Fin de semestre 2023 plutôt agitée en RDC. Manifestation politique par ci, répression ou dispersion par là, réactions en chaîne des relais de la bien-pensance de la communauté internationale que sont devenus un quarteron de représentations diplomatiques, de confessions religieuses et d’organisations de la société civile. Ça bouillonne ferme à six mois des élections générales, et surtout de la présidentielle. Au pays de Patrice Emery Lumumba, l’histoire semble vouloir encore bégayer en rééditant les tristes épisodes des années des indépendances des pays africains, voire, de la colonisation qui, en 1885, vit des représentants d’une poignée de puissances occidentales décréter un statut de colonie internationale pour ce qui est devenu le Congo-Kinshasa. Des siècles après, il ne semble pas que la situation ait notablement évolué du point de vue des autochtones.
Mai 2023, l’identification et l’enrôlement des électeurs clôturées quelques semaines plus tôt, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) publie ses statistiques générales : 43.955.181 électeurs ont été identifiés et enrôlés pour les prochains scrutins. Des chiffres obtenus après les procédures usuelles de consolidation du fichier électoral, dont un audit indépendant du fichier programmé depuis belle lurette, mais soudainement chahuté, y compris par une partie de l’opposition politique.
Elections : le point de non-retour
Mais le point de non-retour sur la voie des élections de décembre 2023 semble atteint. Et la centrale électorale ne s’en laisse pas conter. Le parlement majoritairement acquis au président Félix-Antoine Tshisekedi non plus. Le projet de loi de répartition des sièges électoraux soumis à l’examen de la chambre basse du parlement a été adopté le 31 mai 2023 et le sera vraisemblablement par le Sénat, ce qui ouvre la voie à la convocation de l’électorat pour les scrutins présidentiel, législatifs locaux de décembre prochain. Même si les députés de l’opposition, mécontents, ont séché la séance d’adoption comme c’est devenu habituel de tous les processus électoraux organisés en RDC depuis 2006.
Les opposants diabolisent et récusent tout, du serveur de la CEI (Commission électorale indépendante de l’Abbé Malumalu) en 2006 au fichier électoral de 2023 en passant par la machine à voter en 2018. Réunis à Lubumbashi le 14 avril de l’année courante, Moïse Katumbi, Martin Fayulu, Augustin Matata, et Delly Sessanga décident d’aller en guerre contre le processus, à défaut de convenir d’une candidature commune face à Félix Tshisekedi en décembre prochain.
Le 3 mai 2023, Moïse Katumbi Chapwe se rend à Kinshasa la capitale dans le cadre d’un séjour de plusieurs semaines, qui devrait lui permettre de prendre la température avant de proposer une offre politique aux Congolais, selon Olivier Kamitatu, son porte-parole principal. En réalité, le richissime ancien gouverneur de l’ex-Katanga pour le compte du PPRD se lance dans une tentative de conquête de l’Ouest de la République, réputé fief de Martin Fayulu, challenger de Félix Tshisekedi à la présidentielle 2018.
Katumbi, séjour mouvementé à l’Ouest
A Kinshasa, une marche de contestation d’un peu de tout (fichier électoral, insécurité, chômage, dérive dictatoriale supposée du régime en place)… est programmée le 13 avant d’être repoussée au 20 mai 2023. Ça saute aux yeux : le chairman katangais délie généreusement les cordons de la bourse pour réussir cette première dans la capitale, siège des institutions, et de coutume, de l’opposition à tout pouvoir en place. Spots publicitaires sur les chaînes de télévision, affiches grand format le long des artères, mobilisation des masses moyennant espèces sonnantes en devises étrangères (selon les détracteurs de l’opération) … tout y passe. Mais rien ne se passe comme prévu, en raison des contre-stratégies de l’Hôtel de Ville de Kinshasa, qui prescrit un itinéraire peu productif en termes de mobilisation au quatuor de Lubumbashi.
