Après avoir décrété 2020 année de l’action, Félix Tshisekedi, surfant sur l’élan d’optimisme né de la requalification de la majorité parlementaire, a annoncé dans son discours du 14 décembre 2020 devant les deux chambres du parlement réunies en congrès le début d’une nouvelle ère. «Kisalu me banda, musala ebandi, kaji ina anza, mudimu wa bangi», avait-il lancé dans les quatre langues nationales. Obtenue à la suite de rudes stratégies diversement appréciées, la nouvelle majorité présidentielle baptisée Union Sacrée de la Nation connaît un démarrage laborieux avec un véritable jeu de chaises musicales critiqué même par les lanceurs d’alertes plus proches de Fatshi comme l’avocat Georges Kapiamba d’ACAJ qui estime que le remède utilisé semble être pire que le mal dont souffrait la défunte coalition FCC-CACH.
Protagonistes du jeu politique congolais dans sa configuration actuelle, certaines puissances étrangères à travers leurs représentations diplomatiques à Kinshasa montent au créneau et ne cachent plus leur volonté reprendre le gouvernail de l’ancien État Indépendant du Congo de Léopold II, unique condominium africain dans lequel les Etats-parties à la conférence de Berlin de 1885 exerçaient une souveraineté partagée.
Pendant ce temps, la situation sociale aggravée par la pandémie du Covid-19 prend des proportions inquiétantes. Les forces négatives qui écument l’Est du pays se sont multipliées de manière exponentielle. La société civile et les oppositions ne cachent plus leur agacement alors que l’Union sacrée de la nation donne l’impression de s’enfocer dans sa tour d’ivoire.
Ambassadeurs ou proconsuls ?
La conscience politique en RDC s’est forgée depuis l’époque coloniale sur fond de revendication de l’indépendance et de la souveraineté internationale. On sait que la conférence de Berlin sur le bassin du Congo avait enfanté en 1885 un ‘‘État Indépendant du Congo’’ dont la régence fut confiée au roi des Belges Léopold II afin que tous les protagonistes de l’époque puissent tirer profit de la position géostratégique du nouvel État dans le cadre du commerce international. La souveraineté de la RDC, devenue au fil des années le principal pourvoyeur des matières premières indispensables aux industries de l’hémisphère Nord, a ainsi souvent été chahutée. Tous ceux qui ont porté sur eux les aspirations des Congolais à l’autodétermination ont été anéantis sans ménagement à l’instar de Simon Kimbangu, Patrice-Emery Lumumba ou Laurent-Désiré Kabila. Leur destin tragique et celui de leurs partisans pousse nombre de leurs concitoyens à mettre en sourdine toute revendication émancipatrice.
Pourtant, c’est en tirant le meilleur profit possible de son patrimoine culturel, foncier, forestier, minier, maritime et agricole que la RDC pourra briser le paradoxe d’un pays potentiellement riche avec un peuple vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Ceci implique que les ressources naturelles du pays profitent d’abord aux autochtones avant de faire le bonheur des tierces parties qui ont beau jeu d’alimenter l’instabilité politique pour en récupérer sans contrepartie la jouissance.
C’est ce qui explique la tendance chez certains pays occidentaux à maintenir le statu quo ante dans cet eldorado. Il revient aux élites des populations opprimées d’imposer le rapport de force compatible avec leurs Intérêts Nationaux.
Ce paradigme géostratégique semble être en train d’être battu en brèche à l’heure actuelle où beaucoup de décideurs paraissent convaincus que l’expansion économique et sociale du pays est fonction de la «bonne foi» de partenaires étrangers. «Le président Félix Tshisekedi semble très à l’écoute de ceux de ses conseillers favorables à des relations paternalistes avec l’occident et laisse quelques diplomates étrangers intervenir de façon débridée dans les domaines réservés de souveraineté», déplore sous le sceau de l’anonymat un diplomate africain en poste à Kinshasa qui évoque le cas des ambassadeurs britannique et américain qui passent souvent outre les limites de la Convention de Vienne et ne se gênent plus de se mêler de politique intérieure. Il fait observer à ce sujet que lorsque Tshisekedi avait annoncé la création de l’Union sacrée de la nation le 23 octobre 2020, l’Américain Mike Hammer ne s’est pas gêné d’en revendiquer pratiquement l’initiative en publiant sur les réseaux sociaux les contacts préalables qu’il avait eus notamment avec Modeste Bahati, Jean Pierre Bemba et Moïse Katumbi. «Cette façon de considérer les institutions congolaises et leurs animateurs comme des marionnettes se poursuit avec l’immixtion de ces diplomates dans les discussions sur l’ordre du jour des sessions parlementaires», relève-t-il en s’insurgeant contre les compte-rendus des audiences accordées à certains ambassadeurs par Mboso Nkodia Mpuanga et Bahati Lukwebo, les nouveaux speakers des chambres législatives auxquels ils donnent des injonctions comminatoires. Francine Muyumba, la présidente de la commission sénatoriale des relations internationales s’en est offusquée et a déclaré que «l’ordre du jour des chambres parlementaires ne peut faire l’objet d’un échange entre les ambassadeurs et les dirigeants aussi bien de l’Assemblée nationale que du Sénat. Ça s’appelle tout simplement de l’ingérence. Faisons respecter nos institutions. Nous sommes un État souverain».
