Face à l’agression rwandaise par le M23 interposé, le déploiement de la force militaire régionale de l’Afrique de l’Est (EAC), avec un mandat offensif, avait été perçu par l’opinion congolaise comme une bouée de sauvetage. Et Kinshasa n’a rien fait pour refroidir les espoirs nés de l’annonce du déploiement des troupes ougandaises, kenyanes, burundaises, sud-soudanaises et tanzaniennes sur le territoire national. Samedi 3 juillet 2022, le chef de la diplomatie congolaise, Christophe Lutundula Apala, martelait encore que la force de l’EAC qui sera « incessamment déployée en RDC, sera une force offensive et non d’interposition » avec mission de déloger toutes les groupes armés négatifs, en commençant par le M23, en cas d’échec du processus politique. Il se fondait en cela sur les résolutions du 3èmeconclave des chefs d’Etat de l’EAC tenu à Nairobi le 20 juin 2022, quelques semaines plus tôt donc, qui avaient également appelé à un cessez-le-feu immédiat. Jeudi 8 septembre 2022 à Kinshasa était signé l’accord sur le statut de cette force régionale à déployer à l’Est du territoire de la RDC, entre le secrétaire général de l’EAC et le ministère congolais des Affaires étrangères, en présence du président Félix Tshisekedi en personne. Le document donnait le coup d’envoi du déploiement effectif des armées des pays membres de la communauté dans la zone de l’Ituri, au Nord et au Sud-Kivu. Déploiement inefficient Mercredi 2 novembre 2022 commençait la mise en œuvre de cette résolution avec l’arrivée à Goma d’un contingent kényan qui rejoignait celui du Burundi déjà présent dans le SudKivu. Mais 4 mois après, force est de constater que la situation n’évolue guère sur le terrain des opérations. Début mars, alors qu’un énième cessez-le-feu décrété par les chefs d’Etat de la région et la facilitation angolaise devait entrer en vigueur, les affrontements se poursuivaient toujours. Pire, les terroristes du M23 resserraient leur étau sur la ville de Goma, parmi d’autres dans la région dans le dessein évident de couper toute communication avec le Sud-Kivu voisin. Une progression qui s’effectuait au nez et à la barbe des troupes kényanes de l’EAC pourtant présentes sur le terrain. Chez les Congolais, la déception est à la mesure des espoirs suscités par l’effet d’annonce de ce déploiement des forces de l’EAC qui devaient suppléer aux carences de quelques 19.000 casques bleus onusiens que l’on tient désormais pour des «touristes de luxe de la communauté internationale». D’autant plus que le 5 mars atterrissait à Goma une trentaine de militaires burundais, suivis les 15 et 16 mars par une centaine d’autres devant se déployer à Sake (Masisi), Kirolirwe et Kitchanga dans le même cadre de l’EAC. Dans l’entendement général se répandait ainsi la conviction que la force EAC opérait pratiquement en appui aux envahisseurs RDF/M23 que l’on sait incapables numériquement de conquérir et occuper durablement les espaces conquis en RDC. Sortie médiatique de Suluhu Samia C’est dans cette ambiance de doute que Suluhu Samia, la présidente de la Tanzanie, a jeté un véritable pavé dans la marre en contredisant toutes les résolutions de l’EAC. S’exprimant depuis l’Afrique du Sud, elle a en effet déclaré que «la force de l’EAC déployée en RDC était une mission de maintien de la paix qui n’est pas là pour se battre». Le gouvernement congolais se serait donc trompé ou aurait été roulé dans la farine… Dans les territoires en proie à l’activisme de la coalition RDF-M23, les propos du chef de l’Etat tanzanien ont été perçus comme une trahison de plus et les commentaires vont bon train sur les objectifs réels de cette force de l’EAC. Sur son compte twitter, Boniface Musavuli, un internaute de Beni-Butembo avance que «les armées de l’EAC sont entrées sur le sol congolais sans que l’Etat congolais ne sache quel était leur mandat précis … Si un Etat prétend ne pas savoir ce que viennent faire des armées étrangères sur son sol, soit il ment, soit il y a agression». On peut difficilement dire le contraire en l’état actuel de la situation. Sur le terrain des affrontements qui se poursuivent, les troupes burundaises se sont déployées dimanche 19 et 20 mars 2023 dans la cité de Kitchanga (Masisi) et sur l’axe Mwesso, avant de regagner leur campement à Mubambiro. Renseignements pris, elles n’étaient qu’«en mission de reconnaissance» dans cette entité demeurée sous le contrôle du M23. Dans un communiqué daté du 24 mars 