la lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics portent ses premiers fruits. Les tous premiers, manifestement, depuis que la fin de la colonisation et le remplacement, ou plutôt, la substitution du colon belge par son homologue noir réputé « évolué ». Trois ans après son accession à la magistrature suprême en RDC, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, fils et héritier politique de l’opposant historique à tous les régimes politiques qui se sont succédés à la tête de ce pays, tente d’insuffler aux préposés à la gestion de la res publica la différence entre la gestion des finances de l’État et celles d’un patrimoine privé, en y mettant quelque pédagogie.
Puisque le gouvernement ne tarit pas d’éloges sur l’augmentation exponentielle des recettes publiques, il faut bien expliquer au Congolais lambda à quoi servent ces renflouements des caisses de l’Etat.
Le 20 avril 2022, le vice-1er ministre et ministre de la Fonction publique Jean-Pierre Lihau avait annoncé l’augmentation des salaires de base des agents de l’Etat, améliorés de 30 % dès ce mois d’avril, et qui seront majorés de 45 % dès juillet prochain. Ces augmentations interviennent à la faveur du rabattement fiscal de l’IPR (impôt sur le revenu) de 15 à 3% depuis janvier 2022, conformément aux engagements de l’exécutif national vis-à-vis des syndicalistes il y a peu.
L’augmentation des recettes publiques rime avec l’amélioration des conditions salariales. C’est la leçon hautement pédagogique qu’il faut tirer des leçons de gestion des finances publiques ressassées sur tous les tons au plus haut niveau des instances nationales.
Interpellé par les épouses des militaires et policiers au cours de sa récente mission d’itinérance à Lodja dans le grand Kasaï, le président de la République s’était engagé à faire améliorer les conditions des fonctionnaires de l’Etat. «Avec 160.000 FC/mois, un fonctionnaire ne peut nourrir sa famille. La solution à ce problème est, néanmoins, trouvée. Dans les jours à venir, vous apprendrez que les conséquences de la politique fiscale du gouvernement se ressentiront sur leurs salaires. Nous ne sommes venus relever le niveau de vie des populations et du pays, et non pas pour détruire le pays. De toutes façons, il n’y a plus rien à détruire ni à voler puisqu’on a tout détruit (avant nous, ndlr)».
Pédagogie fiscale et de gestion
Interprétés dans tous les sens, ces propos présidentiels ont tôt fait d’être relégués aux oubliettes de l’actualité brûlante de l’arène politique nationale. Mais pas la nouvelle politique de gestion des finances de l’Etat dont l’héritier du sphinx de Limete, ainsi qu’on surnommait Etienne Tshisekedi wa Mulumba, se veut l’artisan. Au cours d’une rencontre avec la presse locale, le 12 avril 2022, l’Inspecteur Général des Finances chef des services, Jules Alingete Key, ne s’est pas fait prier pour confirmer les prétentions gouvernementales en matière de mobilisation des recettes publiques. «Depuis avril 2021, les finances publiques ont pris de l’ascenseur avec un niveau minimal des recettes de 450 millions USD/mois», avait révélé cet homme qui apparaît sans conteste comme la cheville ouvrière de la lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics en RDC.
Nommés le 30 juin 2020 à la tête de l’IGF, Jules Alingete Key et Victor Batubenga ont tôt fait de prendre le taureau de la corruption et des détournements des fonds publics par les cornes, en mettant en place une contre-attaque à faire rougir les meilleurs stratèges de l’art de la guerre. Car, à l’IGF (Inspection Générale des Finances), on ne s’en cache nullement : combattre ces fléaux est une guerre au propre comme au figuré. Contre des prédateurs invétérés depuis plus de 60 ans. Il faut extirper le mal à ses racines et non plus superficiellement. En commençant par la mobilisation des ressources humaines et financières à même d’affronter l’hydre de la prédation en RDC. Plus facile à dire qu’à faire.
Batterie de mesures
Si au 30 juin 2020, à la nomination du tandem Alingete-Batubenga, l’IGF comptait 50 inspecteurs généraux des finances ne disposant que de quelques 60.000 USD/mois pour contrôler les finances publiques d’un pays aux dimensions continentales comme la RDC, aujourd’hui, ce sont 225 inspecteurs des finances qui s’emploient aux mêmes tâchent grâce à une politique bien pensée de mobilisation des ressources aussi bien humaines que financières. «Il était impérieux de rajeunir le corps des inspecteurs des finances en fonction du combat à mener», explique Alingete. Mais surtout, selon lui, leur «expliquer la nécessité de s’engager dans lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics afin d’assurer le développement du pays».
