Le gouverneur de la ville-province de Kinshasa a été tenu informé de l’organisation d’un sit-in devant le siège du parlement, vendredi 18 juin 2021. Tel est le contenu laconique d’une information diffusée il y a quelques heures par des médias en ligne, qui ne donnent aucune précision sur les organisateurs de la manifestation anti-Mapon, quelques jours après que la chambre haute du parlement rd congolais se fut opposée au réquisitoire du procureur général près la Cour constitutionnelle. Jean-Paul Mukolo Nkokesha avait sollicité la levée des immunités du sénateur et ancien 1er ministre à qui l’Inspecteur général des finances (IGF) reprochait des faits de détournement de deniers publics dans le cadre de la gestion du parc agro-industriel de Bukangalonzo.
Dans l’ensemble, 4 sénateurs étaient concernés par les réquisitoires du procureur général Mukolo, deux dans le cadre du parc agro-industriel de Bukangalonzo (Matata Ponyo et Ida Kamonji Naserwa), et deux autres dans le cadre des détournements présumés des fonds alloués à la chambre haute, Alexis Thambwe Mwamba et Eric Rubuye. Le sénat avait mis sur pied une commission chargée d’examiner le réquisitoire et de statuer sur la levée des immunités des sénateurs, début juin 2021. Le 11 du même mois, les conclusions de la commission se faisaient attendre et un délai supplémentaire lui fut accordé par le bureau dirigé par l’AFDC-A Bahati Lukwebo, assorti d’un délai butoir fixé au 15 juin, date de la fin de la session parlementaire de mars 2021.
Commission spéciale
Mardi 15 juin 2021, la commission a fini par rendre son rapport et après au moins deux heures de débats en plénière, qui ont révélé de surprenants clivages dans une assemblée dominée par la majorité USN (Union sacrée de la nation de Félix Tshisekedi), un vote a eu lieu qui a sauvé de justesse l’ancien 1er ministre et sa co-accusée. Sur le fil, parce que 49 sénateurs ont voté contre le réquisitoire du procureur général près la Cour constitutionnelle, contre 46 voix pour et 1 abstention. Il s’en est fallu de peu (3 voix !). Et ce, malgré des pressions manifestes, à commencer par cette réception accordée par le président de la République aux sénateurs USN, les exhortant de ne pas faire obstacle à la justice. Et d’autres, moins manifestes : dans les réseaux sociaux dont sont si friands les rd congolais où des voix se sont élevées pour avancer des sommes faramineuses proposées aux sénateurs pour voter dans un sens ou dans un autre.
Au finish, l’homme à la cravate rouge vif n’ira pas devant les juges. Pas tant que dureront ses immunités parlementaires, manifestement. Malgré la gravité des faits lui reprochés qui demandaient au minimum à être vérifiés par la justice. Bon prince, l’ancien 1er ministre, qui avait écourté un séjour à l’étranger pour régler cette question a salué la décision de ses pairs de la chambre haute du parlement. «… En tant que partisan de la bonne gouvernance et du leadership de qualité, j’accepte cette décision qui rend hommage à la vérité des faits. J’appréhende les résultats de ce vote comme une volonté de vouloir voir la vérité triompher sur ce dossier. Je remercie le bureau du sénat, particulièrement son président, pour toutes les dispositions utiles prises en faveur d’une gestion transparente de ce dossier. Car, dit-on, la bonne gouvernance est synonyme de transparence, de responsabilité et de respect du droit. Je remercie par ailleurs tous les membres de la commission spéciale mise en place pour examiner de plus près les différentes facettes que revêt le dossier en cause en dépit des faits divers véhiculés par les médias et les réseaux sociaux. Il était crucial de créer un espace plus responsable pour analyser en toute transparence la vérité des faits sur le projet du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, même si les conclusions de cette commission n’ont pas été conformes à la vérité des faits. La plénière a été en mesure de décider en toute indépendance et de répondre avec sagesse et justice à la demande de la majorité silencieuse », s’était-il extasié quelques instants après le vote de ses pairs.
Vote sous pression ?
Il reste que cette satisfaction est loin d’être partagée par tout le monde. Selon l’IGF Jules Alingete, Augustin Matata Ponyo serait le principal «auteur intellectuel» de la débâcle du projet Bukanga Lonzo, lancé en 2014 sur une superficie de 80.000 ha à quelque 220 km de Kinshasa sur la route du Bandundu. Ce méga projet s’inscrivait dans le cadre d’un partenariat public-privé, surabondamment vanté, entre le gouvernement et la société sud-africaine Africom Commodities dans la création d’un des plus importants pôles agricoles du pays. Le projet stoppé en 2018 en raison de l’hémorragie financière qu’il entrainait a englouti près de 285 millions USD. Alingete et ses limiers estiment que 205 millions USD ont été détournés sous la responsabilité de l’ancien 1er ministre. Ce que dément Matata Ponyo qui a assuré mardi dernier encore, n’avoir pas touché le moindre USD destiné à ce gigantesque projet.
Les organisateurs du sit-in du 18 juin 2021 ne sont manifestement pas de cet avis, et n’entendent pas baisser les bras.
LE MAXIMUM