Organisé par l’archevêque métropolitain de Lubumbashi, Mgr Fulgence Muteba, le forum pour l’unité et la réconciliation des katangais, ouvert le 16 mai 2022, ne s’est pas clôturé comme prévu le 19 du même mois. Ces assises qui ont réuni quelques 200 personnalités politiques et de la société civile du Grand Katanga sous le thème «Frères et soeurs un jour, frères et soeurs toujours» au Centre Mgr Jean-Pierre Tafunga se sont prolongées jusqu’au dimanche 22 mai. Officiellement pour s’assurer une plus large intégration avec la participation, en dernière minute, du président de la République honoraire, Joseph Kabila. Et ce fut fait.
Arrivé à Lubumbashi quelques heures plus tôt en provenance d’Afrique du Sud, l’ancien chef de l’Etat s’est pointé à la messe de clôture des assises de la capitale cuprifère, dernière manifestation prévue par les organisateurs du forum. Ce fut l’occasion pour Kabila le taiseux d’effectuer une rentrée politique qui n’est pas passée inaperçue parce qu’il a accaparé à lui seul toute l’attention de l’assistance et de l’opinion.
Dans une cathédrale de Lubumbashi pleine comme un oeuf, l’homme de Kingakati s’est vu accorder le siège d’honneur devant l’assistance, juste en face des concélébrants de l’office, reléguant ainsi à l’arrière-plan tous les autres participants au séminaire, en ce compris Moïse Katumbi Chapwe et ses rêves de gloire.
Tout protocole observé
L’essentiel semblait acquis pour les organisateurs de cette réconciliation katangaise. Puisqu’à l’invitation de Mgr Muteba, Moïse Katumbi a dû quitter sa place pour venir serrer la main de l’ancien président de la République. La brève étreinte et l’échange de quelques mots entre les deux personnalités furent salués par un tonnerre d’applaudissements. Les assises de Lubumbashi se clôturaient de la sorte sous de bons augures. D’autant plus que samedi 21 mai, tous les élus nationaux et provinciaux du Katanga avaient effectué le déplacement de la prison de Kassapa pour réconforter un des leurs, le pasteur Daniel Ngoy Mulunda, condamné pour propos xénophobes il y a quelques années. Après qu’un match de football loisirs auxquels des katangais farouchement opposés les uns aux autres il y a quelques semaines encore, comme Katumbi, Mova, Konde, etc eurent égayé les convives de Fulgence Muteba au Stade TP Mazembe de Lubumbashi, un jour plus tôt.
Seul bémol : le Centre Mgr Jean-Pierre Tafunga n’a pas dissimulé la grave confusion sémantique qui a entouré les échanges inter-katangais. Dès ses premières heures, le forum pour la réconciliation et l’unité des katangais s’est avéré une affaire de quelques personnalités, ainsi qu’on le constate au nombre de délégués aux assises, limité à 200 personnalités. Pire, à la longue, il s’est avéré qu’à Lubumbashi, les principaux protagonistes étaient bien Katumbi et Kabila.
Confusion sémantique et sophisme
C’est ce qu’assure dans les médias Jean-Claude Muyambo, avocat d’affaires, ancien ministre et président du parti SCODE, longtemps incarcéré sous la présidence de Joseph Kabila. «Au lieu de parler de la réconciliation, c’est comme si on a voulu nous mettre dans un contrat d’adhésion où il y avait déjà des histoires préparées et vous venez, vous signez et puis c’est fini», déplore-t-il, révélant qu’«au finish, on nous a amené un document où les gens devaient apposer leurs signatures».