Cela ne pouvait aller sans sacrifices conséquents. Notamment leur assurer un minimum de confort pour entretenir la vertu et réduire autant que possible les tentations dans leurs rangs en révisant les conditions de travail et les aspects financiers inhérents à leurs vies de «flics anti-corruption».
Dès novembre 2020, l’IGF s’est lancé dans une série de réformes portant sur son propre mode de gestion. L’inspection a migré du système des frais de fonctionnement plafonnés à 60.000 USD/mois vers la rétrocession axée sur le niveau des recettes réalisées en RDC, compte tenu du fait qu’il compte parmi les services d’appui à la mobilisation des recettes nationales.
Les structures de l’inspection ont dû, elles aussi, subir une cure de jouvence. De 4 brigades d’inspecteurs des finances (unités opérationnelles chargées de l’exécution des missions, existantes depuis 1987) en juin 2020, l’IGF est passée à 10 unités opérationnelles chargées des missions dans les entreprises, le compte général du Trésor, auprès des provinces, dans les services des recettes, etc., conformément aux attributions légales lui reconnues.
Modes de contrôle de gestion
Jules Alingete et Victor Batubenga ont également procédé à un changement du mode de contrôle de gestion des finances de l’Etat dont ils n’ont de cesse de se féliciter. La mutation du contrôle à posteriori en vigueur en RDC depuis la période des indépendances vers des patrouilles financières s’effectuant au moment où se posent les actes de gestion des fonds publics : le contrôle concomitant. Les résultats de cette stratégie de combat se révèlent conformes aux attentes de leurs concepteurs.
Les audits de l’IGF son sanctionnés
Les brigades financières de l’IGF ont ainsi été placées :
A la BCC, au compte général du Trésor où sont quotidiennement contrevérifiées toutes les entrées et sorties des fonds. «Ce n’était pas le cas auparavant. Nous avons une équipe permanente que nous inter changeons et nous sommes au courant de chaque sortie des fonds publics. Ce qui nous permet de cibler les fonds à problème et dépêchons les inspecteurs dans le service où le ministère concerné où ils attendent l’arrivée de l’argent pour en vérifier l’utilisation. C’est là que ça énerve», explique Alingete. «Le contrôle des patrouilles financières de l’IGF sont permanentes, à la différence des contrôles à posteriori mis en pratique jusqu’en 2020. Il ne s’agit plus de mission de quelques jours ou de quelques semaines. Les patrouilles financières s’étendent pour une année, deux ans, voire 3 ans et prennent fin lorsque l’IGF est persuadé de l’intériorisation des bonnes méthodes de gestion des finances publiques par leurs gestionnaires», ajoute-t-il, convaincu.
Brigades financières sur pieds
Dans la chaîne de la dépense, l’IGF contrôle toutes les demandes de sortie des fonds, leur régularité ou non et le cas échéant, repousse les demandes jugées inopportunes. Autant que dans plusieurs entreprises et établissements publics enregistrant un mouvement important des fonds : FONER, SNEL, REGIDESO, CEEC, FPI, SNCC, OCC, ONTRA, GECAMINES… «les inspecteurs de l’IGF y travaillent depuis une année et ces missions ont produit des résultats escomptés avec la découverte des faux marchés, des faux fournisseurs, des prestataires-fantômes, etc.
C’est parmi les gestionnaires de ces entreprises et établissements publics que l’on retrouve les aigris qui sont mécontents de l’IGF parce qu’ils pensaient que la patrouille financière y affectée ne durerait seulement que quelques semaines ou quelques mois», révèle l’Inspecteur Chef des services de l’IGF. «Nous sommes avec eux et nous resterons jusqu’en 2025. Nous contrôlons et nous nous interposons», martèle-t-il encore.