Le 20 mai 2023 sur avenue Kianza entre les communes de Lemba et Ngaba où toute manifestation publique est prohibée, Katumbi et ses collègues candidats à la prochaine présidentielle semblent décidés à en découdre avec les forces de l’ordre. Le périple Ouest congolais du leader katangais se révèle plutôt séditieux. Cornaqués par le quatuor, des jeunes et des adolescents «manifestement drogués», selon la police affrontent les forces de l’ordre alors que prétextant être ciblés par des tirs à balles réelles, Katumbi et sa garde vident les lieux à toutes jambes. La manifestation organisée à grand renfort de publicité tourne en eau de boudin. Puisqu’elle est dispersée avant d’avoir pu se déployer. La conquête de la rue kinoise prétendument hostile au pouvoir en place n’a pas eu lieu.
Le voyage du Kongo Central n’aura pas lieu
Loin de se décourager, Katumbi et ses collègues candidats remettent ça. Mardi 23 mai 2023, l’opulent chairman du TP Mazembe qui apparaît comme le leader du quatuor de Lubumbashi est empêché de se rendre dans la province du Kongo-Central voisin de Kinshasa. Parce que la villégiature politique paraît rien moins que provocatrice. L’homme ayant préalablement à toute entente avec les autorités provinciales déployé du matériel de meeting populaire à Mbanza-Ngungu, une ville de garnison d’une division blindée des Forces armées, donc stratégique. Moïse Katumbi se retrouvera bloqué à la sortie de Kinshasa, à Mitendi, et interdit d’effectuer un pas de plus par les forces de police déployées en nombre impressionnant sur les lieux. Les autorités provinciales centrales kongolaises reprochent au leader katangais «un programme vague et imprécis qui ne permet pas aux services de sécurité, dont l’effectif est du reste limité, de se consacrer essentiellement à la couverture des multiples activités d’un parti politique sur toute l’étendue de la province. «
L’homme et son cortège s’en retournent donc vers Kinshasa où est prévu, 48 heures plus tard, un sit-in de l’opposition (la même, en fait) devant le siège de la CENI. La manifestation est, cette fois-ci, purement et simplement interdite par l’Hôtel de Ville de la capitale arguant du caractère de zone neutre des lieux visés par Katumbi et ses collègues hostiles au processus électoral. Le 25 mai 2023, un second bras de fer avec les forces de l’ordre oppose le quatuor, Moïse Katumbi en tête, au pouvoir. Il se solde, de nouveau, par un lamentable flop. C’est à peine si une centaine de partisans avaient pu être mobilisés pour la circonstance.
L’opposition muselée à Lubumbashi aussi
Le 27 du même mois à Lubumbashi, le quatuor katumbiste annonce un sit-in devant les bureaux provinciaux de la CENI, aussitôt interdit par la mairie de la province cuprifère. Seulement une délégation de quelques personnes est autorisée à accéder aux installations provinciales de l’institution d’appui à la démocratie pour y déposer un mémo.
Mais les organisateurs s’entêtent et tentent de forcer les barrages placés par les forces de police, sans plus de succès qu’à Kinshasa. Manifestation étouffée dans l’œuf.
Reste le terrain médiatique. Les quatre candidats à la présidentielle du mois de décembre en RDC (récusée paradoxalement par eux-mêmes) multiplient déclarations et dénonciations, de la dérive dictatoriale, de la réduction d’espaces d’expression démocratique, du processus électoral corrompu et tutti quanti. Si l’opinion ne semble pas suivre ses récriminations devenues rituelles à l’approche d’échéances électorales depuis bientôt 20 ans, ce n’est pas le cas d’importants influenceurs comme l’Église catholique, les représentations diplomatiques occidentales ou encore certaines de leurs capitales.
