C’est formellement acté depuis le 5 octobre 2021, date de la transmission au président de l’Assemblée nationale d’une correspondance signée des (seuls) représentants catholique et protestant annonçant l’échec des négociations pour la désignation du futur patron de la centrale électorale par la composante confessions religieuses.
En RDC, les 8 principales confessions religieuses, dotées toutes de la personnalité juridique ont donc été incapables de se mettre d’accord sur une question politique vitale pour l’avenir du pays. Ce dénouement qui planait dans l’air depuis plusieurs semaines en raison des invectives que se lançaient réciproquement les protagonistes de la tâche ainsi confiée aux «pères spirituels» congolais par une sorte de présomption d’honorabilité et de moralité a fini par en lasser plus d’un.
De plus en plus des voix s’élèvent pour réclamer la laïcisation du processus de désignation d’un représentant de la société civile à la tête de la CENI, conformément à l’article 1er de la constitution passablement malmené par les calottes sacrées. La revendication ne date pas d’aujourd’hui. «Il faut éjecter tous ces cardinaux, évêques, archibichops, révérends pasteurs, prophètes et autres diseurs de bonnes nouvelles de l’arène politique. Une fois pour toutes. Après tout, l’Etat congolais ne s’immisce pas dans la nomination d’évêques et prêtres catholiques», écrivait à ce sujet, un internaute congolais révolté par la mauvaise foi de certains évêques catholiques contre l’élection de Félix Tshisekedi, début janvier 2019.
Gangrène cléricale
Deux ans et demi après, la gangrène semble s’être étendue, le déshonneur des «pères spirituels» se révélant plus profond qu’il n’y paraît. Les joutes entre prélats partisans ont carrément migré des autels sacrés vers les caméras et les micros de la presse. Jeudi 7 octobre, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Eglise du Christ au Congo (ECC) ont ainsi convoqué pour la énième fois les médias au Centre interdiocésain de Kinshasa pour dire tout le mal qu’ils pensaient des 6 autres confessions religieuses et de leur candidat à la tête de la centrale électorale. L’abbé Donatien Nshole, porte-parole de la CENCO, et le pasteur Eric Senga, son homologue de l’ECC ont rendu public en cette circonstance un «rapport du présidium sur les négociations» qui dénonce les pressions, menaces, intimidations et tentatives de corruption qui auraient, selon eux, entaché la candidature de Denis Kadima. Avant de proclamer la détermination des catholiques et des protestants à «gagner le pari de bonnes élections en 2023» en utilisant «tous les moyens légaux, civiques, démocratiques et pastoraux à leur disposition …».
Le débordement était flagrant, mais peu l’ont relevé : c’est ensemble que les 8 confessions religieuses ont en effet été chargées de désigner le président de la CENI. L’allusion au seul présidium en lieu et place desdites 8 confessions religieuses a tout d’une forfaiture.
Par ailleurs, il n’est stipulé nulle part que la branche confessions religieuses de la société civile était chargée de «gagner» un quelconque pari autre que celui de doter l’institution d’appui à la démocratie qu’est la CENI d’un président.
Lieux de culte désertés
La réplique des 6 autres confessions religieuses s’est elle aussi déroulée devant la presse réunie au siège de la Commission d’intégrité et de médiations électorales (CIME) lundi 9 octobre. Dans une mise au point en 14 arguments, l’Evêque Dodo Kamba et ses collègues se sont eux aussi livrés à des révélations à faire frémir les plus païens d’entre les Congolais. Dans le but «d’éclairer l’opinion sur la liberté prise dans certaines affirmations, la désinformation et la déformation de la vérité du processus ayant conduit à la désignation des délégués des Confessions religieuses à la CENI», ont-ils soutenu.
On a appris ainsi que les 6 ne sont guère dépourvus d’expérience électorale, ainsi que les en accusent la CENCO et l’ECC. Parce qu’à travers le Réseau d’observation des confessions religieuses (ROC), «les confessions religieuses ont observé les élections en 2006, 2011, 2018 et participent à toutes les réflexions sur les réformes électorales en cours».
Contre la justification avancée de l’engagement de la CENCO et de l’ECC dans le processus électoral en cours (l’échec des précédents processus électoraux), ils ont dénoncé une tromperie. Parce que «la contestation armée des résultats des élections de 2006, l’ambiance insurrectionnelle des scrutins de 2011 et la tension entretenue jusqu’aujourd’hui sur les résultats de 2018 sont les résultats des proclamations injustifiées des prélats catholiques».
