En RDC, la tension monte inexorablement à l’approche des prochaines échéances électorales qui vont décider sur le locataire du Palais de la Nation et la majorité au parlement entre 2023 et 2028, sauf perturbations majeures. Des perturbations politiques réelles ou potentielles politiquement motivées, il en pleut quotidiennement dans ce pays-continent en état d’insécurité récurrente depuis près de 30 ans aujourd’hui. Depuis qu’à la suite du tristement célèbre génocide rwandais de 1994, certains territoires de l’Est congolais vivent sous une occupation larvée qui a entraîné une prolifération de groupes armés nationaux et étrangers qui écument la région et y sème morts et désolations bon an, mal an. Les différents tenants du pouvoir à Kinshasa, élus au suffrage universel direct depuis 2006, tentent de gérer et de contenir autant que faire se peut cette chienlit entretenue essentiellement par la principauté militaire qui s’est installé au pouvoir dans le Rwanda post génocide en s’efforçant d’éteindre tant bien que mal ces foyers de déstabilisation qui mettent à mal la stabilité générale des institutions nationales.
A l’approche des élections générales de décembre 2023, la situation sécuritaire du pays paraît particulièrement délétère du fait du regain de l’activisme politique de quelques parties prenantes auxdites élections qui, pour autant qu’elles s’estiment défavorisées dans la course vers la conquête du pouvoir suprême, n’ont que faire des Intérêts Nationaux, de la paix ou de la convivialité publique en péril.
Les dernières semaines ont été ainsi marquées par plusieurs tentatives fougueuses d’un cartel récemment constitué d’opposants à la majorité tshisekediste (Union sacrée de la nation) en place qui s’échinent pour faire obstacle à un processus électoral, lequel, selon tous les sondages, mène droit vers la reconduction du président de la République en poste depuis fin 2018. Rien qu’au cours du mois de mai 2023, une demi-douzaine de manifestations publiques ont été programmées par ce quatuor emmené par Moïse Katumbi Chapwe ancien cacique respectivement du PPRD (FCC) de Joseph Kabila Kabange et de l’Union sacrée de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.
C’est dans le contexte de cette course au pouvoir sui generis qu’il faut situer les menaces proférées, y compris par des leaders attitrés de cette partie de la nouvelle opposition contre les institutions en place dans le pays. Sur les médias nationaux et étrangers ainsi que dans les réseaux sociaux dont sont si friands les Congolais, des messages de haine tribale allant jusqu’à l’annonce d’un coup de force ont été diffusés qui en rajoutent à la psychose ambiante.
Le sceptre de l’insécurité
La menace interne contre les institutions politiques en place semble d’autant plus sérieuse que le sceptre de l’insécurité causée par des groupes armés irréguliers et les affrontements interethniques manifestement téléguidés se rapprochent dangereusement de la ville-province de Kinshasa, siège des institutions nationales. Selon un rapport de Human Rights Watch, les affrontements armés entre bandes armées Teke et Yaka qui sont apparues depuis plusieurs mois dans les provinces du Maï-Ndombe, du Kwilu et du Kwango ont fait déjà fait près de 300 morts. Au cours des dernières semaines, ces affrontements, nés de banals conflits fonciers, ont profondément ébranlé le vivre-ensemble et même l’économie des gagnepetits dans l’hinterland de la capitale qui est riveraine des provinces affectées. Et font craindre un embrasement généralisé susceptible de déstabiliser l’ensemble de l’édifice institutionnel public rd congolais pour longtemps.
Dans l’opinion publique à Kinshasa et dans les provinces affectées par les affrontements de plus en plus meurtriers entre miliciens Yaka et Teke qui cohabitaient dans l’harmonie jusqu’à il y a peu, une main noire, derrière laquelle d’aucuns voient se profiler l’ombre de certains esprits chagrins de la classe politique et leurs mentors étrangers, s’évertuerait à pousser les protagonistes à se rentrer dedans avec de plus en plus de cruauté.
Pour mettre le feu aux poudres, quelques stratèges de la pagaille se sont résolus à instrumentaliser l’ancien président de la République Joseph Kabila dont la résidence cossue de Kingakati en banlieue de Kinshasa jouxte le terrain des affrontements fratricides qui oppose Teke et Yaka. Emmuré dans un silence dont il a seul le secret depuis la fin de sa coalition politique conclue avec son successeur Félix Tshisekedi en décembre 2020, le quatrième chef d’État congolais est cité à tout bout de champ, à tort ou à raison, comme le grand planificateur de ces désordres susceptibles de permettre son retour rapide aux affaires. Y compris par un éventuel coup de force. C’est dans ces conjectures pour le moins confuses et hasardeuses que l’on a appris par certains médias mais surtout par les réseaux sociaux l’attaque «perpétrée par des hommes armés non identifiés », selon l’expression consacrée, de la villa abritant le siège de la Fondation Mzee Laurent-Désiré Kabila, constituée pour honorer la mémoire de son père sur boulevard du 30 juin dans la commune de la Gombe à Kinshasa. Créée en 2002 et dirigée la députée nationale Jaynet-Désirée Kabila Kyungu, sœur jumelle du président de la République honoraire, cette fondation s’occupe de projets à caractère social, notamment, dans le domaine de la santé, de l’éducation et du développement.
