Tout s’était déjà joué le 15 août dernier, lorsqu’après six jours de suspens, Wafula Chebukati, le président de la commission électorale kenyane avait annoncé les résultats très serrés de la présidentielle du 09 août 2022. Malgré le boycott de la séance de proclamation par 4 des 7 membres de la commission, William Ruto avait été déclaré vainqueur, ce qui ne laissait à son challenger Raïla Ondinga que la possibilité de saisir la plus haute juridiction du Kenya dont l’indépendance avait été révélée cinq ans plus tôt lorsque, à la requête de ce dernier, alors candidat de l’opposition contestant la réélection du président Uhuru Kenyatta, elle annula carrément les résultats de l’élection présidentielle tels que publiés par la commission électorale, imposant un nouveau scrutin. Une première en Afrique qui avait considérablement accru le prestige de la justice de ce pays Est-Africain.
En août 2022, la Cour suprême kenyane s’est trouvée confrontée à une tout autre réalité dans la mesure où William Ruto, le vainqueur proclamé par la commission électorale, faisait figure de candidat de l’opposition. En effet, une année seulement après sa réélection, le Uhuru Kenyatta avait rompu le pacte électoral qui le liait à son colistier William Ruto pour convoler en justes noces avec l’alors leader de l’opposition Raïla Ondinga. Privé du soutien du président en exercice, Ruto avait eu les coudées franches pour camper dans la posture d’une alternative crédible.
Le fait que la commission électorale dont le bureau était pondéralement acquis au pouvoir ait pu proclamer vainqueur l’adversaire du régime en place donne à croire qu’en réalité, les chiffres étaient moins serrés qu’annoncés. Il y avait dès lors peu de chance que Mme Martha Koome, la chief justice du Kenya et ses homologues que l’on sait très à cheval sur les principes éthiques puissent remettre en cause les résultats provisoires ainsi proclamés. Ondinga qui a été à deux doigts de devenir le premier Luo à accéder au ‘’top job’’ reste donc dans l’opposition. Dans un pays secoué par des affrontements ethniques mettant aux prises depuis l’indépendance son groupe ethnique (Luo) et les Kikuyu de Uhuru Kenyatta, d’aucuns pariaient sur une « réconciliation nationale » par l’élection du Luo Raïla Ondinga, avec l’appui du Kikuyu Uhuru Kenyatta. C’était sans compter avec l’évolution de la culture politique kenyane plus orientée vers des clivages plus sociaux qu’ethno tribaux. Délestée des atavismes communautaires vintage, les nouvelles générations semblent s’être montrées plus réceptives au message électoral de Ruto-le-débrouillard qui s’était résolument attaché à ressasser divers sujets brûlants de société.
Le vin est tiré et il faut le boire. A la prochaine élection présidentielle, Raïla Ondinga aura 82 ans. Après avoir concouru cinq fois au suffrage depuis 2002, l’ancien 1er ministre affiche l’image d’un éternel perdant. Âgé actuellement de 56 ans, le cinquième président du Kenya, William Ruto appartient à une autre génération. Il fut naguère en alliance électorale avec le doyen Raïla Ondinga avant de devenir le colistier d’Uhuru Kenyatta. La réconciliation entre Kenyatta et Odinga, bien que mettant fin à une longue rivalité entre deux des plus grandes ethnies du Kenya, les Kikuyu et les Luo et les dynasties fondées par leurs géniteurs, le premier président du Kenya Jomo Kenyatta, un Kikuyu et son vice-président Jaramogi Oginga Odinga, un Luo.
Presqu’octogénaire, Raïla Odinga devrait se désengager du pugilat électoral et endosser le costume de sage pour ne pas connaître l’amère expérience d’Antoine Gizenga, le très respecté lieutenant de Patrice-Emery Lumumba dont la stature mythique avait frôlé la flétrissure lorsque, à 82 ans, la boulimie utilitariste de son entourage le poussa à revenir aux affaires comme 1er ministre de Joseph Kabila.
La victoire, désormais inscrite dans le marbre, de William Ruto, un Kalenjin, est une surprise pour ceux qui, obnubilés par des variables surannées, pensaient que la présidentielle de 2022 ne serait qu’une simple formalité en raison du poids démographique des Luo et des Kikuyu dont les leaders avaient fait alliance derrière le vétéran Raïla Odinga.
A l’annonce de cette alliance en 2018, quelques opportunistes congolais avaient fait des pieds et des mains pour se rapprocher d’Odinga en participant aux happenings de sa plateforme Azimio La Umoja ou en invitant ses partisans à leurs propres activités. Le parler vrai de William Ruto qui avait raillé la tendance des Congolais à frimer alors que leur pays si riche était agressé et pillé avait aggravé leur désamour pour ce boute-en-train peu enclin à la langue de bois. La victoire sur le fil de Ruto remet en relief l’exhortation faite aux Congolais par le Maximum (livraison du 16 août) à ne pas se substituer aux Kenyans, seuls habilités à élire leur président, ni à se formaliser des propos peu laudatifs de ce cinquième chef d’État du Kenya sur leur inclinaison à l’insouciance et aux mondanités au détriment des vrais problèmes qui assaillent leur pays.
Certes, la pilule est difficile à avaler pour ceux des Congolais qui se sont naïvement arcboutés sur l’anabase du doyen Odinga vers un ‘’top job’’ assuré. Mais nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. Asseoir un projet politique dans son pays sur des partenariats extérieurs, fussent-ils sous-régionaux qui sont aléatoires par définition est un saut vers l’inconnu dont on doit accepter d’assumer les conséquences.
LE MAXIMUM