La CENCO à la rescousse du quatuor
La réaction des princes de l’église catholique de la RDC face aux événements politiques du mois de mai à Kinshasa, tout au moins de cette partie de la conférence des évêques constituée par son comité permanent, fut des plus promptes. Et d’autant plus partiale. Même si une partie de l’opinion s’attendait à une vengeance des calottes sacrées catholiques et protestantes sur le processus électoral conduit par Denis Kadima, son président qui avait été présenté par l’Église kimbanguiste. Le 2 octobre 2022, après d’âpres négociations et moult discussions, 6 des 8 confessions religieuses avaient porté leur choix sur l’actuel président de l’institution d’appui à la démocratique, provoquant l’ire et la désolidarisation d’avec les catholiques et les protestants regroupés dans une organisation commune depuis lors.
Dans un communiqué de presse rendu public par Mgr Donatien Nshole, 24 heures après la marche du 20 mai 2023 à Kinshasa, la Conférence épiscopale nationale du Congo volait littéralement au secours des organisateurs de la manifestation. Et reprochait à l’Hôtel de Ville de Kinshasa le fait d’avoir «changé verbalement l’itinéraire prévu par l’Opposition politique à peine 24 heures avant». Autres reproches du prélat aux autorités de Kinshasa, « certains éléments de la Police nationale étaient porteurs des mêmes outils de violence qu’ils échangeaient visiblement avec des individus en tenue civile dont certains portaient le dorsal B.S.U. ou Brigade Spéciale de l’UDPS, Force du Progrès. Avec une telle complicité affichée publiquement, on se demande si cette Brigade Spéciale n’est pas une milice officiellement entretenue»,selon le communiqué de la CENCO s’appuyant sur des témoignages d’observateurs prétendument déployés par la commission Paix et Justice. Le communiqué de Mgr Nshole ne s’en tient pas là, puisqu’il s’offusque également de «la répression ignoble et sauvage que les forces de l’ordre et leur milice complice ont infligée aux manifestants y compris aux mineurs trouvés sur leur chemin. Dans la réalisation de leur œuvre macabre, ils n’ont pas hésité de tirer à balle réelle, visant même le véhicule d’un leader politique».
Mgr Nshole : un mensonge cousu de fil blanc
Pour couronner cette partition, la CENCO, représentée par le secrétaire général de son comité permanent, «exhorte le peuple congolais de ne pas céder à la peur face à la barbarie organisée pour l’intimider. Si rien n’est fait pour garantir ses droits fondamentaux, il devra bientôt exercer son pouvoir de sanctionner tous les incompétents», lit-on encore sur ce communiqué, plutôt incitateur.
Seulement, en cette époque de l’extraordinaire expansion des NTIC, les affrontements entre éléments de la police nationale et les manifestants ont été filmés et diffusés quasiment en direct sur les réseaux sociaux. Et pour une fois, la police kinoise avait réussi l’exploit de disperser une manifestation violente sans morts d’hommes et sans dégâts matériels notables, d’après les bilans dressés par les parties en présence. A cet égard, les «incompétents» ne parurent pas aussi incompétents que le prétendit le prélat catholique qui, tout à sa vengeance politicienne, observa un silence lourd de complicité sur les agressions dont furent victimes, images à l’appui, de nombreux éléments de la police et des paisibles kinois. Sans compter que des blessés par des prétendues balles réelles tirées par les forces de police, nul n’en a aperçu jusqu’à ce jour. Il appert assez clairement que Mgr Donatien Nshole avait menti sur les événements du 20 mai 2023 à Kinshasa. Mais cette sortie médiatique ouvrira la voie à une série de réactions émanant de représentations diplomatiques des pays occidentaux.
Les chancelleries se mêlent à la danse
Le 22 mai, l’Ambassade américaine à Kinshasa s’est ainsi fendue d’une «déclaration au sujet de l’usage disproportionné de la force lors de la manifestation du 20 mai 2023». Elle y rappelle «l’engagement des Etats-Unis en faveur du droit de se réunir, de la liberté d’expression et de la liberté de la presse» et dit son soutien au «droit du peuple congolais à manifester pacifiquement et pour exprimer ses préoccupations et ses aspirations», tout en soulignant «l’importance d’exercer ces droits de manière pacifique».
