Le débat sur l’urbanité de Kinshasa, la mégalopole congolaise, défraye la chronique depuis que le caucus des députés nationaux élus des 4 circonscriptions de la capitale congolaise emmenés par Jean-Marc Kabund a Kabund, 1er vice-président de la chambre basse du parlement, a tapé du poing sur la table pour s’insurger contre les chaussées et trottoirs sales, occupés anarchiquement par des nuées de vendeuses et vendeurs à la criée qui revendiquent une sorte de ‘’droit à des revenus financiers’’ même au noir pour justifier leur invasion de ces emprises publiques pourtant interdites à un pareil usage.
A côté de ces caravansérails vertigineux, des marchés-pirates et des garages de fortune disputent le moindre espace public aux usagers légitimes, piétons, joggers, cyclistes, pousse-pousseurs et motocyclistes ainsi privés de passages piétonniers et de pistes cyclables.
Sur les artères, avenues et boulevards, une pagaille digne de la jungle la plus sauvage est visible à l’œil nu au point qu’elle devient pratiquement la règle, l’ordre étant l’exception : c’est le roule-qui-veut général dans lequel ne sont observés ni le respect des bandes de circulation, ni celui des feux de signalisation, moins encore les vitesses et les poids à l’essieu requis.
On a beau vouloir du bien aux autorités municipales de Kinshasa comme c’est le cas de certains députés provinciaux, à l’instar de Junior Nembalemba, qui s’en sont pris à leurs détracteurs, force est de constater que l’unique ville-province de la RDC n’est pas, ou est mal, gérée.
Dans ce capharnaüm routier, la circulation à sens unique n’est plus qu’un lointain souvenir sur la plupart des avenues, les conducteurs n’hésitant pas à emprunter les bandes réservées aux usagers roulant en sens inverse sous le regard complaisant d’une police routière plus prompte à négocier les pots-de-vin auprès des rares contrevenants qui tombent sous leurs griffes.
Quant aux piétons, la plupart d’entre eux n’ont que faire des feux de signalisation et traversent à qui mieux-mieux boulevards, avenues et rues quand et comme cela leur plaît. Même là où sont érigées des passerelles pour leur assurer une mobilité plus confortable comme sur le boulevard Lumumba à 8 bandes de circulation qui traverse Kinshasa d’Est en Ouest.
Justification de cette incivilité : l’insécurité et l’insalubrité qui ont élu domicile dans ces coûteuses infrastructures (13 millions USD pour la seule passerelle érigée de part et d’autre de la 7ème rue à Limete).
Elus de la capitale divisés
La sortie médiatique des députés nationaux élus de la capitale emmenés par Jean-Marc Kabund au sujet d’une «ville non gouvernée» a été interprétée à la hâte comme une attaque contre le gouverneur ex-PPRD de la ville, Gentiny Ngobila Mbaka. Des membres de l’Assemblée provinciale de Kinshasa sont aussitôt sortis du bois pour prendre sa défense en invoquant notamment les blocages dont ses projets d’aménagement seraient l’objet de la part du gouvernement central. Pourtant, Kabund et ses collègues avaient reconnu ‘’expressis verbis’’ que l’ancien gouverneur du Maï-Ndombe n’était pas seul responsable de cet état de choses et que la responsabilité de ce chaos est à partager entre le pouvoir central, la province et même les populations kinoises riveraines des artères, rues et boulevards dont l’insalubrité est devenue la seconde nature.
Pour autant, la responsabilité première de ce désordre qui est en train d’acquérir un véritable statut d’attribut culturel dans la capitale incombe à l’autorité municipale car aux termes de l’article 203, point 21 de la Constitution, le trafic routier, la circulation automobile, la construction et l’entretien des routes d’intérêt national, la perception et la répartition des péages pour l’utilisation des routes construites par le pouvoir central et/ou par la province sont de la compétence concurrente du pouvoir central et des provinces tandis que l’organisation de l’habitat urbain, la voirie et les équipements collectifs provinciaux relèvent selon l’article 204 de la Loi fondamentale de la compétence exclusive des provinces.
Le gouverneur de Kinshasa n’a donc pas besoin de l’habilitation de qui que ce soit pour éradiquer les incivilités qui ont transformé Kin-la-belle en Kin-la-poubelle.
Un groupe de députés de la ville-province de Kinshasa s’est empressé de prendre la défense du n° 1 de la ville. Ils ont dégainé en sermonnant les députés nationaux accusés de pousser le curseur trop loin et en les sommant de s’occuper de leurs affaires (nationales). Les élus provinciaux pro-Ngobila ont dans une déclaration lue comme une récitation affirmé que tout allait pour le mieux dans la capitale, en mettant sous le boisseau les premiers projets que le patron de la ville avait défendus naguère devant leur hémicycle pour obtenir leurs suffrages. Aujourd’hui, ce chapelet de bonnes intentions a été rangé dans les tiroirs en faveur d’un nouveau plan (Kin Bopeto).
