Elles durent depuis deux semaines, les ‘‘révélations’’ sur les détournements attribués à l’ancien président de la RDC, Joseph Kabila et son clan. De mémoire de Congolais, c’est inédit : un véritable Tsunami médiatique destiné à tout emporter sur le passage de Kabila aux affaires en RDC. La nouvelle affaire, ultra médiatisée, se nomme «Congo Hold-up» et a la forme d’une enquête collaborative basée sur l’analyse de 3,5 millions de documents bancaires qui auraient fuité de la banque africaine BGFI. Signé par 19 médias globaux et 5 ONG ‘‘spécialisées’’ (toutes étrangères) associés au consortium européen European investigative collaborations (EIC). Durant 6 mois, RFI, De Standaard, Le Soir, NRC Handelsblad, Der Spiegel, Bloomberg, BBC Africa Eye, L’Orient-Le Jour… et les ONG PPLAAF, The Sentry, Public Eye, Resource Matters et Congo Research Group auraient ainsi épluché, compulsé et analysé des tonnes de documents avant de conclure au siphonage de 138 millions USD des caisses de l’Etat en RDC par Kabila et ses proches. On croit rêver !
La publication du contenu du rapport de cette enquête passablement à charge parce que les fins limiers se seront délibérément passés des avis des personnes impliquées dont on se contente de signaler qu’elles n’ont répondu aux questionnaires leurs soumis.
La publication du réquisitoire a été, elle, planifiée sur deux semaines, chaque médias et ses relais se chargeant quotidiennement d’un pan de détails accablants, parfois en des termes quasi identiques pour tenir un public peu averti en haleine.
Médiapart et RFI au fronton
Dans cet exercice, les médias français MédiaPart et RFI sont en première ligne.
MédiaPart annonce ainsi, dès le 19 novembre 2021, date du lancement de la série de révélations sur les détournements kabilistes, que «les documents de ‘‘Congo Hold-up’’, plus grande fuite des données d’Afrique, montrent l’enrichissement de Joseph Kabila aux dépens de ses concitoyens, avec la complicité de la banque BGFI-RDC, à travers une société-écran installée dans un garage. Ils écrivent aussi une histoire de ce pays, où flux financiers expliquent intrigues politiques et réalités sociales. La BGFI, quant à elle, incarnait déjà la corruption de la ‘‘Françafrique’’».
Les conclusions de Justine Brabant sont sans appel et pleuvent quotidiennement à une cadence d’horloger suisse: «République démocratique du Congo : des hommes d’affaires soupçonnés d’avoir financé le Hezbollah ont versé des fonds aux Kabila» ; «Congo hold-up : les élections, ce pactole » ; « Piller son propre pays, mode d’emploi » (vidéo) ; «Le plus grand « leak » d’Afrique dévoile les secrets financiers du Congo ».
Chez RFI et Sonia Rolley sa spécialiste ès RDC, c’est encore plus croustillant. La radio publique française allie sons, images et écrits pour noyer le prédécesseur de Félix Tshisekedi au Palais de la nation. Ses auditeurs ont ainsi été édifiés sur «trois millions d’argent public retirés en cash par le directeur financier de Kabila» ; «Congo Construction Company, le scandale… » ; « Une grande partie des pots de vin sont passés par des banques à New York » ; « Comment transférer des millions à l’étranger » ; «Comment s’enrichir sur l’organisation d’un sommet international » ; «Congo Futur, un empire sous sanctions». C’en était trop, jusqu’à la nausée.
Avalanche sans précédent
Abasourdis par cette avalanche sans précédent d’obus médiatiques, les Congolais, en ce compris leur nouveau gouvernement et le clan Kabila, réagissent à qui mieux mieux.
Dès le 19 novembre, Barbara Nzimbi, conseillère en communication de JKK, dénonce une «fixation haineuse» sur la personne du président de la République honoraire et des accusations «non fondées», stigmatisant ce qu’elle considère comme du kabilabashing. «Le peuple congolais est appelé à ne pas succomber à cette énième tentative de décrédibilisation et non la dernière, à demeurer dans la vigilance tous azimuts et dans la sagesse patriotqiue face à cet acharnement injustifié de puissances occultes qui n’ont jamais digéré les choix courageux de souveraineté opérés sous la présidence de Joseph Kabila notamment en matière électorale et minière», souligne-t-elle en substance.