Le 23 mai, le secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, discutait au téléphone avec le président Félix Tshisekedi «de la violence en cours et de la situation humanitaire désastreuse dans l’Est de la RDC». Le plénipotentiaire américain exprimant sa profonde «préoccupation pour les personnes tuées, blessées, déplacées et rendues vulnérables par la violence». Mais aussi du «droit du peuple congolais à manifester pacifiquement pour exprimer ses préoccupations et aspirations, ainsi que l’engagement des Etats-Unis à soutenir des élections libres et équitables en RDC».
Quasiment neutralisée aussi bien au sein d’une représentation nationale verrouillée par la majorité au pouvoir que sur le terrain de l’expression politique dans les rues congolaises, l’opposition ne tient plus à la vie que grâce à ses soutiens extérieurs, essentiellement occidentaux et donc étrangers. Dont le silence sur ce qui préoccupe la plupart des Congolais – les élections à venir et l’agression sanglante du pays par le Rwanda – est jugé complice.
Surtout après les révélations portées à la connaissance de l’opinion par «Holocauste au Congo… L’Omerta de la communauté internationale», le tout récent ouvrage du Camerounais Charles Onana préfacé par l’ancien ministre français de la Défense Charles Million sur la crise sécuritaire qui endeuille le pays depuis bientôt 30 ans.
Prose insipide d’Antony Blinken
Sur le sujet, Américains et Occidentaux récitent la même prose insipide depuis des lustres sans se résoudre à sanctionner leur homme-lige, le président rwandais Paul Kagame, pourtant reconnu comme principal instigateur des exterminations en masse qui endeuillent l’Est de la RDC. Au cours de la conversation avec le chef de l’Etat congolais, le 23 mai 2023, c’est à peine si Anthony Blinken a évoqué du bout des lèvres « les appels des Etats-Unis au Rwanda pour qu’il mette fin à son soutien au M23». L’homme d’État américain a au contraire, préféré embrayer sur les thèmes de la propagande de Kagame au sujet de «la nécessité pour tous les acteurs étatiques de cesser de collaborer avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et d’autres groupes armés non étatiques» et de sa «préoccupation concernant le discours de haine et la rhétorique qui divise».
Au plan géostratégique, le statu quo ante semble donc de mise, aujourd’hui comme hier : la RDC, quels que soient ses dirigeants et leur politique, demeure cette terre d’exploitations et d’exactions dont la gestion est confiée aux principautés militaires installées à ses frontières de l’Est, plus particulièrement au Rwanda de Paul Kagame. Tout est fait pour ne pas entraver la mise en œuvre des politiques hégémonistes, expansionnistes et annexionnistes du président rwandais, en ce compris le maintien de la RD Congo dans une situation de fragilité et d’instabilité qui rassurent l’allié rwandais.
Partenaires préoccupés par les libertés publiques
Alors que tout indique qu’au Rwanda voisin, les élections législatives prévues à la fin de l’année ont été carrément annulées par Paul Kagame et que sa quatrième candidature à la prochaine présidentielle est quasi-certaine sans la moindre remontrance de qui que ce soit, en RDC, 16 ambassades occidentales (Etats-Unis, Allemagne, Belgique, Canada, Espagne, France, Grèce, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède, Suisse, République Tchèque) ainsi que l’Union Européenne se sont bruyamment prononcées sur la nécessité d’un processus électoral démocratique et transparent. Elles recommandent ainsi à la CENI «de s’engager avec un maximum de transparence et de réactivité, en dialoguant avec toutes les parties prenantes, afin de renforcer la confiance de la population congolaise dans le résultat de ces efforts», notamment la tenue de «cadres de concertation de la CENI avec la société civile et les partis politiques». Mais elles «réitèrent leurs préoccupations sur l’usage excessif de la force en réponse aux récentes manifestations, les restrictions imposées à la liberté de mouvement ainsi que les arrestations arbitraires».