Cela a donné à un moment l’impression d’une confrontation entre élus nationaux et provinciaux de Kinshasa. Jusqu’à ce qu’au sein même de l’Assemblée de la ville province de Kinshasa, des voix s’élèvent pour donner raison à Kabund et à ses compagnons. Parmi celles-ci, on peut citer Magloire Kabemba qui estime que l’échec de Ngobila dans la gestion de la capitale est plus que patent et que
Kabund a eu raison de dire que la ville n’était pas gérée en brandissant notamment la multiplication des nids de poule sur toutes les routes, les défectuosités de l’éclairage public, la gestion fantaisiste des parkings et les embouteillages monstres et souvent inexplicables. «Nous députés provinciaux de Kinshasa, membres de l’Union sacrée de la nation, ne sommes concernés ni de loin, ni de près par cette déclaration (des pro-Ngobila Ndlr). En revanche, la condamnons fermement car la morale politique et l’esprit de collaboration entre institutions de la République à tous les niveaux nous appellent au respect mutuel et surtout à la considération à l’égard de nos collègues députés nationaux élus de Kinshasa en général et de leur porte-parole, le député Jean-Marc Kabund A Kabund, 1er vice-président de l’Assemblée nationale», ont-ils souligné avant d’ajouter que leurs collègues étaient tellement à la solde de Ngobila qu’ils semblaient ignorer les prérogatives constitutionnelles des uns et des autres. «Nos collègues de la dynamique Ngobila ont manqué l’occasion de se taire. Dans leur déclaration inopportune et surprenante, ils fustigent le fait pour les députés nationaux de critiquer la gestion de la ville de Kinshasa alors que conformément à l’article 101 de la Constitution, le mandat du député national s’exerce sur toute l’étendue du territoire national y compris la ville de Kinshasa. Il va sans dire qu’une telle attitude est une méprise des missions constitutionnelles des députés tant nationaux que provinciaux et ne saurait emporter notre solidarité, ni engager l’Assemblée provinciale de Kinshasa dont la mission ne consiste en aucun cas à prendre la défense de l’exécutif provincial qu’elle a à contrôler ou à partager la responsabilité de sa gestion. Cette attitude est révélatrice d’une caporalisation de quelques députés provinciaux de Kinshasa ainsi réduits en une caisse de résonance à la solde du gouverneur Gentiny Ngobila Mbaka», regrettent ces élus provinciaux qui ont désapprouvé l’immoralité politique de leurs collègues acquis à la cause du gouverneur décrié.
On rappelle que les députés nationaux kinois avaient évoqué par ailleurs l’acquisition par l’hôtel de ville de vieux engins destinés à la salubrité publique.
Des sources au sein de l’Assemblée nationale sont d’avis que si Ngobila persistait dans sa campagne de dénigrement du caucus des élus nationaux de la capitale, la grande artillerie de l’USN pourrait être mise à contribution pour le défenestrer. «Le gouverneur Ngobila aurait intérêt à adopter profil bas dans ce dossier étant donné que sa survie politique dépend d’un membre de l’exécutif national (ministre de l’Intérieur) qui est une émanation de l’Assemblée nationale», estime-t-on au palais du peuple.
De fait, la sécurité et la salubrité de la ville de Kinshasa font l’objet d’une inconséquence coupable.
La rue de tout le monde et de personne
On ne peut pas expliquer autrement ces pratiques et usages têtus qui consistent à se débarrasser des déchets de tous genres sur la chaussée, dans les caniveaux construits pour canaliser les eaux de pluies et des ménages. Une culture d’abandon généralisée s’est incrustée dans la capitale derrière l’idée selon laquelle, aux limites d’une résidence privée succède une sorte de lieux sans maîtres ni lois et règles. C’est le «balabala ya l’Etat», un dépotoir où quiconque peut faire ce que bon lui semble : y installer à volonté des activités récréatives ou lucratives à usage divers, y déverser des déchets ménagers et matières fécales, se livrer à toutes sortes de bagarres à mains nues ou à armes blanches et à feu etc.
L’espace de vie se limite à quelques mètres autour de soi qui servent de lieu de repos, de sommeil, et d’alimentation. Le reste n’est guère digne d’intérêt.
C’est une mentalité purement animale que les autorités urbaines et les services de police placés sous leur supervision ont manifestement du mal à extirper.
Anti-urbanisme viscéral
Cet anti-urbanisme viscéral s’observe le long du boulevard Lumumba.
Même élargi à huit bandes, dont 4 dans chaque sens de la circulation, les usagers préfèrent prendre le risque de le traverser au pas de course et sauter le parapet de séparation des deux bandes plutôt que d’attendre que le feu passe au vert pour eux.