Autant qu’ils ont dénoncé la connotation usurpatrice de la notion de présidium des confessions religieuses revendiquée par leurs collègues de la CENCO et de l’ECC. «Le concept de présidium suppose la cogestion entre les membres qui le composent. Il n’existe pas à la Plateforme des Confessions Religieuses un Président et un Vice-Président ayant chacun ses attributions. Le président signe les décisions avec les autres chefs des confessions religieuses ou seul, après concertation avec ses pairs », relève la mise au point.
Usurpations de pouvoirs
Ci-git l’usurpation fondamentale manifestement à la base de l’échec du processus de désignation du président de la CENI.
Catholiques et protestants ont usurpé des prérogatives reconnues par la loi sur la CENI à l’ensemble de la composante confessions religieuses de la plateforme société civile en essayant maladroitement de se substituer aux autres membres.
Le groupe de 6 révèle à cet égard, qu’à la rencontre de la dernière chance, convoquée le 2 octobre au Centre interdiocésain de Kinshasa, le président (CENCO) et le vice-président de cette composante (ECC) s’étaient permis d’associer aux délibérations «toutes les dissidences des confessions religieuses, dont celle très violente de la communauté Islamique» qui ont poursuivi les pourparlers après le départ des délégués officiels des 6 confessions religieuses. De fait, une déclaration signée d’un groupe de confessions religieuses manifestement monté de toutes pièces s’est fendu, lui aussi d’un communiqué proche des thèses défendues par les catholiques et les protestants lundi 4 octobre.
Il s’agit de regroupements religieux comme on en trouve par milliers en RDC, les uns aussi abracadabrants que les autres : ‘le Conseil des évêques œcuménique’, ‘l’église catholique libérale en Afrique’, ‘l’église indépendante du Congo’, ‘l’église copte catholique orthodoxe d’Alexandrie d’Egypte au Congo’ et ‘la Communauté Islamique au Congo ‘aile Cheik Youssouf Djibondo’’ semblent avoir été appelés à la rescousse par catholiques et protestants pour minoriser la majorité dans la composante confessions religieuses. Une véritable mascarade. «Nous appelons nos amis qui se sont retirés du centre interdiocésain à respecter le président de la plateforme des confessions religieuses Mgr Utembi, archevêque de Kisangani qui s’est déplacé pour venir et nos amis ne se sont pas présentés. Nous prenons le monde à témoin, et les ambassadeurs accrédités en RDC», avait déclaré le chef de l’église copte catholique orthodoxe d’Alexandrie, un porte-parole de circonstance. Les textes légaux qui définissent les conditions d’acquisition de la personnalité juridique par les organisations religieuses, catholiques et protestent s’en fichent autant que des versets sataniques.
Tout sauf un kasaïen ?
Pour le groupe de 6, la conclusion coule de source : le tandem Nshole-Nsenga aux ordres du cardinal Ambongo et du Dr. Bokundoa joue son va-tout pour noyer Kadima dans un combat qui vise en réalité le président de la République Félix Tshisekedi.
Ils ont du reste évoqué un «combat qui vient de loin».
Depuis 2020, l’objectif de la CENCO était clair. «Tout sauf un kasaïen, sinon c’est la terre brûlée»: telle semble avoir été la formule imposée à la composante. A prendre ou à laisser. Les 6 confessions religieuses ayant refusé de plier ont subi des représailles de leurs pairs catholiques et protestants. Au siège de la CIME le 7 octobre, les 6 ont en outre rappelé l’incendie par des «inconnus» de l’église de l’Evêque Dodo Kamba, ainsi que celui des véhicules et de la résidence de Cheik Abdallah de la COMICO. «C’est pour des raisons sécuritaires évidentes que ces 2 membres du groupe de 6 se sont réfugiés à l’Hôtel du Fleuve», ont-ils expliqué aux médias, démentant ainsi l’accusation selon laquelle les délégués des 6 confessions religieuses résidaient tous dans ce palace de la capitale aux frais du prince. Réponse du berger à la bergère sur ce sujet délicat de la corruption, maintes fois ressassé par Nshole et Nsenga : les 8 confessions religieuses avaient plutôt été financées à hauteur de 100.000 USD, dont au moins une partie aurait été détournée par le pasteur protestant Eric Nsenga.
