électoral. Ayant été abusés aux élections de 2018, nous devons en tirer des enseignements et nous comporter de façon conséquente pour que désormais, les Institutions à mandats électifs de notre pays soient dirigées par des personnes réellement élues», ont conclu et signé 15 des 48 évêques catholiques que compte la RDC.
Allusions insultantes
L’allusion aux résultats de la dernière présidentielle, contestée par certains évêques catholiques (comme le sont rituellement les résultats de toutes les élections présidentielles depuis 2006, du reste) qui se sont fondés sur les résultats parallèles, frauduleux et illégaux selon la CENI, collectés par quelques 17.000 observateurs catholiques, est sans équivoque. Et hautement insultante pour le cinquième chef de l’Etat congolais.
Cette déclaration des évêques de la CENCO présente également une analyse de la situation sécuritaire du pays qui dénonce particulièrement «l’activisme de la brigade spéciale de l’UDPS, Force du Progrès (BSU), opérant comme une milice, visiblement entretenue, qui collabore parfois avec la police pour traquer les adversaires politiques et d’autres paisibles citoyens portant un regard critique sur la gouvernance actuelle du pays». Une dénonciation clonée sur celle des candidats de l’opposition après une série de marches houleuses de la majorité et de l’opposition dispersées il y a quelques temps par les forces de police à Kinshasa mais qu’aucune source indépendante n’a pu confirmer jusqu’à ce jour. «Des policiers en tenues civiles sont habituellement et discrètement déployés sur les lieux des manifestations publiques longtemps avant qu’elles ne débutent pour identifier, repérer et prévenir des actes attentatoires à l’intégrité physique des manifestants. Ils peuvent intervenir aux côtés des policiers diligentés sur les lieux puisqu’il s’agit d’agents de police en mission de service. Mais ces professionnels du renseignement ne peuvent être confondus aux membres d’une milice », explique à ce sujet un haut gradé de la police des polices chargé d’enquêter sur ces allégations.
Ces saillies de quelques évêques catholiques furieusement anti-tshisekedistes sont récurrentes depuis quelques mois. Elles semblent d’autant plus sujettes à caution pour nombre d’observateurs qu’elles ignorent superbement l’activisme criminel des groupes de jeunes des partis politiques de l’opposition qui terrorisent notamment Lubumbashi et certaines agglomérations urbaines de l’ancienne province du Katanga où se sont pourtant tenues les dernières assises de la CENCO.
Dénonciations à sens unique
Et, lorsqu’ils abordent le chapitre du climat politique qui prévaut en RDC, les signataires de la déclaration de Lubumbashi font état de «la répression violente des manifestations de l’opposition, la restriction de la liberté de mouvement des opposants, des tentatives des projets de lois discriminatoires, l’instrumentalisation de la justice et les arrestations arbitraires», toutes choses mises sur le dos du pouvoir en place.
Sur les appels à la haine tribale, les incitations manifestes à la violence contre les forces de l’ordre et l’utilisation d’enfants mineurs d’âge à cette fin par des acteurs politiques de l’opposition survenus au cours de la même période, motus et bouche cousue.
Un tel parti-pris politique flagrant de la part de certaines autorités cléricales est de nature à préjudicier gravement aussi bien la crédibilité de l’institution écclésiale que l’unité de la nation congolaise. «La plupart des évêques catholiques des provinces kasaiënnes désapprouvent ce harcèlement contre le président Félix Tshisekedi, un des leurs», explique Martin Mamba, étudiant dans un grand séminaire de Kinshasa.
Il ne croit pas si bien dire, parce que le 22 juin 2023, alors que les évêques de la CENCO présents à l’assemblée plénière de Lubumbashi s’apprêtaient à larguer leur bombe politicienne, un son de cloche contraire du Vatican a été entendu.
Conseils du Nonce apostolique
C’est au cours d’une célébration eucharistique à Lubumbashi à l’occasion de ses adieux que Mgr Ettore Balestrero, Nonce apostolique (ambassadeur du Pape en RDC depuis avril 2019), nommé observateur du Saint-Siège auprès des Nations-Unies et d’organismes onusiens à Genève, que les prêtres et les prélats congolais ont été rappelés à leurs devoirs fondamentaux.
En effet, dans son homélie prononcée pour la circonstance, Mgr Balestrero n’y est pas allé par 4 chemins pour appeler ses collègues évêques à plus de retenue et de modestie et à se désengager de la politique politicienne. «Si nous voulons que notre vie soit fructueuse, si nous voulons que notre ministère puisse avoir des fruits, nous ne devons pas nous préoccuper (…) de quel est le changement dans le pays que je dois obtenir. Parce qu’en réalité, le changement dans le pays ne dépendra pas directement de l’église. Ce n’est pas à nous les évêques, pas à nous les prêtres à changer le pays», avait-il martelé.
Mettre Dieu au centre, pas Katumbi
L’évêque italien aurait voulu faire comprendre à ses collègues Congolais qu’ils déraillaient qu’il ne se serait pas exprimé autrement, surtout dans ce (parler) français teinté des accents de sa terre natale qui rendait son message plus pointu et émouvant. «Nous devons donner les principes pour que ce pays puisse changer. Nous devons amener et porter Dieu dans ce pays. Et c’est Dieu qui relèvera ce pays, ce pays va changer», avait encore expliqué Ettore Balestrero. Parce que selon lui, «si nous sommes trop préoccupés de faire ce qui ne relève pas de nous et si nous n’avons pas le souci de faire vraiment ce qui relève directement de nous, il n’y aura personne qui fera ce que nous devons faire et nous ne serons jamais capables de faire ce que les autres doivent faire».
Le désormais ancien ambassadeur du Saint siège en RDC s’est même montré fort critique envers ceux de ses collègues rd congolais qui n’hésitent pas à emboucher les trompettes de la propagande électoraliste en faveur de leurs proches ou de leurs clients. «Nous perdons beaucoup de temps et d’énergie et nous nous éloignons de la perspective qui nous vient de Dieu. Il faut mettre Dieu au centre. C’est ce que l’église est appelée à faire dans le monde et, bien sûr, en RDC», avait-il bûcheronné.
On est loin, très loin des postures politiciennes du quarteron de prélats katumbistes vautrés dans la fange des prêches financièrement motivés, en oubliant Dieu ainsi que leur mission essentielle sur la terre des hommes.
Un vrai gâchis.
J.N. AVEC LE MAXIMUM