La démission fracassante du général kenyan Jeff Nyagah du commandement de la force de l’East African Community (EAC) et l’audit sollicitée par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) tiennent le haut du pavé et ramènent à la surface les velléités hégémonistes ciblant la République Démocratique du Congo dont les tentacules couvrent l’hémisphère Nord de la planète l’Afrique. Composée du Kenya, du Rwanda, de l’Ouganda, de la Tanzanie, du Burundi, du Soudan du Sud et, depuis avril 2022, de la République Démocratique du Congo, l’EAC avait missionné un corps expéditionnaire dans ce dernier État-membre en vue d’y imposer la paix gravement perturbée depuis près de trois décennies par les incursions récurrentes des forces rwandaises et l’éclosion métastatique subséquente de groupes armés irréguliers.
De fait, l’officier général Kenyan qui avait été désigné à la tête de cette force régionale a été éjecté jeudi 27 avril 2023 à la suite d’une série de malentendus et de controverses avec le gouvernement congolais. Sa lettre de démission dûment transmise au secrétaire général de l’EAC, Peter Mutuku Mathuki, a été formellement porté à la connaissance du président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo par ce dernier.
Personne au pays de Lumumba ne regrette le désormais ex-patron de la force régionale de l’EAC, constituée il y a un an pour contraindre les « forces négatives » étrangères et locales qui sèment la mort et la désolation à l’Est du Congo à déposer les armes pour être rapatriées ou rejoindre un processus de réinsertion sociale conformément à la décision des chefs d’État de la région réunis à Nairobi. « Son attitude complaisante frisant la complicité avec les terroristes du M23 affidés de l’armée rwandaise a désagréablement surpris les Congolais », estime un professeur de géopolitique à l’Université de Kinshasa sous le sceau de l’anonymat.
Prenant acte de cette rupture de confiance entre le général Nyagah, et le gouvernement congolais, le président kenyan William Ruto a désigné vendredi 28 avril 2023, un autre général Kényan pour le remplacer, sur pied des dispositions de l’accord régional selon lesquelles la force de l’EAC était placé sous commandement de son pays. Ce remplacement qui s’est effectué sans concertation avec Kinshasa est cependant loin de résoudre toutes les dimensions de l’équation créée par la force de l’EAC. La démission de Jeff Nyagah qui, quelques semaines plus tôt, jurait tous les dieux de la terre qu’il sacrifierait sa vie, s’il le fallait, au retour de la sécurité et de la paix dans l’Est rd congolais est riche de non-dits. Autant que les ordres en sens variés donnés aux troupes déployées au Kivu par l’organisation régionale. Alors que le contingent burundais n’hésite pas à mettre en mandat offensif envers les forces négatives, les Kényans n’ont jusque-là rien fait pour tirer Kinshasa de l’embarras et affichent une convivialité de mauvais aloi avec les terroristes du M23 et leurs mentors rwandais. Par ailleurs ils ne paraissent guère pressés de céder au gouvernement congolais les territoires dans lesquels ils se sont installés après que les assaillants s’en soient retirés. Au grand dam des populations locales qui se sont mis à les houspiller en les soupçonnant de collusion avec les agresseurs de la RDC. Pire, des officiels kényans ont multiplié des déclarations selon lesquelles leur contingent au Congo avait pour mission de s’interposer entre les belligérants et non pas de combattre quiconque. Le général Nyagah s’est même laissé aller à critiquer ouvertement les conditions d’hébergement et de confort des égorgeurs du M23 qu’il jugeait « peu idéales » sur la colline de Nabinyo choisi comme premier lieu de leur regroupement par les chefs d’États de la région alors que bruissaient les rumeurs de nouveaux renforts en provenance du Rwanda dans le dessein pour une reprise des hostilités dans le territoire de Rutshuru.
C’est donc en désespoir de cause que Kinshasa a demandé, et obtenu, la mise à l’écart de l’officier général kenyan après que le président Félix Tshisekedi en personne l’eût vertement mis en garde à la faveur d’un sommet des chefs d’État de l’EAC à Bujumbura en lui disant de « ne pas soutenir les terroristes du M23 ».
Pas étonnant qu’après l’annonce de sa démission, le Colonel Guillaume Njike Kaiko, porte-parole des FARDC au Nord-Kivu, n’ait pas fait dans la dentelle pour dénoncer les contre-vérités contenues dans la lettre de démission du général Nyagah. « Il n’a pas fait l’objet d’aucune menace de quiconque et les prétendus ‘’mercenaires’’ qui lui ont fait tant peur ne sont en réalité que des instructeurs des FARDC en provenance de la Roumanie, un pays membre de l’Union européenne » a déclaré en substance l’officier congolais.