«On se croirait revenu 4 ans en arrière, lorsque la défenestration de Joseph Kabila était à l’ordre du jour», note cet analyste congolais, professeur à l’Université de Kinshasa. Parce que tout se passe comme si rien n’avait évolué depuis lors, malgré les progrès réalisés par les autorités congolaises pour améliorer les prestations des forces de police au cours des manifestations de masses. «Manifestants et policiers se sont affrontés à l’aide de pierres et d’armes blanches d’une part et de canons à eaux et de grenades lacrymogènes d’autre part mais on fait état de disproportion des forces. Cela signifie que pour eux, il eût fallu laisser libre cours aux casseurs qui se trouvaient dans les rangs des manifestants. Et donc aussi à la perturbation de l’ordre public au nom de la démocratie», conclut-il à regret.
Principes démocratiques à géographie variable
Pour de plus en plus d’observateurs de la situation politique particulière au pays de Lumumba, les objurgations des capitales occidentales (par leurs représentations diplomatiques interposées) concourent davantage au maintien du pays dans un état de non droit et dans une situation arbitraire plus ou moins généralisée, propice à tous les bouleversements et à l’instabilité, plutôt qu’à l’instauration d’un Etat de droit démocratique. C’est la seule explication plausible du silence observé sur les abus de la liberté de mouvement et d’expression notés récemment à Kinshasa, lorsque Moïse Katumbi a subtilement tenté de lier liberté de déplacement au Kongo-Central et liberté de perturber en organisant des manifestations publiques non concertées avec les forces de l’ordre du lieu. Ou encore quelques jours plus tôt, lorsqu’il a transformé une manifestation pacifique en affrontements avec les forces de police qui auraient pu dégénérer dangereusement.
La sortie médiatique des partenaires de la RDC aura également brillé par des hérésies diplomatiques qui confirment le statut de non-Etat dans lequel ces chancelleries et leurs capitales tentent de confiner la RDC depuis plusieurs décennies. Les ambassadeurs des 16 pays occidentaux et de l’Union Européenne sont allés loin au-delà des us et coutumes diplomatiques qui circonscrivent leurs rôles dans le pays accréditant en s’érigeant en censeurs des questions de politique interieure. Au sujet du processus électoral en cours, ils en appellent ainsi «aux droits démocratiques fondamentaux et à l’égalité des chances pour tous les candidats». Des propos perçus comme une immixtion inacceptable dans le débat politique interne autour de la question de la nationalité, qui selon certains, viserait le candidat Moïse Katumbi Chapwe. «Quelle que soit la suite à donner à cette question dont la sensibilité n’échappe pas aux Congolais, premiers concernés, il n’appartient pas à un Etat étranger de s’en mêler sous quelque forme que ce soit», déclare au Maximum un diplomate africain en poste à Kinshasa. «Ils ne se le permettraient pas dans un pays comme le Rwanda, tout près d’ici», renchérit-il. Non sans pertinence.
Immixtion dans les politiques intérieures
Derrière des principes démocratiques manifestement à géographie variable comme « l’égalité des chances entre tous les candidats», «la liberté des mouvements» ou encore «la liberté d’expression» se dissimulent des projets d’immixtion dans les politiques intérieures des pays visés, estime-t-on.
En RDC, après l’organisation de trois élections présidentielles en 2006, 2011, et 2018, la propension parfois criarde des puissances occidentales et de leurs affidés à l’intérieur du pays à imposer leurs clients à la présidentielle n’est plus qu’un secret de polichinelle.