Cette extrême personnalisation du forum de réconciliation de Lubumbashi, Muyambo n’est pas le seul à la déplorer. Un acteur en vue de la société civile katangaise, Thierry Nzonde de l’ONG «Non à l’injustice», l’a aussi fustigée en déclarant sa déception «parce que les animateurs de ce forum, les organisateurs, sont à 85 % des politiciens. Et comme politicien, quand vous les regardez parler, vous comprenez qu’ils veulent faire plaisir à tel ou tel autre. Et ça nous n’en avons pas besoin. Il y a une majorité silencieuse qui regarde, qui supplie Mgr Fulgence de créer une continuité en triant les animateurs et organisateurs parmi des apolitiques, des gens qui ne viennent pas avec des agendas cachés et c’est ce qui s’est passé aujourd’hui puisque des questions sérieuses pour la population katangaise n’ont pas été traitées dans le fond. Pour parler des Katangais nous ne devons pas parler individus. Parlons communauté. Il ne fallait pas nous amener sur le terrain des individus, nous n’en avons pas besoin. Parlons communauté s’il vous plaît. Nous suggérons à l’Archevêque de créer une autre continuité avec des gens qui peuvent se parler en face sans avoir les mains liées pour tel ou tel autre. Ce forum, les katangais ne vont pas retrouver leurs attentes. Parce que déjà au départ, c’est quelque chose qui a été décidé par les organisateurs. Il ne faut pas nous utiliser comme tremplins pour régler des problèmes politiques ou créer un groupe de pression contre tel ou tel autre. On n’en a pas besoin». Tout est ainsi dit. Ou presque, parce qu’il reste à savoir qui a tiré les marrons du feu de ces assises de Lubumbashi.
Stratégie katumbiste
A première vue, c’est Moïse Katumbi, dont les relations plus qu’amicales avec l’archevêque de Lubumbashi sont de notoriété publique. De l’avis de plus d’un observateur, le prélat a voulu rendre une fière chandelle politique à son mentor, candidat à la prochaine présidentielle et lui procurer les faveurs des kabilistes, à défaut de celles de Joseph Kabila en personne.
Candidat à la présidentielle 2023, l’homme de Kashobwe sait en effet qu’il part perdant sans le soutien de ses «frères katangais». Car en fait, les kabilistes, en votant pour un autre candidat, provoqueraient une dispersion de voix qui serait fatale à ses ambitions. Il lui fallait donc une sorte de «Genval bis», selon l’expression d’un internaute, pour réunifier tous les katangais autour de sa candidature.
C’est ce que Mgr Fulgence Muteba s’est efforcé de lui offrir sur l’autel de sa cathédrale lushoise, selon ces analystes, qui estiment qu’en réalité, l’ambition de Moïse Katumbi est de contrôler in fine les richesses minières du Katanga en particulier et de la RDC en général.
Après avoir acquis les forces politiques katangaises, l’ancien gouverneur du Katanga envisagerait de se déployer dans toute la partie swahiliphone de l’Est rd congolais pour préparer une victoire face à Félix Tshisekedi en 2023.
Messe anti-Fatshi
De ce point de vue donc, le forum du Centre Mgr Jean-Pierre Tafunga aura été une messe anti-Tshisekedi. Fabien Mutomb, un élu katangais de l’Union sacrée devenu patron de la SNCC, en a eu pour ses frais lorsqu’il a osé évoquer les bons côtés du leadership de Tshisekedi. Hué par une assistance à 80 % kabiliste, selon Muyambo, il avait décidé de claquer la porte du forum avant d’y revenir sur insistance des organisateurs. Autant que Me Muyambo lui-même qui s’est indigné de ce que «si je cite le nom de Tshisekedi dans la salle on va huer, mais quand on cite le nom de Shina-Rambo (Joseph Kabila), on applaudit».
Les réactions à la poignée de main ayant ponctué la célébration eucharistique de la Cathédrale de Lubumbashi, dimanche 22 mai 2022, est révélatrice des attentes des katumbistes.
Habitué à des propos peu amènes sur Joseph Kabila et sa famille politique, Olivier Kamitatu, dircab de Katumbi assurait sur son compte twitter lundi 23 mai que «parce que cela paraissait impossible, que personne n’y croyait, que tout s’y opposait, et surtout parce qu’ils ont compris que personne n’est condamné à vivre éternellement en frères ennemis qu’ils ont eu le courage de fendre l’armure. Bravo à eux ! Ils ont écrit l’histoire». Un autre katumbiste, Me Onyemba rêvait déjà d’un attelage présidentiel calqué sur le modèle russe entre Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev d’il y a quelques années. «Et si Ka soutenait Ka ? Vers une poutinisation de la donne ?», a-t-il posté le même lundi 23 mai 2022. Tandis que le député provincial katumbiste de Kinshasa, Mike Mukebayi, annonçait «un attelage à 4 avec notamment Martin Fayulu et Mapon Matata pour la prochaine présidentielle. Les contacts sont très avancés et ce que vous avez vu hier à Lubumbashi n’est que la partie visible de la stratégie».