A l’IGF, on se réjouit ainsi du fait que les résultats des patrouilles financières ont permis la liquidation des arriérés de salaire des agents, totalement épongés à ce jour, à l’exception notable de l’ONATRA qui croule encore sous 36 mois d’arriérés de salaires. «Imaginez la pression sociale qu’on aurait eu si le paiement des salaires et des avantages sociaux du personnel n’avaient pas été privilégiés. Nous avons imposé des priorités aux mandataires publics, consistant à prioriser des paiements des salaires du personnel, des impôts, de la TVA, du salaire des mandataires et des frais d’exploitation», assure encore Alingete.
La patrouille financière a également été placée dans les régies financières, à la DGDA, la DGI et à la DGRAD. «Nous sommes là ça fait une année. Nous ne lâchons rien. Nous sommes derrière le fonctionnement de ces régies au quotidien. Et cela a donné des résultats».
Certaines provinces seulement font également l’objet des patrouilles financières en raison du nombre encore insuffisant d’inspecteurs des finances : Kongo-Central, Lualaba, Haut-Katanga, Kwilu, Sud-Kivu, Kwango, Kinshasa. Les patrouilles financières y censurent la gestion des finances publiques.
Sanctions des contrôles financiers
Loin de s’arrêter en si bon chemin, Alingete et son compère de la direction de l’IGF ont innové en matière de sanctions consécutives aux contrôles effectués. Les rapports de l’IGF ne sont plus uniquement destinés à la hiérarchie (présidence de la République) où ils faisaient le lit des tiroirs, comme par le passé. Ils sont désormais ponctués par de l’activation des sanctions administrative, judiciaire et psycho-sociale.
Par la sanction administrative, l’IGF sollicite de l’autorité de tutelle du la sanction administrative du gestionnaire coupable ; par la sanction judiciaire, en leurs qualités d’OPJ, les inspecteurs des finances saisissent les parquets lorsqu’ils se trouvent en face des faits de gestion réprimés par le code pénal en vigueur en RDC. «Si vous voulez combattre le fléau de la corruption et des détournements des deniers publics, il faut sortir des sentiers battus, changer de méthodes pour mieux contrer le comportement de ceux que vous combattez», dit à ce sujet Jules Alingete. Enfin l’IGF compte sur la réprobation sociale pour décourager les prédateurs des finances de l’Etat. En livrant à l’opinion l’information sur les prédateurs pour les contraindre à nier, à se justifier. «Les détourneurs ont besoin d’un côté, des fonds publics, et d’autre côté, de leur dignité. Lorsque vous les frapper dans le cœur de leur dignité, ils se sentent mal à l’aise. D’où la nécessité de communiquer les résultats de nos enquêtes tout en préservant le principe de la présomption d’innocence», explique-t-il à ce sujet.
Remonter aux causes profondes de la prédation
L’IGF chef des services assure encore qu’«il n’y a jamais eu un problème entre Alingete et un prédateur. Si vous comprenez ce fonctionnement de l’IGF, je n’ai jamais effectué une mission sur terrain. Mon rôle c’est de signer l’ordre de mission. L’exécution revient aux inspecteurs généraux chefs des brigades qui ont la mission d’encadrer les inspecteurs des finances qui exécutent les missions. Je ne vois que le rapport final. Et quand il y a des rapports, ces inspecteurs généraux qui les ont rédigé sont des inspecteurs généraux ont les mêmes compétences que moi. Lorsqu’ils rendent leurs conclusions, je n’ai rien à redire». Dont acte.
Remonter aux causes profondes
Les stratégies mises en œuvre pour combattre la corruption endémique en RDC et les détournements des derniers publics ne sont pas tombées du ciel. Face aux médias, le 12 avril dernier, Jules Alingete en a exposé les fondements socio-économiques et politiques.
La corruption et les détournements des deniers publics entraînent la détérioration de la qualité de la vie sociale. Selon les analyses de l’IGF, sur 100 USD sortis des finances publiques, des caisses de l’Etat donc, pour des travaux d’intérêt commun, seulement 20 USD arrivaient à destination contre 80 USD qui prenaient une destination personnelle. «Dans ces conditions, il est illusoire d’escompter le développement du pays, c’est impossible», en conclut Alingete. Qui explique que certes, il n’existe pas d’environnement «corruption zéro». Les pays modèles en cette matière présentent un ratio inversé de 80 % de réalisation effective des projets financés par les fonds sortis des finances publiques. Il s’agit de la Norvège et l’Australie où, sur 100 USD engagés, 80 USD sont bien retraçables, 20 USD seulement prenant une destination non retraçable. «La proportion des détournements des deniers publics dans notre pays a donc atteint des proportions inacceptables, et il fallait prendre des mesures drastiques, faire du problème une priorité», selon l’IGF chef des services.
