Impossible de voir les choses autrement dans la province du premier 1er ministre et Héros National de la RDC, le Sankuru. Près d’un an après son élection à la tête de cette province, le 6 mai 2022, Jules Lodi Emongo a plus déchanter qu’enchanter. Pourtant, l’avènement d’un jeune intellectuel détenteur d’une licence en droit de l’Unikin, après les déboires enregistrés avec le semi-lettré Joseph Stéphane Mukumadi, avait suscité quelques espoirs. Pas pour longtemps, hélas !
Symptomatique de cette situation cauchemardesque, un communiqué rendu public le 3 avril courant par le cabinet du gouverneur de province dénonçait «le déferlement dans les réseaux sociaux des correspondances officielles, en l’occurrence celles du président de la cour d’appel du Sankuru et du directeur général de la RVA». Les communicants de Lodi répondaient ainsi à des protestations en provenance de la cour d’appel locale se plaignant de plusieurs cas d’outrages à magistrat par le gouverneur et de la direction générale de la Régie des voies aériennes fustigeant ses immixions dans la gestion de cet établissement public national ne relevant nullement de ses compétences. Sans répondre dans le fond à ces griefs, le texte se limitait à «rassurer l’opinion de l’attachement du gouverneur aux valeurs de bonne gouvernance et de l’Etat de droit, cheval de bataille de la politique du président de la République, chef de l’Etat». Sans plus.
Anguille sous roche
Pas la peine d’aller loin. Il y a manifestement anguille sous roche. Parce que la bonne gouvernance et l’Etat de droit ne se proclament pas dans un communiqué. Ils se constatent dans la vie institutionnelle quotidienne. Au Sankuru, rares sont dans l’opinion ceux qui peuvent aligner la moindre évolution positive dans le chef du patron de l’exécutif provincial près d’un an après son arrivée aux affaires. Le chemin tracé par Me Jules Lodi pour sa province est plutôt jonché de conflits à la limite du vaudeville.
Il en est ainsi des courriers dont se plaint le gouverneur qui s’est mis à couteaux tirés tant avec l’organe délibérant qu’avec les instances judiciaires de la province, pourtant animés par d’éminents intellectuels. Manifestement parce qu’il a tenté de les instrumentaliser pour les réduire en simples garçons de course.
Dans une correspondance datée du 22 mars 2023, le 1er président de la cour d’appel du Sankuru, le juge David Okundji Wembokoko, a ainsi dénoncé rien moins que «des entraves au bon fonctionnement du pouvoir judiciaire et outrage aux magistrats». Des mots qui ne doivent rien au hasard pour ce juriste d’habitude taciturne. L’avocat placé à la tête de la province développe une fâcheuse tendance à marcher sur les principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice pourtant consacrés par la constitution en vigueur au Congo. Notamment en faisant systématiquement obstruction à l’exécution des décisions judiciaires, en ordonnant par exemple à des policiers véreux de molester les huissiers de justice commis à cet effet ou en instruisant un administrateur de territoire d’empêcher l’exécution d’un arrêt rendu contre un de ses proches.
Seul maître après Dieu
Le juge David Okundji Wembokoko fait également état de cas d’excès de pouvoir dans le chef du gouverneur Jules Lodi, qui, à l’occasion d’un atelier de formation organisé en novembre 2022 à Lodja par l’APLP, une structure de la présidence de la République et auquel prenaient part les magistrats du ressort, avait carrément fait déguerpir tous les participants (y compris le 1er président et le procureur général) de la salle au motif que les organisateurs n’avaient pas reçu son autorisation préalable…
La liste des griefs portés à charge du gouverneur Jules Lodi Emongo est loin de se clore, puisque le courrier du 1er président de la cour d’appel du Sankuru évoque également «des immixions intempestives dans les procédures d’instruction préjuridictionnelle et le fonctionnement du parquet, ainsi qu’une instruction illégale aux services locaux de la Direction générale de migration (DGM) d’empêcher les magistrats en congé statutaire de voyager sans son autorisation. Au Sankuru, où il se considère seul maître après Dieu, Jules Lodi s’est même publiquement déclaré «magistrat suprême par délégation» (sic !) au cours d’un meeting populaire au stade Lumumba de Lodja avant de s’en prendre à tous les magistrats affectés dans cette juridiction en les traitant de «corrompus» et de promettre à ses partisans de les faire renvoyer on ne sait à qui.
Naturellement, cette saillie insultante est considérée comme outrageante et fait partie des litiges qui minent les rapports entre l’exécutif provincial et le pouvoir judiciaire au Sankuru. «En définitive, il ressort que vous êtes le seul coupable et responsable de la détérioration du climat entre les institutions étatiques au sein de la province du Sankuru. Au lieu de jouer le rôle qui est le vôtre, en respectant vos attributions constitutionnelles et légales, vous préférez entretenir le désordre, l’anarchie et une cohabitation inutilement et vainement conflictuelle avec le Pouvoir judiciaire», écrit le 1er président de la cour d’appel du Sankuru dans sa lettre au gouverneur Lodi. Dont le communiqué du cabinet daté du 3 avril indique qu’il n’a que très peu apprécié d’être ainsi quasiment rappelé à l’ordre.
Gestion scabreuse
La gestion financière du Sankuru par le gouverneur Jules Lodi ne semble pas, elle non plus, aussi catholique que le prétend son communiqué susmentionné du 3 avril, à en juger par la levée de boucliers au sujet du dossier relatif au projet crédit carbone géré par Bonobo conservation initiative (BCI), une Ong environnementale américaine. Dans une correspondance du 27 janvier 2022, le président de l’Assemblée provinciale du Sankuru, Benoît Olamba Odimba, a purement et simplement exigé la suspension des activités de cette Ong pourtant portée à bouts de bras par le gouverneur. Parce que l’Assemblée provinciale n’a à aucun moment été impliquée dans la mise en œuvre d’un projet au sujet duquel des décaissements de sommes mirobolantes auraient eu lieu. «Aucune réalisation de Bonobo conservative initiative n’est visible dans la province et les intérêts des populations locales n’ont nullement été pris en comptes», précise le speaker de l’Assemblée provinciale.
Dans un courrier, le 9 février 2023, Jules Lodi avait simplement informé le président de l’Assemblée provinciale de sa décision unilatérale de lever la suspension du projet «parce qu’aucun élément probant ne milite en faveur de sa suspension». La conflictualité entre l’Assemblée provinciale et l’exécutif provincial était ainsi consommée.
Autre reproche fait au gouverneur Jules Lodi : la ‘‘révocation’’ totalement illégale du commandant de l’aérodrome de Tshumbe et de l’aéroport national de Lodja au motif, selon un courrier du directeur général de la Régie des voies aériennes, Alphonse Shungu Mahungu, qu’ils avaient laissé décoller des aéronefs que l’irascible gouverneur voulait retarder à son profit personnel «en violation des règles élémentaires de l’organisation de l’aviation civile internationale».
Le Sankuru sous Jules Lodi Emongo vogue de la sorte de conflit en conflit, au mépris des priorités de développement local et d’épanouissement de ses populations. A quelques mois des scrutins électoraux dans cette province de l’espace grand Kasaï, d’où est issu le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi, d’aucuns s’interrogent sur les motivations réelles de ce gouverneur élu au titre de candidat indépendant le 6 mai 2022. Des inquiétudes qui semblent avoir gagné Kinshasa, puisqu’aux dernières nouvelles, l’homme aurait été convoqué à Kinshasa par sa hiérarchie. Wait and see.
J.N. AVEC LE MAXIMUM