Complotistes, apocalyptiques …
Avec les pères spirituels et les confessions religieuses de la RDC, on en est donc à ces conjectures sécuritaires ténébreuses, complotistes et apocalyptiques dignes du monde des ténèbres. Avec, pourtant, une palme particulière pour l’église catholique, ou tout au moins, certains de ses princes qui n’hésitent plus à troquer les saintes écritures contre le premier manifeste politique venu, pour peu qu’il épouse quelque contour tribal ou assure quelques prébendes.
Aversions politiques mal justifiées
De plus en plus d’observateurs de l’arène politique en RDC notent que l’aversion de certains princes de l’église catholique, identifiable par leur proximité géopolitique, contre le parti tshisekediste a la peau suffisamment dure pour refaire surface à la moindre occasion propice. Comme au début du mois d’août 2021, lorsqu’une vague de vols d’objets liturgiques à des fins manifestement magiques, avait déferlé sur le diocèse catholique de Mbujimayi au Kasai Oriental, suscitant la réaction indignée de Mgr Kasanda, l’ordinaire du lieu.
A Kinshasa, des prélats en avaient profité pour prétendre lors d’une communication après l’attaque par des inconnus de la résidence du Cardinal Ambongo que le parti UDPS de Tshisekedi était impliqué dans toutes ces violences. L’Abbé Nshole avait péremptoirement accusé en des termes à peine voilés les partisans du président de faire preuve d’une «haine contre l’église catholique», ce qui avait été démenti par Mgr Emmanuel Kasanda, évêque de Mbuji-Mayi. La généralisation hâtive était d’autant plus patente qu’il n’y avait aucune preuve attestant de la culpabilité des tshisekedistes dans la profanation des lieux cultuels au Kasai Oriental. Selon des observateurs avisés, les vols d’objets réputés saints étaient liés à la superstition et aux croyances diverses plutôt qu’à des motivations politiciennes.
Mgr Kasanda avait en effet déclaré : «je constate une récupération politicienne à Kinshasa de ce qui nous est arrivé depuis déjà avril, longtemps avant la brouille actuelle au niveau des confessions religieuses concernant le choix du Président de la CENI».
L’ordinaire de Mbujimayi, chef-lieu de la province d’origine du président Tshisekedi, révélait ainsi cette sorte de schisme qui menace l’église catholique de la RDC depuis plusieurs années, opposant les prélats de l’Est à ceux de l’Ouest ; ou encore ceux du centre à ceux de l’Ouest et de l’Est, selon l’évolution politique du moment.
Le sceptre du schisme
Si à Kinshasa l’élection de nouveau chef de l’Etat en décembre 2018 avait suscité l’ire de prélats emmenés par le défunt cardinal Monsengwo, son successeur, le cardinal Ambongo et Mgr Uthembi, le président de la CENCO, dans les provinces kasaïennes la réaction fut des plus enthousiastes. Le 13 janvier 2019, entouré de ses prêtres, Mgr Emmanuel-Bernard Kasanda, avait célébré une messe à la cathédrale Bonzola pour «consacrer à Dieu le nouveau président de la RDC, Félix-Antoine Tshisekedi». Avant de concélébrer une eucharistie analogue à Kananga au Kasai Central, en compagnie de ses collègues évêques de la province ecclésiastique kasaïenne.
Jeudi 4 juillet 2019, Mgr Kasanda déclara que «l’élection de Félix Tshilombo Tshisekedi a été pour nous providentielle ; tous les fils du Kasaï en général et ceux du Kasaï- Oriental en particulier ont vu dans cette élection la réponse de Dieu à leurs prières».
L’évêque de Mbuji-Mayi avait ensuite égrené les ressorts cachés de cette satisfaction générale sur l’ensemble de l’espace Grand Kasaï : «une région qui a beaucoup souffert d’une certaine discrimination. Notre coin est oublié, nous n’avons pas d’infrastructures viables, pas de politique de développement. Nous avons été assimilés sans distinction à l’opposition étant du Kasaï et on disait que c’était le bastion de l’opposition et les pouvoirs publics ne pouvaient rien faire pour ce milieu même parfois en utilisant les nôtres, les fils propres du Kasaï pour nous mettre totalement à genou».
Le naufrage moral parmi les princes de l’église catholique de la RDC est tel qu’ils ne prêchent même plus pour la même chapelle, à force de dédaigner les vrais problèmes de christianisation.
LE MAXIMUM