En outre, les détournements des deniers publics enrichissent une minorité de personnes dans la société, explique encore Alingete qui cite l’ancien 1er ministre Matata Ponyo, selon qui les détournements n’enrichissent que 1 ou 2 % de personnes au détriment de quelques 98 % qui demeurent dans la misère. «Ils présentent donc l’inconvénient de donner l’impression aux autres membres d’une même société que pour s’enrichir il faut occuper un poste de responsabilité dans la gestion publique. Alors qu’un gestionnaire public ne devrait pas poursuivre des objectifs d’enrichissement personnel mais de service à la société à laquelle il appartient». Laisser la minorité de 1 ou 2 % persévérer dans l’enrichissement illicite tout en donnant l’impression qu’un homme ne peut réussir sa vie qu’en s’occupant de gestion publique, c’est l’ensemble de la société dans laquelle nous vivons qui est en train de tomber dans un profond délitement, conclut-il.
Aggravation du sous-développement
Jules Alingete a également relevé le fait que les détournements des derniers publics aggravent le sous-développement. Les principales statistiques de développement renseignent que le sous-développement est intimement rattaché au niveau de la corruption dans le pays. Les pays les plus corrompus sont les pays sous-développés, et les moins corrompus sont les plus développés. L’influence de la corruption sur le développement d’un État est donc une évidence. «On ne peut pas prétendre devenir un pays développé, disposer d’infrastructures adéquates comme les hôpitaux, les écoles, les routes, etc., lorsqu’on a atteint le degré de détournements qui est celui de la RDC. D’où l’intérêt à s’investir pour combattre ce phénomène et donner la chance à notre pays de relever la tête», tranche l’IGF Alingete.
Et, le détournement engendre la pauvreté, la famine et le chômage, selon lui. Le chômage parce qu’on ne peut pas espérer améliorer le climat des affaires, les investissements sérieux dans un environnement miné par les détournements et la corruption.
Un investisseur sérieux ne s’engagera jamais dans un tel environnement. «Surtout si par investisseur sérieux, on entend cet acteur économique qui effectue un transfert de technologies, implante une usine de transformation de nos matières premières en produits finis et par ce fait même crée de l’emploi pour les Congolais, produit de la richesse dont le pays tire profit», selon Alingete Key. Pour qui il faut les distinguer des investisseurs qui viennent simplement «acheter» nos ressources pour les transformer ailleurs et y créer de l’emploi au détriment des Congolais.
Chômage
Le chômage dont on se plaint est donc une conséquence directe de la corruption et des détournements des deniers publics qui caractérisent notre environnement économique et social. On ne peut le combattre sans combattre en même temps ces fléaux qui en sont la cause principale.
Il convient de noter à cet égard que les compétences requises pour conduire la RDC vers le développement n’ont jamais fait défaut. De nombreux cadres universitaires ont dirigé notre pays, dont des économistes, des juristes … les uns aussi compétents que les autres. Mais ils ont tous échoué parce qu’ils n’ont pas suffisamment pris en compte une dimension importante de la gestion publique, qu’il fallait capitaliser : la lutte contre la corruption, l’impunité dans la gestion publique.
La corruption et les détournements des deniers publics entraînent par ailleurs une perte de crédibilité au niveau international pour le pays. Lorsqu’un pays est considéré comme un pays de détourneurs, de prédateurs, il perd toute sa valeur aux yeux des pays partenaires. C’est pour cela que la corruption et les détournements sont des infractions sévèrement punis dans la plupart des pays dits développés. En Corée du Nord, le sort des coupables de corruption ou de détournements n’est autre que la condamnation à mort ; c’est la même sanction que la Chine réserve à cette forme de criminalité ; alors qu’aux Etats-Unis elle est sanctionnée par des dizaines voire des centaines d’années d’emprisonnement. Cela découle du fait que ces pays ont intériorisé les graves conséquences de la corruption et des détournements des deniers publics sur la qualité de la vie sociale, sur le développement, sur le chômage et sur leur crédibilité internationale.
LE MAXIMUM