2023, les FARDC ont dénoncé le refus des assaillants rwandais et leurs affidés qui subordonnent leur retrait des localités conquises à des négociations politiques avec Kinshasa. On en revient donc au statu quo ante et le plan de cessation des hostilités arrêtés par les Etats de la région et la facilitation angolaise, selon lequel les rebelles doivent s’être retirés de l’ensemble des localités conquises ces derniers mois et s’être repliés dans plusieurs lieux de cantonnement sous l’observation des troupes de l’EAC paraît voué à l’échec. Les terroristes ne désarment pas Mardi 28 mars 2023, les terroristes de la coalition RDF-M23 ont attaqué la cité de Mwesso à une centaine de km de Goma, provoquant un nouveau déplacement des populations qui retournaient progressivement chez elles. Le plateau de Mwesso est connu pour ses ressources minières et la beauté de l’environnement qui lui vaut le surnom de «Suisse d’Afrique ». L’assaut sur la petite agglomération confirme la thèse congolaise d’une guerre économique entretenue par Kigali. Le 29 mars 2023, les FARDC ont dans un communiqué dénoncé cette énième violation du cessez-le-feu par le Rwanda qui continue à distraire la communauté internationale alors qu’il achemine troupes et matériels militaires en RDC. Réunis la semaine dernière à Bujumbura pour faire le point sur l’évolution de la situation militaire au Congo à l’échéance de l’accord conclu en septembre dernier à Kinshasa, les chefs d’Etat-major des pays de l’EAC n’ont pu faire mieux que solliciter le renouvellement de leur mandat. Peter Mathuki, le secrétaire général de l’EAC, a été chargé d’écrire officiellement à Kinshasa pour le renouvellement de l’accord de siège (SOFA) afin de permettre le plein déploiement des troupes soudanaises et ougandaises notamment, qui sont attendues d’ici fin mars. «Un déploiement complet sera nécessaire pour réaligner les forces et renforcer la confiance de la population locale grâce à la visibilité parmi les communautés», selon le point de vue des militaires réunis à Bujumbura. Les chefs d’Etat-major des armées de l’EAC sollicitent également de Kinshasa l’autorisation de réaffectation au siège de l’EACRF à Goma des soldats rwandais expulsés il y a quelques mois, ce qui paraît problématique. L’UPDF entre en jeu En attendant, Kampala ne s’est pas embarrassé du renouvellement du SOFA pour envoyer ses troupes au Nord-Kivu. Un contingent UPDF emmené par le colonel Mike Walaka est entré en RDC par Bunagana occupé par le Rwanda, sous la supervision du commandant des forces terrestres de l’armée ougandaise le lieutenant-général Kayanja Muhanga. Les desseins de Kampala ne sont pas secrets. «Nous ne venons pas en RDC pour combattre le M23», a prévenu le porteparole adjoint de l’UPDF, Deo Akiki. Mais, pour Kinshasa, les programmes militaires et politiques de l’EAC doivent se dérouler simultanément, ce qui signifie que les troupes de la communauté peuvent combattre tout en encourageant le dialogue entre parties au conflit.
A la réunion de Bujumbura, Kinshasa a réitéré son souhait de voir la force de l’EAC s’attaquer aux rebelles qui refuseraient de se rendre, particulièrement au M23 soutenu par Kigali tandis que les chefs faisaient état de leur intention de s’attaquer également aux FDLR et à d’autres groupes armés étrangers et locaux. L’entendement à donner à ce concept peut à lui seul constituer un front. Le volet politique du processus de Nairobi prévoit des négociations, déjà entamées, entre la RDC et les groupes armés nationaux, qui devraient se poursuivre avec quelque succès depuis que la RDC semblait prête pour un reclassement au titre de «réservistes» de certains membres de ces groupes disposés à défendre la patrie au lieu de la combattre. Les «Wazalendo» (compatriotes) actifs au Nord-Kivu ne seraient plus, de ce point de vue, considérés comme faisant partie des forces négatives. D’autres, en Ituri et au Sud-Kivu devraient suivre le mouvement. Ce qui ne laisserait sur la liste des groupes armés à neutraliser que les FDLR, les ADF et le M23, pour autant que ce dernier, soutenu par Kigali, s’obstine à mettre en œuvre l’agenda hégémoniste de ses parrains. Encore faudra-t-il que tous au sein de l’EAC partagent ce point de vue. Ce qui est loin d’être le cas jusqu’à présent. En tout état de cause, la balle se trouve dans le camp de la RDC qui peut ou non, renouveler le SOFA de déploie- ment des troupes de l’EAC en RDC.
J.N. AVEC LE MAXIMUM