Une balle dans le pied
Mais à y regarder de près, il apparaît qu’à Lubumbashi, Moïse Katumbi se sera tiré une balle dans le pied. Les lieutenants de Joseph Kabila se sont, eux aussi bruyamment réjouis du retour sur scène de leur mentor. Pas pour s’offrir en holocauste à Katumbi car, selon des sources autorisées, les hommes de Kabila ont été à la manoeuvre de leur côté, pour tourner les assises de Lubumbashi à leur avantage. D’abord en exigeant le strict respect des usages protocolaires en la cathédrale de Lubumbashi entre un ancien chef d’Etat et un ancien gouverneur. Ensuite en organisant des activités de visibilité pour l’ancien Raïs à l’issue du forum.
L’arrivée tardive de Kabila au forum résulterait d’une stratégie visant à la fois à ne pas prêter le flanc aux présomptions sécessionnistes attachées à tort ou à raison à cette rencontre et à stigmatiser son poids politique. «Aucun prétendant sérieux à la magistrature suprême ne peut prendre part à un forum aux allures sectaires tout en comptant sur les voix des électeurs des autres provinces, notamment kasaiennes, de l’Est et de l’Ouest de la RDC», argue-t-on à ce sujet.
Commentaires ravis
L’ancien ministre PPRD de la Communication, Toussaint Tshilombo, s’est félicité dimanche 22 mai de la poignée de mains entre les deux hommes. «Joseph Kabila et Moïse Katumbi viennent de se serrer la main ! Qui pouvait croire en cet acte, il y a quelques jours ? Que la sincérité, l’honnêteté et la fraternité suivent l’acte», a-t-il posté sur son compte Twitter. Même son de cloche chez Kikaya Bin Karubi, ancien ministre de Kabila, en exil depuis quelques mois qui s’est extasié de cette «nouvelle ère qui s’annonce au Grand Katanga. Réconciliation autour du leader national, l’espoir de tout un pays, de tout un peuple. Au Grand Kivu, à la Grande Orientale, au Grand Equateur, au Grand Bandundu, au Grand Kasaï, au Congo Central, à Kinshasa d’emboîter le pas. La RDC en a besoin».
L’ancien ministre de la Santé, Félix Kabange Numbi, ressortissant du buluba i bukata, ethnie majoritaire au grand Katanga comme Kabila, avait dès jeudi 19 mai, avant l’ouverture des assises, déclaré que «ça ne sera pas une surprise de voir Joseph Kabila et Moïse Katumbi se réconcilier. Les moments de rupture, il y en a eus entre les deux frères. Aujourd’hui, on parle de la réconciliation entre tous les katangais. Les deux aussi pourraient se réconcilier par la même occasion».
Dimanche 22 mai, il soutenait triomphalement que «quelle que soit la profondeur des problèmes qui nous divisent et les divergences qui nous séparent, la fraternité ne peut pas être brisée pour toujours. Frères un jour, frères pour toujours».
«Père, j’ai péché …»
Lubumbashi aura laissé dans l’opinion une piètre image du candidat Moïse Katumbi, bien résumée par un internaute inspiré par le passage biblique du livre de Luc, 15 : 18-19 : «Katumbi : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils, traites-moi comme l’un de tes ouvriers. Kabila : Ok. Ne pèche plus, retourne t’asseoir avec mes ouvriers …». Ainsi, obligé de rentrer dans les rangs, Moïse Katumbi aura porté un coup fatal à sa propre image d’opposant pur et dur et candidat valable à la succession de Joseph Kabila qu’il s’était confectionnée au cours de ces dernières années. A tout prendre, c’est lui le plus grand perdant de la messe lushoise de son affidé Mgr Muteba. A l’opposé de Joseph Kabila qui, sans y prendre part personnelement, a habilement meublé son séjour lushois de la réception, d’élus et dignitaires katangais conduits par Mgr Fulgence Muteba dans sa ferme de Kashamata.
Comme dirait le sémillant Lambert Mende, le forum de Lubumbashi aura ainsi eu le mérite de remettre le créateur et sa créature à leurs places respectives.
J.N.