En écho, un professeur de droit international à l’Université de Kinshasa recommande à Félix Tshisekedi de faire sien l’abécédaire des relations internationales en vertu duquel les États n’ont que des intérêts et pas des amis. «Il doit savoir que parmi les diplomates qui lui font les yeux doux, beaucoup le considèrent sous cape comme le président d’une transition qui doit nécessairement se terminer en 2023», renchérit-il en citant un posting de Mike Hammer selon lequel «le régime du glissement est mort en 2018 et les élections doivent impérativement se tenir à bonne date en 2023».
Union sacrée ou bal des chauves ?
Les sociétaires de l’Union sacrée de la nation semblent avoir chacun sa propre définition de celle-ci. Si pour certains c’est un nouveau regroupement politique destiné à engloutir tous les partis et personnalités soutenant la vision du président de la République, pour d’autres elle renvoie plutôt à une nouvelle coalition gouvernementale élargie devant servir de cheville ouvrière à la mise en œuvre du projet de société défendu par Félix Tshisekedi devant ses électeurs fin 2018. Du côté de l’UDPS, on parle d’une plateforme qui va accompagner le président de la République dans ses futures conquêtes électorales. D’où l’idée d’un partage de gâteau qui a produit cet appel d’air provoquant le trop plein de la nouvelle majorité présidentielle en un temps record.
Il n’existe pour l’instant aucune charte ni outil conceptuel qui sous-tende l’existence réelle de cette mégaplateforme de Fatshi. Les déclarations d’intention des adhérents ne reposent donc sur aucune certitude. «Il aurait fallu dans un tel contexte que le président de la République embraye rapidement sur la mise en place du gouvernement et du dispositif de l’Union sacrée dans la territoriale et les entreprises publiques. Les guerres de positionnement et les tergiversations qui s’observent ne jouent pas en sa faveur», commente un chroniqueur politique kinois pour qui plusieurs adhérents de l’Union sacrée se posent déjà avec insistance des questions sur leur engagement. C’est le cas d’Ensemble pour la République de Moïse Katumbi qui regimbe, du MLC de Jean Pierre Bemba qui ferait la fine bouche face à la moisson attendue et de certains transfuges du FCC. En ce qui concerne ces derniers, un proche de Joseph Kabila leur rappelle les propos du 4ème président rd congolais à Kingakati : «ici vous avez l’effectivité du pouvoir, là-bas vous n’avez que des promesses. Ne sacrifiez pas la proie pour l’ombre».
Le moins que l’on puisse dire est que l’euphorie et l’effervescence du départ se tassent au fur et à mesure que le gouvernement Sama Lukonde tarde à se mettre en place. Un vent de pessimisme s’installe qui alimente les oiseaux de mauvaise augure comme Constant Mutamba, membre du FCC, qui y va d’un persiflage rageur. «Le pays vient de totaliser 62 jours sans gouvernement et 158 jours sans conseil des ministres. Pendant ce temps, un fonctionnaire touche 185.000 FC alors qu’un conseiller à la présidence touche 11.000.000 FC sans compter d’autres avantages», a-t-il pesté sur son compte Twitter.
Pour l’opposant Seth Kikuni, candidat malheureux à la dernière présidentielle, il n’y a plus rien à attendre de bon de ce 1er mandat de Fatshi. Après la déroute et la disqualification de l’équipe nationale de football au Gabon, il a exprimé son désarroi en parlant d’«un quinquennat épuisant, de la gabegie financière, de la distraction, du désordre, de la malchance, des taxes inutiles, de la faillite économique, bref que des échecs. Comment voulez vous que l’équipe nationale se qualifie?». Les mêmes commentaires moqueurs sont partagés par l’inénarrable député national Daniel Safu qui embraye sur l’argument selon lequel le FCC mettait les bâtons dans les roues du président. «Personne ne l’a empêché de faire quoi que ce soit. C’est un problème d’impréparation. Un président de la République doit être porteur d’une vision. Or le langage politique actuellement est arrimé sur les injures déversées à longueur des journées par des combattants de l’UDPS qui n’ont pour tout discours que les injures. Au lieu de prôner le civisme et la formation idéologique, à l’UDPS on entretient l’idiotie et l’injure facile. Où sont passées les valeurs que Lumumba, Mulele et Kasavubu nous ont léguées?» , a-t-il vituperé.