Il aura fallu néanmoins attendre 48 heures pour voir le PPRD, le parti de Kabila, sortir de sa torpeur à travers un communiqué dénonçant la volonté du consortium de médias «prétendument indépendants» de semer une confusion malsaine consistant à joindre à tout prix des structures juridiquement distinctes à une personnalité dans une volonté pernicieuse et politicienne à peine voilée. «L’Etat de droit veut que la responsabilité juridique soit factuelle et non supposée», ponctue ce communiqué bureau politique.
Mais ces dénégations d’accusés peinent à tenir la route face à l’avalanche des faits rapportés par le consortium d’accusateurs.
Doutes sur la marchandise
Dès le départ de ce Tsunami anti-Kabila, la pilule ne passe pas auprès de plus d’un Congolais. Ainsi en est-il de notre confrère Zacharie Bababaswe qui, dans un tweet du 20 novembre, affiche son pessimisme en écrivant que «les résultats de la sulfureuse soi-disant enquête sont une grosse diversion au regard du montant insignifiant qu’ils portent sur 20 ans de pouvoir de Kabila. La même équipe reviendra en 2023 avec un montant plus grand pour les 5 ans de Fatshi. Distraction». Le ton est donné : les révélations des pourfendeurs de Kabila ne sont plus paroles d’évangile.
Pour sa part, au cours d’un entretien avec Alain Foka de RFI, Jules Alingete Key, inspecteur général des finances-chef de service qui passe dans l’opinion en RDC comme le parfait gendarme de l’orthodoxie financière, enfonce le clou. Interrogé avec insistance sur un montant de 43 millions USD décaissés par la Banque centrale pour le compte de BFGI que les enquêteurs présentent comme faisant partie du ‘‘Hold-up’’ au profit de la société EGAL et de Joseph Kabila, l’IGF a déclaré : «c’est faux. L’argent n’est pas allé chez Joseph Kabila». Pour ce redoutable bras armé du contrôle des finances publiques du président Tshisekedi, peu de suspect de sympathie avec l’ancien régime, «les éléments du dossier en notre possession établissent que la BGFI a pris de l’argent de la Banque centrale du Congo et l’a placé dans un compte dénommé Egal. Mais quand vous regardez ce compte, il s’agit d’un compte ouvert par la BGFI elle-même et il est actionné par la même BGFI. Donc, il n’y a aucune trace de manipulation de ce compte par la société EGAL, et encore moins par Joseph Kabila. Donc, nous, nous nous en tenons aux éléments de preuve disponibles. Ils attestent que la BGFI a pris 43 millions Usd de la Banque centrale du Congo, et elle a reconnu cette responsabilité. Tenter d’aller au-delà de ce dont nous disposons comme éléments de preuve, c’est s’engager sur un terrain glissant où personne ne dispose de preuves».
Des supputations au lieu des faits
Sur le dossier BGFI, RFI et consorts semblent donc avoir carrément dépassé le seuil des faits, qui restent tout de même sacrés en journalisme, en versant dans des supputations accusatrices impossibles à prouver.
Que dire des autres révélations du consortium au sujet de l’ancien président de la RDC ? Rien de bien flatteur.
L’universitaire Kikaya bin Karubi, un proche de Joseph Kabila dont il fut secrétaire particulier et ambassadeur itinérant, écrit à ce sujet que «les occidentaux prennent les Congolais pour des moins que rien». Son analyse met en doute le sérieux d’une enquête qui vante plus de 3 millions de documents examinés en un temps record de 6 mois (soit une moyenne de plus de 1.000 documents/jour par rédaction !) et de l’impartialité des enquêteurs (99 % d’occidentaux). «Une question vient à l’esprit : serions-nous toujours naïfs, nous Congolais, pour croire que la ”Bande à 19 + 5 ” constituée exclusivement se donnent toute cette peine, tout ce mal au motif vraiment d’aimer le Congo, donc le Congolais, pays et peuple qu’ils présentent depuis quasiment le 30 juin 1960 en entités non gouvernables ?», s’interroge non sans pertinence ce professeur de journalisme à l’Université de Kinshasa.
Par ailleurs, Kikaya reproche au consortium de médias occidentaux d’avoir préalablement confectionné un rapport exclusivement à charge contre Joseph Kabila, avant d’adresser des questionnaires à certaines personnes ressources congolaises sans en attendre des réponses parce que les conclusions accusatrices étaient déjà tirées. «En 32 ans, les mêmes médias et les mêmes ONGs avaient réussi à nous monter contre Mobutu pour des détournements évalués à 4 milliards USD pour les uns, 10 pour les autres …maintenant, ils rééditent le même exploit en révélant qu’en 18 ans de pouvoir, Joseph Kabila s’est tapé 130 millions pour les uns, 210 millions pour les autres …demain, ils vont sans doute dire ce que Félix Tshisekedi, en moins de 3 ans, a fait avec les 400 millions USD du Programme des 100 jours, les 260 millions de RAM…», a-t-il conclu.