Reste que la problématique de la mission réelle de la force militaire de l’EAC demeure. Vendredi 28 avril, le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la RDC, Christophe Lutundula, avait réaffirmé que la mission de la force était bien offensive, selon la volonté clairement exprimée par les chefs d’Etat de la région à Nairobi. Ce qui contredisait son homologue Kényan Amina Mohamed qui, quelques jours plus tôt, avait affirmé que les éléments de la force EAC dans les territoires conquis de l’Est rd congolais étaient « en mission d’interposition ». Sur ce sujet, Kinshasa joue sur du velours mais ne s’en montre pas moins strictement ferme. Au regard de ces controverses, le renouvellement de la mission de la force de l’EAC par la RDC sera tributaire d’une clarification préalable de l’objectif assigné aux troupes déployées au Nord-Kivu dont Kinshasa, échaudé par les errements du général Nyagah, souhaiterait réduire le prochain mandat des contingents à 3 mois renouvelables après évaluation des résultats obtenus. Le deuxième souci auquel les officiels congolais se trouvent confrontés a trait à la tendance invétérée du président rwandais Paul Kagame à vouloir imposer son projet hégémoniste sur la partie septentrionale de la RD Congo. Le problème a surgi lors de la dernière visite à Kinshasa d’une délégation de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) invitée par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI). Au cours de leur séance de travail avec le président Denis Kadima et ses collègues le 24 avril 2023, le chef de la délégation de l’OIF a déclaré que celle-ci était en mission exploratoire, conformément aux dispositions de la déclaration de Bamako dans le but d’initier des échanges avec toutes les parties prenantes au processus électoral congolais, au plan national et international afin d’identifier les domaines de possibles interventions de leur organisation. Plusieurs observateurs congolais sont fort contrariés par la perspective d’une implication, à quelque titre que ce soit de l’OIF, une organisation dirigée par Mme Louise Mushikiwabo, ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda, pays agresseur du Congo placée à la tête de l’organisation internationale grâce à un habile tour de passe-passe entre les présidents Paul Kagame et Emmanuel Macron. On rappelle qu’à l’issue d’une précédente mission d’audit du fichier électoral rd congolais menée du 6 au 25 mai 2018 par l’OIF qui prétendait vouloir « analyser qualitativement et quantitativement les données, en identifier les forces et les faiblesses, formuler des recommandations, s’il échet afin d’accroître la confiance des acteurs dans le processus », l’alors ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian avait glosé dédaigneusement sur l’«arrangement à l’africaine » qu’aurait été l’élection présidentielle congolaise. Depuis 2018, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Des torrents de sang de sang aussi, particulièrement dans les territoires de l’Est du Congo à la suite de nouvelles invasions du Rwanda dont le président ne dissimule plus ses visées territoriales sur la RDC. Dernière illustration en date, ses propos au Bénin expliquant pince-sans-rire que le vrai problème entre le Congo et le Rwanda était territorial et remontait à … la Conférence de Berlin de 1884-1885 sur la bassin du Congo qui aurait « attribué des terres rwandaises au Congo ». Vu ce qui précède, l’apport de cette OIF, une organisation regroupant des pays francophones dirigée par le Rwanda, pays membre du Commonwealth, pose problème pour d’aucuns au Congo. La plupart des membres du parlement congolais interrogés par Le Maximum, disent se méfier des « experts » commis par Louise Mushikiwabo, une des égéries du régime mono ethnique de Kigali, accusée par ailleurs d’avoir caporalisé cette organisation internationale au point d’effaroucher le Canada, deuxième pays contributeur, qui a décidé de ne plus délier les cordons de sa bourse tant qu’elle trônerait à sa tête, car cela reviendrait à se jeter pieds et poings liés sur les fourches caudines de l’agresseur de la RDC. Au cours d’une intervention sur une chaîne de télévision kinoise, dimanche 30 mars 2023, le très influent député national lumumbiste Lambert Mende Omalanga (Majorité / Union sacrée de la nation) a résumé les appréhensions de la plupart de ses collègues en déconseillant formellement au gouvernement et à la centrale électorale tout transfert des données électorales congolaises à une OIF dirigée par Madame Mushikiwabo. Dans son compte Twitter, Boniface Musavuli, un intellectuel membre de l’opposition à Félix Tshisekedi a aussitôt écrit « pour une fois, on est d’accord avec Lambert Mende. La CENI ne doit rien traiter avec cette OIF contrôlée par Kagame (via Louise Mushikiwabo). La RDC devrait même quitter cette organisation se noie dans des errements diplomatiques ». Ici, personne n’a oublié la tentative maladroite du président rwandais Paul Kagame, alors président en exercice de l’Union africaine, d’interférer dans le processus électoral de 2018 en se fendant d’un communiqué fallacieusement attribué aux organes de l’organisation continentale pour proposer la surséance de la proclamation des résultats de la présidentielle remportée par Félix-Antoine Tshisekedi. Le gouvernement congolais et la CENI devraient donc, d’une part éviter de donner carte blanche à une quelconque force étrangère sur son territoire et, d’autre part, ne collaborer qu’avec des partenaires extérieurs susceptibles de les aider à éviter que les scrutins annoncés n’aboutissent à une véritable chienlit.-
LE MAXIMUM