Proche du chef de l’Etat, Georges Kapiamba de l’ACAJ semble avoir perdu tout espoir devant les difficultés rencontrées par le 1er ministre Sama Lukonde pour former son gouvernement dont il croit qu’il ne pourra pas bénéficier du soutien parlementaire nécessaire aux réformes promises. Il exhorte donc Fatshi à «procéder à la dissolution de l’Assemblée nationale pour permettre aux Congolais de se choisir des hommes et des femmes imbus d’un esprit d’État», car à son avis, l’Union sacrée n’est qu’une simple mue de la coalition FCC-CACH.
Ruée vers 2023
Il est rare dans le métabolisme démocratique africain que les doutes sur la durée d’un premier mandat présidentiel prennent autant d’ampleur. C’est souvent au cours d’une dernière mandature que des tentatives réelles ou supposées de tripatouillage constitutionnel pour se maintenir au pouvoir apparraissent.
Joseph Kabila avait «glissé» deux ans durant avant d’organiser les élections générales qui ont conduit notamment à la toute première alternance démocratique et pacifique au sommet de l’État. Tout le monde croyait alors en la relativisation des fameux délais constitutionnels surtout que l’opposition radicale qui en avait fait son cheval de bataille en est sortie avec le pouvoir suprême. C’était sans compter avec les vieux démons de la contestation qui sommeillent au sein de la classe politique congolaise. Lorsque des partisans du président Tshisekedi estiment que les élections générales ne devraient se tenir qu’après un recensement général de la population, ils sont bruyamment accusés de vouloir s’éterniser au pouvoir en marchant sur la constitution. Sous Joseph Kabila, un projet de loi dans ce sens avait provoqué des émeutes à Kinshasa pendant près d’une semaine qui faillirent de peu embraser tout le pays. Malgré les dénégations de quelques têtes d’affiche du parti présidentiel, le directoire de l’UDPS emmené par Victor Wakwenda a assumé cette option, arguant que le mandat de Fatshi devait commencer à courir à partir de l’investiture du gouvernement Sama Lukonde. Ce qui placerait les prochaines élections au plus tôt en 2026.
Face à ces annonces, plusieurs acteurs de la société civile sont sortis du bois pour exiger le respect des délais constitutionnels.
L’épiscopat catholique a notamment battu le rappel du personnel politique de son obédience. Au cours d’une rencontre avec des élus catholiques le 26 mars dernier à Limete, le cardinal Fridolin Ambongo les a engagés à éviter que leur foi «ne serve en aucun cas une idéologie politique ou un système politique quelconque».
Ces propos ont provoqué l’indignation d’un cacique de l’UDPS pour qui «ces gens semblent motivés uniquement par la perspective de jouer aussi rapidement que possible le rôle d’arbitres stipendiés qui leur revient en période électorale». Il fait remarquer que cette mobilisation contre le dessein de glissement prêté à l’UDPS tranche avec la désespérance de la population qui s’enfonce dans la misère.
Quelques mouvements citoyens ont emboîté les pas à la hiérarchie catholique suivis par l’église protestante dont le représentant légal Bokundoa-Bo-Likabe a déclaré
le 27 mars dernier son opposition à tout report des élections. «Les élections crédibles, transparentes et apaisées méritent impérativement de se tenir en 2023. Nous devrions trouver urgemment un consensus national autour des préalables susceptibles de démarrer officiellement le processus électoral», a-t-il martelé.
«Si l’UDPS n’y prend garde, son projet de glissement risque d’être la première pomme de discorde au sein de l’Union sacrée de la nation qui est venue à sa rescousse», déclare un député national proche de Moïse Katumbi. Chez Lamuka ou ce qu’il en reste, Fayulu et Muzito restent intraitables quant à la tenue des élections à bonne date. Il en est de même du FCC qui espère prendre sa revanche en 2023.
Beaucoup dans ces oppositions croient ainsi créer les conditions de l’échec de Fatshi à la prochaine présidentielle.
JBD avec le maximum