Par Lambert Mende Omalanga*
Moins d’une semaine après la fin du mémorable séjour à Kinshasa du Pape François qui s’en est retourné à Rome via Juba au Soudan du Sud où il a passé quelques deux jours, c’est le retour à la polémique politicienne dans la fournaise congolaise. Y compris au sein de la hiérarchie de l’Eglise catholique romaine, supposée premier relais du credo du successeur de Saint Pierre à l’intention des fidèles et des hommes de bonne volonté, comme on dit. En cause, comme toujours depuis qu’il est revêtu de la dignité cardinalice, le primat de cette confession religieuse Fridolin Ambongo Besungu, archevêque de Kinshasa qui, à l’issue de la messe papale sur le vaste esplanade érigé pour la circonstance par le gouvernement congolais sur l’aérodrome de Ndolo le 2 février 2023, s’était laissé aller à gratifier l’illustre visiteur d’un message vitriolé qui n’avait plus sa raison d’être. Puisque quelques heures plus tôt devant le gotha politique au Palais de la Nation, dans une communication pleine de sagesse et de bienveillance, le chef de l’Église catholique avait tout dit. En insistant particulièrement sur une vérité apodictique selon laquelle « le pouvoir n’a de sens que s’il est un service », en réponse au tableau synoptique préoccupant du pays que venait de peindre éloquemment le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo à l’invitation de qui il visitait ce plus grand pays catholique d’Afrique.
Devant le Pape et une foule de fidèles estimée à plus d’un million d’âmes, l’archevêque kinois n’a pas résisté à la tentation de (re)décrire la situation générale du pays : « Le peuple congolais est aujourd’hui confronté à une crise multiforme : conflits armés, particulièrement dans la partie Est du pays, crise économique, et crise sociale. Très Saint Père, le peuple qui vous accueille aujourd’hui et qui est là devant vous est un peuple qui souffre, dans son corps et dans son âme », a-t-il lancé à la cantonade avant de plonger dans une polémique domestique devant le chef de l’État du Vatican en ajoutant que «votre visite, Très Saint Père, intervient aussi durant une année électorale qui est souvent source de tensions sociales et politiques dans notre pays. (…) Nous espérons voir se tenir dans notre pays des élections libres, transparentes, inclusives et apaisées».
Ces propos plus ou moins acariâtres ont été fort diversement appréciés. Le moins que l’on puisse dire, est qu’ils n’ont pas fait l’unanimité dans un pays où tous n’ont pas encore oublié les parti-pris politiciens de certains ecclésiastes au cours de ces dernières années. Le 2 février 2023 à l’aéroport de Ndolo, c’est sur le débat clivant concernant les résultats de la dernière élection présidentielle que le Cardinal Fridolin Ambongo remettait ainsi une couche. Était-ce la priorité du moment ? On peut en douter au regard de l’actualité marquée par la énième agression du pays par le Rwanda et ses comparses qui, ne dissimulant plus leurs visées subversives, ont obligé l’évêque de Rome à annuler une visite prévue de longue date à Goma « pour raisons de sécurité ». Mais de cela, le primat de l’église congolaise semblait n’en avoir cure…

Pour nombre d’analystes, le cardinal a commis un impair en plaçant sur le même diapason la survie menacée de la Nation congolaise de même que les souffrances indicibles de ses compatriotes de l’Est et cette querelle postélectorale éculée de décembre 2018 ainsi que le (possible) remplacement du chef de l’État élu en la circonstance et envers lequel il semble nourrir une certaine aversion. Sans risque de se tromper, on peut affirmer que les« élections libres, transparentes et apaisées »que le cardinal appelle de ses vœux sont celles qui consacreraient d’une façon ou d’une autre la fin d’un régime politique honni.
24 heures après cette saillie musclée, le Pape François, qui ne s’y est nullement trompé, a réitéré ses remontrances à l’intention du clergé rd congolais. A sa manière, dans un langage paternel empli de sollicitude et de simplicité mais sans ambages. S’adressant aux évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) au Centre Interdiocésain de Kinshasa peu avant de s’envoler vers le Soudan du Sud, le Souverain pontife a en effet martelé à l’intention de ses interlocuteurs que «nous sommes des pasteurs et des serviteurs du peuple, pas des hommes d’affaires», allusion à l’affairisme dans lequel verse quasiment sans exception la plupart des membres du clergé de la RDC, évêques en tête. « En tant qu’église, nous avons besoin de respirer l’air pur de l’Evangile, chasser l’air pollué des mondanités, garder le cœur juvénile de la foi. C’est ainsi que j’imagine l’église africaine et c’est ainsi que je vois cette église congolaise », avait poursuivi François. Puis, mettant en garde contre une politisation à outrance, il a précisé que « si la prophétie chrétienne s’incarne dans de multiples actions politiques et sociales, telle n’est pas la tâche des évêques et des pasteurs en général. Il faut donc arracher les plantes vénéneuses de la haine et de l’égoïsme, de la rancœur et de la violence ; renverser les autels consacrés à l’argent et à la corruption ; bâtir une coexistence basée sur la justice, la vérité et la paix ; et, enfin, planter les graines de la renaissance pour que le Congo de demain soit vraiment ce dont le Seigneur rêve : une terre bénie et heureuse, plus jamais violentée, opprimée ni ensanglantée ».
Pas certain que tous parmi les princes de l’église catholique l’aient entendu de la même oreille. Puisqu’au cours d’un point de presse revanchard dimanche 5 février 2023 à Kinshasa, Mgr Donatien Nshole avait déversé sa bile sur l’excellent journaliste Christian Lusakueno, directeur de la radio Top Congo FM dont le seul péché est d’avoir regretté dans une chronique éditoriale que le cardinal Fridolin Ambongo n’ait pas fait grand cas de l’agression que subit la République Démocratique du Congo dans son propos de Ndolo. Sans s’inspirer de la suave onctuosité dont avait usé le patron de l’Église catholique au cours de toutes ses adresses à Kinshasa même sur les questions les plus controversées, le porte-parole de l’épiscopat congolais a abruptement qualifié les propos de Lusakueno de « très limités », « propres aux badauds » ajoutant que « pour un intellectuel qui ne fait pas une bonne analyse, c’est vraiment dommage ». Dans la foulée, Mgr Donatien Nshole n’a pas épargné tous les autres auteurs pourfendeurs du cardinal de Kinshasa : « Le Cardinal Ambongo est un pasteur aimé par des milliers de fidèles dans ce pays. En l’insultant, vous offensez tous ceux qui l’aiment et politiquement ce n’est pas rentable. Vous desservez le chef de l’État», a-t-il bûcheronné d’un ton presque menaçant.
Outre la futilité d’un tel argument d’autorité dans un débat de société, on est à mille lieux d’une exhortation du Pape François aux évêques congolais auxquels il avait essayé de faire comprendre à quel point il est indécent de se servir de la position éminente que confère une charge cléricale pour vouloir en imposer socialement. Dommage que tout le monde ne l’ait pas entendu, manifestement.
*Député national