Elle n’en a pas moins été victime d’une attaque d’un commando dans la nuit de jeudi au vendredi 2 juin 2023, selon des médias qui rapportent que les assaillants en ont vandalisé et pillé les bureaux. Les mêmes sources expliquent que des éléments de la police nationale commis à la sécurité des installations ont été « ligotés par les assaillants et abandonnés sur les lieux jusqu’à l’arrivée des avocats de la fondation appelés à la rescousse avant que le commandement de la PNC ne décide de retirer tous les policiers affectés à la garde de la Fondation Mzee Kabila ».
Opération contreproductive
Même si le président Félix Tshisekedi et son gouvernement ne sont pas nommément cités, un tel narratif est de nature à orienter les soupçons dans leur direction. Surtout si l’on tient compte du fait que le quartier général de la Fondation Laurent-Désiré Kabila se trouve à quelques encablures du siège du gouvernement sur le boulevard du 30 juin. Reste qu’une telle opération des services paraît à la fois absurde et contre-productive en raison d’un principe simple mais fondamental en matière criminologique : «à qui profite le crime ?».
Un sabotage du lieu mémoriel de celui qui est reconnu comme un des Héros Nationaux révérés en RD Congo ne peut en aucune manière profiter au pouvoir en place.
L’armée numérique de la nouvelle opposition a accusé les autorités en place d’avoir, «en réalité mené une perquisition simulée en cambriolage dans les installations de la Fondation Mzee Kabila». Une niaiserie qui ne résiste à aucun examen sérieux. En effet, le droit positif en vigueur en République Démocratique du Congo attribue au parquet (militaire ou civil) la compétence pleine et entière de rechercher les infractions notamment en entreprenant des perquisitions en tous lieux. Il n’y avait donc aucune raison que, le cas échéant, les autorités judiciaires se livrent à une perquisition clandestine ou déguisée en cambriolage pour parvenir à leurs fins, quel que soit le lieu où aurait été signalée une présomption de faits délictueux ou criminel.
Il faut donc chercher ailleurs les raisons de ces accusations à peine voilées qui visent le pouvoir de Félix Tshisekedi à quelques mois d’élections particulièrement abhorrées par l’opposition politique, y compris kabiliste.
Pareille agression dans les installations de la Fondation Mzee Laurent-Désiré Kabila apparaît en effet comme un appel du pied de la part d’extrémistes anti-tshisekedistes à l’endroit de la famille, biologique et politique, de Joseph Kabila qu’ils essayent de la sorte de rallier à leur cause et dont le silence prolongé gêne aux entournures. En outre, vis-à-vis de l’opinion publique nationale et internationale, ces pêcheurs en eaux troubles ont beau jeu de présenter le régime de leur bête noire Félix Tshisekedi comme une dictature dont il faut se débarrasser à tout prix et par tous les moyens possibles, y compris par un coup de force, comme annoncé par eux-mêmes dans les médias et les réseaux sociaux. «Qui veut tuer son chien l’accuse de rage», l’adage est bien connu.
Identifier les véritables auteurs
Dans ces conditions, des investigations sérieuses s’imposent pour identifier les véritables auteurs des actes criminels et de vandalisme perpétrés dans les installations de la Fondation Mzee Laurent-Désiré Kabila. Celles-ci ne devraient pas négliger la piste des dénonciateurs les plus vocaux de cet acte qui ont, avant même toute enquête, embouché les trompettes de la dénonciation de cette ignoble attaque dans l’intention d’en faire porter la responsabilité au pouvoir en place, et jeter le doute sur la vérité des faits.
Il est même permis de s’interroger sur la réalité d’une attaque venue de l’extérieur contre les installations de la Fondation Mzee Laurent-Désiré Kabila dans la nuit du 1er au 2 juin 2023. D’autant plus qu’elle serait intervenue au beau milieu d’une campagne médiatique d’envergure de l’armée numérique d’une nouvelle opposition aux abois dénonçant les projets de perquisition par les services auxiliaires du parquet d’installations appartenant à quelques acteurs de cette mouvance après l’interpellation de certains d’entre eux au lendemain des manifestations violentes de contestation politique dans la capitale Kinshasa. Une fuite en avant de la frange subversive et jusqu’au-boutiste de l’opposition parfaitement traduite par le secrétaire permanent du PPRD Ferdinand Kambere qui, le 9 juin 2023, avait écrit dans un posting sur son compte Twitter qu’« on cherche à l’intimider (Joseph Kabila, ndlr). On veut relier le ferme de Kingakati à l’affaire Mobondo. Le secrétaire général de l’UDPS et ses militants disaient déjà que Kingakati doit être perquisitionné».
Et si l’attaque supposée de la Fondation Mzee Laurent-Désiré Kabila n’était qu’une fuite en avant pour dissuader les autorités judiciaires congolaises suspectées de préparer une perquisition des installations du président de la République honoraire à Kingakati ?
LE MAXIMUM