En RDC, l’opinion, qui suit de près l’évolution de la situation sécuritaire à l’Est dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri sous état de siège a été désagréablement surprise, mardi 17 mai 2022 lorsque le général ougandais Muhoozi Kainerugaba, fils et dauphin putatif du président Yoweri Museveni, a annoncé la fin de la mission expéditionnaire de l’UPDF en RDC d’ici deux semaines. «L’opération devait durer 6 mois», a rappelé cet officier général qui, il y a quelques mois, avait pourtant annoncé sa retraite anticipée. «A moins que je ne reçoive d’autres instructions de notre commandant en chef, je retirerai toutes nos troupes de la RDC dans deux semaines», a écrit le général Muhoozi dans un tweet.
L’annonce a jeté un coup de froid sur les opérations de traque des rebelles ougandais de l’ADF et des milices locales, principalement de CODECO, qui sévissent particulièrement en Ituri où les troupes ougandaises prennent à peine le pied.
En effet, du front, les nouvelles n’étaient pas tout à fait encourageantes. Le 13 mai 2022, les miliciens CODECO avaient kidnappé deux femmes et leurs bébés sur la Nationale 27 à hauteur de Djugu-Centre dans la province de l’Ituri avant de disparaître dans la forêt. La même nuit, un véhicule de commerçants a été pillé par ces terroristes sur l’axe Bunia-Mahagi, contraignant de nombreux autres automobilistes à rebrousser chemin.
Pire encore, au village de Monge dans la localité de Ndimo (chefferie de Walese- Vonkutu, territoire d’Irumu) 20 civils avaient été tués quelques jours plus tôt, le 11 mai 2022, par des rebelles ADF qui ont également incendié de nombreuses habitations. Ces tueries portaient à 62 en une seule semaine le nombre de victimes de ces terroristes dans le seul territoire d’Irumu, selon la société civile locale.
Déclaration unilatérale
Il n’y avait donc pas de quoi se réjouir. Ni se lancer dans des déclarations unilatérales hors du cadre de collaboration entre les deux armées en opérations conjointes contre les terroristes du Nord-Kivu et de l’Ituri. A moins qu’il ne s’agisse d’un appel du pied pour inciter la partie congolaise à se prononcer clairement sur l’avenir de la mutualisation des forces militaires des deux pays. Ou pour plaire au Rwanda dont on sait le président Kagame réfractaire à l’idée de ne pas être associé aux opérations militaires en cours en RDC.
Quelques heures après son tweet, Muhoozi Kainerugaba a rétropédalé, déclarant dans un nouveau tweet que «pour être clair, l’opération Shujaa se poursuivra même pendant encore 6 mois si les deux président, Kaguta Museveni et Félix Tshisekedi décident de la prolonger. Les forces conjointes de l’UPDF et des FARDC seront heureuses de continuer à éliminer les ADF».
A sa suite, Patrick Muyaya, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement congolais a rassuré l’opinion au cours d’un briefing animé conjointement avec le général Johny Luboya Nkashama à Kinshasa. « Pour l’instant, il est prématuré de dire si les choses se feront de cette manière parce qu’il y a, à mon avis, le processus qui veut que les états-majors se réunissent, établissent des rapports à l’intention de leurs commandants suprêmes et que ceux-ci à leur niveau décident. Parce que ce sont eux finalement qui décident de l’engagement des armées », a-t-il expliqué.
Interrogations préoccupantes
Mais l’attitude du général ougandais n’en suscite pas moins quelques interrogations. D’autant plus que l’homme n’en est pas à sa première affirmation depuis le soudain réchauffement des relations entre Kigali et Kampala grâce à son entregent personnel. En effet, on doit aux initiatives diplomatiques de ce fils Museveni la nette amélioration des relations entre les chefs d’Etat du Rwanda et de l’Ouganda, consacré dimanche 24 avril 2022 par la première visite de Paul Kagame à Kampala depuis 4 ans, à la célébration du 48ème anniversaire du Général Muhoozi. Reçu au State House d’Entebbe, Kagame s’est entretenu avec son hôte de la situation sécuritaire dans la région.
La visite du n° 1 rwandais avait été précédée par la signature d’un accord entre les patrons des renseignements de l’UPDF et du RDF, les généraux James Birungi et Vincent Nyakarundi. Le 9 mai 2022, le général Muhoozi Kainerugaba révélait ce qu’il présentait comme un complot visant à opposer les chefs d’Etat de ces deux pays voisins. «Il y avait une conspiration entre certaines personnes des services de sécurité qui voulaient que nous allions en guerre contre nos frères du Rwanda. Une fois que j’ai découvert cette conspiration, je l’ai signalé au président».
Double jeu ?
Manifestement, alors qu’il concluait des accords économiques et militaires avec son voisin rd congolais, Yoweri Museveni chargeait le général Muhoozi de négocier avec ses pairs de la région, notamment Paul Kagame, son parrain depuis l’époque des luttes de libération de l’Ouganda. La réconciliation entre les deux anciens alliés ne peut donc qu’inquiéter en RDC où l’on se demande jusqu’où il faudra faire confiance à Kampala dans les opérations de pacification de l’Est du territoire national où des progrès notables sont enregistrés, même si les efforts de démantèlement total des rebelles et milices doivent encore se poursuivre. Devant la presse, mardi 17 mai 2022, le général Johnny Luboya, gouverneur militaire de l’Ituri s’en est expliqué en indiquant que le premier objectif militaire lui assigné consistait en la sécurisation de la ville de Bunia et des agglomérations de la province ; suivie de la reprise progressive des localités sous contrôle des ennemis ; avant d’entreprendre de les chasser de leurs fiefs habituels. «Nous avons repris ces localités et agglomérations et nous avons ouvert les grands axes routiers, en l’occurrence la RN 27 et la RN4. Nous en sommes maintenant à la seconde phase qui consiste à chasser et éloigner les groupes armés de leurs fiefs et centre d’intérêt. Ce faisant, ils sont contraints à l’errance et tuent de plus en plus pour continuer à faire croire qu’ils représentent la même menace qu’auparavant», a-t-il déclaré.
En Ituri particulièrement, l’heure est donc à l’exhortation à la patience et à la résilience. «Dans cette phase, nous demandons de la résilience non seulement à nos militaires mais aussi à notre population. Nous l’exhortons aussi à l’unité parce que quand on tue, souvent il y a des divisions. Nous devons demeurer ensemble pour nous battre contre ces terroristes et ces Congolais qui ne veulent pas comprendre», a martelé le général Luboya.
En attendant, il faut bien se faire à la présence des troupes ougandaises.
J.N