En 2011, des puissances occidentales avaient joué des pieds et des mains, pesant de tout leur poids pour que les scrutins ne se tiennent pas et ainsi contraindre les Congolais à s’accommoder d’un partage du pouvoir qui ne dérangeait pas leurs intérêts économiques, selon les révélations (jamais démenties) de l’alors président de la CENI, le pasteur Daniel Ngoy Mulunda Nyanga.
Un Remake du complot de Genève
En 2018, les interférences furent plus flagrantes encore, puisqu’à l’instigation des miniers hostiles à la promulgation d’un nouveau code minier par Joseph Kabila, les opposants politiques au régime furent conviés à un conclave dans un hôtel particulier de Genève en Suisse pour y choisir un candidat correspondant aux desseins des occidentaux. Au terme de ces assises tenues du 9 au 11 novembre 2018 fut désigné le candidat unique de l’opposition en la personne de Martin Fayulu Madidi, dont la particularité résidait dans sa faible popularité à l’intérieur des frontières nationales, comparé à Jean-Pierre Bemba ou à Félix Tshisekedi, également présents à cette rencontre tenue sous la modération d’un ancien secrétaire d’Etat américain. D’une révoltante extraversion, le choix du patron de l’Ecidé (Engagement citoyen pour le développement), une minuscule formation politique représentée par 2 députés à l’Assemblée nationale en révolta plus d’un dans les rangs de l’opposition même. A l’instar d’Adam Bombole, ancien candidat à la présidentielle 2011, qui déclara, désespéré : «Prenons date ! C’est aujourd’hui que l’opposition a perdu les élections. Tout le reste ne sera que formalités. Que Dieu protège la RDC !».

La suite est connue. A l’exception de Vital Kamerhe et de Félix Tshisekedi qui se désolidarisèrent des conjurés de Genève 24 heures après la signature des accords, les autres leaders apportèrent leur soutien au candidat Fayulu, contre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, entre autres. Mise à contribution, la CENCO reçut un financement conséquent pour se constituer en commission électorale parallèle (et illégale) et proclamer des résultats (de la seule présidentielle !) aussitôt transmis aux chancelleries occidentales qui donnèrent Martin Fayulu président élu devant Félix Tshisekedi. Selon des sources, certains membres de la CENCO perçurent des financements obscurs à hauteur de 30 millions USD pour soutenir la candidature du président de l’Ecidé.
Une arnaque électorale signée CENCO
L’arnaque électorale perpétrée par la CENCO en organisant un comptage parallèle des voix mérite une attention particulière, puisque les calottes sacrées semblent avoir pris goût à l’affaire et se préparent à remettre les plats de la présidentielle 2018. En effet, selon l’ancien secrétaire d’Etat américain, Herman J. Cohen, chaque bureau de vote comptera un observateur de la CENCO en décembre 2023. L’exercice auquel s’étaient adonnés les catholiques porta d’abord sur 42,92 % puis sur 71,53 % des suffrages valablement exprimés. Un travail assuré par 40.850 observateurs accrédités officiellement, auxquels ont été ajoutés 176 non accrédités, chargés de l’observation des incidents en dehors des centres de vote (cette catégorie étant méconnue par la loi).
Mais du point de vue de son déploiement physique, l’ensemble de la mission d’observation électorale de la CENCO ne s’est étendue que sur moins de 10 provinces sur les 26 que compte la RDC, soit une couverture de 64,6 %. Les catholiques s’étant concentrés sur les provinces de Kinshasa (18 %), du Kwilu (13%), de l’Equateur (8 %) et du Maindombe (4 %). Ils furent ainsi presqu’absents dans la partie centrale de la RDC avec 0,03 % de couverture au Kasaï Central, 0,03 % au Kasaï et 1% au Kasaï Oriental, les fiefs naturels de Félix Tshisekedi dont les votes ne furent donc pas pris en compte.