Le gouvernement dédaigne l’hameçon
Ce ne sont pas pour autant les dénégations des kabilistes qui jettent le doute sur l’avalanche de dénonciations publiées par le consortium des médias et Ongs occidentales contre l’ancien chef d’Etat RD congolais. Les doutes les plus crédibles sur la véracité des faits rapportés par nos confrères outre-Atlantique et méditerranée sont apparus où on les attendait le moins, du nouveau pouvoir en place à Kinshasa.
Depuis le lancement de la salve d’accusations contre le clan Kabila le 19 novembre, au moins deux réunions du conseil des ministres se sont tenues qui n’ont pipé mot sur le dossier. C’est à peine si, le 22 novembre, acculé par la presse, le ministre de la communication et porte-parole de l’équipe Sama Lukonde, Patrick Muyaya, indiquait du bout des lèvres que le gouvernement ne pouvait demeurer insensible face à de telles allégations. «La ministre de la justice a écrit au parquet, le 20 novembre dernier, et donné des injonctions aux fins d’enquêtes et de poursuites».
La gêne autant que l’embarras perceptibles au niveau de l’exécutif national ont été évacués par certains de ses membres, à titre individuel, certes.
Au cours d’une émission sur Top Congo FM mardi 30 novembre, le ministre des Hydrocarbures Didier Budimbu répondant à une question à ce sujet, a aggravé les doutes sur ces révélations en s’interrogeant sur les dessous des enquêtes visant l’ancien chef de l’Etat. «3 millions de dossiers étudiés. Si on considère que chaque dossier a coûté au minimum 1 USD, on peut conclure qu’au moins 3 millions USD ont été décaissés rien que pour rassembler les éléments accusateurs. Qui a déboursé ces fonds et dans quel intérêt ? », s’est-il interrogé, exprimant au passage l’idée d’une campagne stipendiée de dénigrement pour saper la lutte pour l’amélioration du climat des affaires dans laquelle s’est lancée son gouvernement.
L’intérêt des enquêteurs ?
Quelques jours avant le ministre des Hydrocarbures, c’est son collègue des Finances, Nicolas Kazadi qui, dans un entretien avec les mêmes confrères, a brillé par une posture empreinte de réserve vis-à-vis des dénonciations du consortium médiatique occidental auteur de ‘‘Congo Hold-up’’. En réponse à une question sur l’implication de la BGFI Bank dans les malversations financières imputées au clan Kabila, l’argentier national a déballé la politique gouvernementale en la matière : «notre intérêt à nous, n’est pas de tuer des banques, parce que quand on tue une banque, on tue les épargnants. Ce n’est pas responsable, ce n’est pas protéger l’intérêt général que de précipiter la chute d’une banque comme cela a été fait par nos prédécesseurs avec la BIAC», a déclaré Kazadi. Sur le dossier ‘‘Congo Hold-up’’, le ministre des Finances a soutenu que «la plus grande leçon, c’est que nous avons à être sérieux.
Quand nous ne le faisons pas, il nous arrive d’être livrés en spectacle par des médias étrangers, un groupe de gens de la société civile qui viennent, questionnent des ministres, qui donnent des ultimatums aux ministres pour répondre à des questionnaires sur des situations qui concernent notre pays.
Pour éviter ce type d’humiliation, il faut que nous soyions sérieux entre nous parce que ces médias sont une force, un soft power, lorsqu’ils font une campagne pareille, c’est l’image du pays qui est dans la rue. Donc, nous avons intérêt à ne pas retomber dans ces choses». Avant d’ajouter que Congo Hold-up est «une leçon pour ceux qui nous ont précédé, mais pour nous également. Je ne peux pas accepter que nos efforts de lutte contre la corruption qui sont réels et puissants et qui se font dans un cadre bilatéral ou multilatéral soient conduits par un média étranger. C’est quelque part gênant».
Si l’objectif visé par les médias occidentaux coordonnés par EIC était d’inciter le nouveau pouvoir à embastiller Kabila, l’entreprise aura échoué. Le gouvernement Fatshi refuse de mordre aveuglément à l’hameçon. Le Tsunami des révélations contre l’ancien chef d’Etat apparaît de plus en plus comme une campagne de dénigrement, non pas seulement d’un individu mais aussi de tout un pays.
Une sorte de Congo-Bashing new look.
LE MAXIMUM