A Limete, les passerelles érigées à grand frais pour les piétons sont squattées par des délinquants (kulunas) à l’affût des imprudents qui les empruntent pour leur ravir téléphones portables, sacs à mains, bijoux et autres biens de valeurs. Parfois devant des agents de police impassibles : «On ne nous a donné aucun ordre de protection de ces édifices», se défend un officier de police sous le sceau de l’anonymat.
Plus loin à la Tshangu, les mêmes passerelles sont parfois utilisées comme toilettes publiques. Les ‘’sauts de mouton’’ nouvellement inaugurés pour fluidifier le passage vers l’aéroport international de N’djili, servent de lieux d’étalage de marchandises à vendre ou de débits de boissons pour une flopée de petits vendeurs.
Face à l’indifférence des forces de l’ordre dont l’activité de prédilection consiste à rançonner ci et là, hommes, femmes et enfants de tous âges dédaignent toute réglementation et se laissent aller naturellement à escalader les séparateurs dont la hauteur a pourtant été relevée à 1 mètre ou plus dans le dessein de favoriser la création d’une bande de circulation réservée aux conducteurs pressés de rallier l’aéroport.
Dans un indescriptible charivari, tout le monde est pressé, aussi bien le voyageur désireux d’attraper un vol à N’djili que le chauffeur de taxi ou de taxi-bus qui tient à faire le plein de passagers pour son ‘’demi-terrain’’ ou le piéton qui traverse imprudemment le boulevard. Goguenards, les agents de police chargés de réguler la circulation se pourlèchent les babines et identifient les malchanceux qu’ils vont alpaguer pour leur soutirer quelques espèces sonnantes et trébuchantes.
Déficit de gouvernance
Du côté des conducteurs des véhicules automoteurs à quatre et deux roues, on observe les mêmes comportements anomiques : aucun respect de la limitation de la vitesse à 55 km/heure sur les quelques mètres des sauts-de-mouton. De même, des bus et des camions pesant manifestement plus de 40 tonnes empruntent sans vergogne le petit tronçon interdit aux véhicules de ce poids ou plus. Ou encore des motos-taxis convoyant 2 ou 3 passagers tout autant prohibés sur ces appontements.
A ce train-là, on ne peut pas de bonne foi contredire Jean-Marc Kabund et ses collègues : la ville souffre d’un incontestable déficit de gouvernance. Rien à voir avec les moyens budgétaires à affecter aux travaux d’infrastructures devant fluidifier la mobilité à maints points chauds de la capitale. Le simple et strict respect des feux de signalisation par les agents de police peut pourtant régler la question.
Sur la route de l’aéroport, aux entrées Masina Pétro-Congo, N’djili Ste Thérèse et avenue Kimbuta où ne sont pas érigés des sauts-de-mouton, le goulot d’étranglement s’explique par le non-respect des feux rouge rendu possible du fait de la veulerie et de la corruptibilité des agents de police postés-là.
L’absence de l’autorité de l’Etat est ici criarde réduisant à néant la saine ‘’peur du gendarme’’ qui, dans toute entité gouvernée, pousse le citoyen lambda à respecter la réglementation. Le phénomène est très perceptible surtout après les heures de service. Comme s’il pouvait exister d’heures de service pour les hommes en uniforme sous le drapeau, réputés travailler jour et nuit selon un horaire strict et rigoureux.
Cette déliquescence de l’autorité des forces de police est due à la persistance des antivaleurs qui se sont incrustées à un point tel qu’il est difficile de ne pas croire à l’implication d’un certain nombre de leurs supérieurs hiérarchiques que de mauvaises langues accusent, à tort ou à raison, d’en partager les «dividendes» sous forme de versements quotidiens. Ici se confirme l’axiome selon lequel «il n’existe pas de mauvais ses troupes, il n’y a que des mauvais chefs».
Les kinois peuvent, certes, s’avérer souvent anti-urbains et briller par des attitudes d’incivilité et de trivialité à l’instar du reste de bien d’autres habitants de la plupart des mégalopoles de par le monde. Mais le vrai problème qui fait la différence au détriment de la capitale rd congolaise et qui nécessite d’être résolu sans atermoiements est celui de la réponse, ou plutôt de l’absence de réponse, de la part des technostructures étatiques dont le premier répondant n’est autre que le chef de l’exécutif de la ville-province.
L’inaction affichée à cet égard par le premier responsable de cette ville tentaculaire qui se traduit par l’absence de toute autorité pour faire respecter un minimum de règles urbanistiques entretient une ambiance délétère qui constitue en elle-même un défi quasi infranchissable à tout espoir de développement et d’émergence de ce pays dont le cœur bat incontestablement à Kinshasa.
LE MAXIMUM