Lois foulées au pied avec désinvolture
Outre cette couverture partielle du territoire national, l’effectif total des observateurs électoraux de la CENCO accrédités par la CENI n’a représenté que 7 % de l’ensemble des observateurs électoraux (25.540 sur 187.000 observateurs accrédités). Ce qui rend impossible la généralisation des résultats de l’observation à l’ensemble du territoire nationale et aussi, la publication de déclarations en total désaccord avec les autres organisations ayant assuré le même travail sur le même terrain.
Il faut ajouter à cette arnaque au nom de Dieu le Père la désinvolture avec laquelle la CENCO a foulé au pied les lois en vigueur en RDC. Notamment : l’article 211 de la constitution qui confère à la CENI le pouvoir d’organiser les élections et d’en assurer la régularité; l’article 71 de la loi électorale qui attribue clairement la compétence au président de la CENI ou son remplaçant, de proclamer les résultats provisoires ; la loi organique, en ses articles 3 et 9 point 1 et 25, point 16, qui réaffirment le mandat confié à la CENI d’organiser les élections et sa compétence exclusive d’en publier les résultats provisoires ; l’article 16 du code de bonne conduite des partis politiques, regroupements politiques et candidats indépendants qui oblige les parties prenantes au processus électoral à s’abstenir de se prononcer avant la publication par la CENI, sur les tendances ou les résultats provisoires ; la charte de bonne conduite des observateurs électoraux en RDC à laquelle la CENCO avait adhéré, en vertu de son article 22. Cette charte engage les organisations ou associations mandantes à être impartiales et indépendantes à l’égard des parties prenantes au processus électoral (article 23), les oblige à s’abstenir de se prononcer sur les tendances et les résultats provisoires avant la publication par la CENI, et enfin, à transmettre au bureau de la CENI avant toute publication, une copie de leur rapport d’évaluation objective des opérations électorales (article 27).
On prend les mêmes et on recommence
En RDC, les pièces du scénario de 2018 se mettent manifestement en place, au vu et au su de tout le monde.
Après avoir exigé sans ambages mais néanmoins sans succès le poste clé de secrétaire technique de la CENI en 2022 en échange du poste de président perdu au profit du candidat présenté par l’église kimbanguiste, une partie des princes de l’église catholique prend littéralement faits et cause pour l’opposition à Félix Tshisekedi, le président sortant candidat à sa propre succession, dont elle avait déjà contestée l’élection en 2018. Et même plus. Au cours d’une messe à Kinshasa, dimanche 28 mai 2023, le cardinal Fridolin Ambongo a pris sur lui de présenter aux fidèles le candidat de l’église catholique à la prochaine présidentielle : Moïse Katumbi. «Sa foi catholique compte pour nous… prions pour lui que le Saint Esprit lui vienne en aide car, nous savons tous les choses qui se passent dans notre pays, le Congo», avait lancé à la cantonade le prélat.
Les pièces du puzzle
Et, lundi 5 juin 2023, une mission exploratoire de l’Union Européenne conduite par Vincent Ringenberg, membre de la division Démocratie et observation électorale au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) a annoncé à Denis Kadima, son projet de déploiement d’une mission électorale en décembre prochain. «Nous pensons pouvoir apporter une valeur ajoutée à ce processus que nous suivons de près», a-t-il déclaré à la presse à l’issue de l’audience accordée à sa délégation par le président de la CENI.

Tout semble fin prêt pour faire basculer la RDC dans un sens ou dans l’autre : un processus électoral contesté par une opposition en perte de vitesse ; une commission électorale qui poursuit son bonhomme de chemin envers et contre tous, surtout l’opposition politique ; le dispositif habituel des ingérences occidentales dans le choix des dirigeants en RDC ; le parti pris en faveur de l’opposition et la complicité active d’une partie des princes de l’église catholique ; un pouvoir politique convaincu du soutien des populations congolaises, qui n’entend pas s’en laisser conter. Le cocktail peut se révéler explosif.
J.N. AVEC LE MAXIMUM