À l’heure des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), la RDC vient de défrayer négativement la chronique avec une affaire de manipulation de l’opinion par un réseau de type mafieux dénoncée par Facebook. Cette manœuvre délictueuse consiste à circonvenir et influencer les internautes et utilisateurs des réseaux sociaux de plus en plus nombreux dans le pays pour qu’ils mettent en sourdine toute velléité d’utilisation de leur force collective afin de mettre un terme à une situation inique. Le but est de permettre à des puissants qui disposent du contrôle narratif sous forme d’achats de médias, de financements de think tanks etc. de les amener comme des moutons de panurge à s’aligner derrière eux ou leurs projets.
Une panoplie de nouveaux ‘’hommes forts’’ mettant à profit des moyens financiers mal acquis s’assurent ainsi le contrôle narratif pour soumettre à leur dévotion un nombre impressionnant de membres du public poussés à croire naïvement vivre dans une véritable société de liberté et de démocratie alors qu’en réalité ils sont livrés au bon vouloir d’une oligarchie criminelle qui, à l’instar des satrapes de l’immédiat après-indépendance exploitent le peuple, l’oppriment, le volent, le trompent et lui mentent bon an, mal an tout en détruisant les valeurs coulées pour la forme dans le marbre des constitutions et des lois brandies à tout bout de champ.
On en a eu une illustration en RDC avec la descente aux enfers des propositions de lois sur la réforme de l’appareil judiciaire (propositions Minaku-Sakata) dont les contestations ont causé mort d’homme sans que les auteurs de ces autodafés ne s’en émeuvent outre-mesure.
Facebook met le holà
Ces pratiques machiavéliques commencent à s’effilocher avec la prise de position de la multinationale des NTIC Facebook qui, depuis son QG de San Francisco (Californie) a annoncé officiellement avoir supprimé le 6 août 2020 sans autre forme de procès un réseau de 66 comptes utilisateurs, 63 pages, cinq groupes et 25 comptes Instagram liés à un certain Honoré Mvula et son organisation politique, la Force des Patriotes (FP), basée en RDC.
Honoré Mvula est un nom familier à quiconque suit l’actualité au Congo-Kinshasa à travers les réseaux sociaux. Il y multiplie des postings flatteurs à la gloire de l’UDPS/T, le parti du président Félix Tshisekedi. Des recherches entreprises par Digital Forensics Research Lab (DFRLab) lié au think tank Atlantic Council avaient initialement identifié les pages principales du réseau de Mvula en mai 2020 et l’enquête diligentée par Facebook a mis à jour des dizaines d’autres actifs. Avant leur retrait, Facebook avait partagé un total de 63 profils d’utilisateurs, 51 pages, 5 groupes et 25 comptes Instagram avec DFRLab pour analyse dans le cadre de leur partenariat continu de surveillance des interférences électorales. La plateforme de San Francisco en a conclu que les pages étaient gérées par au moins six personnes, dont certaines étaient étroitement liées à sieur Mvula.
A en croire Facebook, «les personnes à l’origine de cette activité ont utilisé des comptes dupliqués et des faux comptes pour créer des personnages fictifs, publier dans des groupes et sur des pages, conduire les gens vers des sites hors plateforme et gérer des pages se présentant comme des entités indépendantes de vérification des faits et des informations. Elles se sont également fait passer pour des candidats de l’opposition ou des compétiteurs politiques autres et ont rediffusé leur contenu exact, susceptible de constituer une audience. Certaines de ces pages semblent avoir été achetées et ont subi d’importants changements de noms au fil du temps. Les administrateurs de ces pages et les propriétaires de ces comptes ont publié principalement en français des informations et des événements d’actualité, notamment sur la politique, l’UDPS, les fonctionnaires, les candidats politiques, les critiques de l’opposition et du PPRD. Plus récemment, ils ont publié des articles sur la pandémie de coronavirus, l’utilisant pour se constituer une audience avant de passer à des thèmes politiques. Nous avons identifié toute la portée de cette activité après avoir étudié les renseignements que nous ont envoyé les chercheurs d’Atlantic Council’s Digital Forensics Research Lab. Notre évaluation a également bénéficié de rapports publics de vérificateurs des faits indépendants de l’Agence France Presse et de la chaîne française France 24».
Les petits malins répandaient à satiété des grossièretés ineptes notamment sur le ministre d’Etat à la Décentralisation rd congolais Azarias Ruberwa Maniwa et des intox sur plusieurs autres personnalités du Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila. Bien que les personnes derrière cette activité aient tenté de dissimuler leurs identités, l’enquête a lié ces actions répréhensibles au groupe dénommé Force des Patriotes, le parti de Mvula.
Ce dernier est entré en politique en tant que membre d’une formation de l’opposition Lamuka, le Mouvement de Libération du Congo (MLC), issu d’un ancien groupe rebelle impliqué dans la ‘’première guerre mondiale africaine du Congo’’. Après la transformation du MLC en parti politique, Mvula ne semble guère y avoir prospéré et n’y a jamais occupé de poste électif, ce qui expliquerait sa rupture avec cette formation politique emmenée par l’ancien vice-président de la République de la transition Jean-Pierre Bemba Gombo. En 2019, il fonde la Force des Patriotes (FP), un parti politique qui se décrit comme un ‘’mouvement de jeunes intellectuels congolais’’.
Il se présente comme un fervent partisan du nouveau président de la RDC Félix Tshisekedi en faveur de qui il affirme avoir fait campagne lors de l’élection présidentielle de fin 2018, chose que les services de la présidence de la République démentent fermement.
«Tant que ce genre de personnages sont libres d’exercer un contrôle sur les récits dominants et qu’il n’y aura pas en RDC des structures organisées chargées d’assainir le débat public par l’éradication effective des aventurismes extrémistes, la démocratie ne sera qu’un slogan creux et vide de sens », déclare ce spécialiste de la communication politique de l’Université de Kinshasa qui regrette le fait qu’en dépit des multiples proclamations de foi démocratique de la classe politique et de la société civile «plusieurs gouvernants de tous bords ne résistent pas à la tentation de contrôler même avec des moyens éthiquement questionnable la définition prédominante de la situation en recourant de manière abusive à des récits biaisés ». Il en veut pour preuves les intoxications répandues au sujet des propositions de lois sur la réforme de la justice des députés kabilistes Aubin Minaku et Garry Sakata ou la désignation par les confessions religieuses de l’avocat central kongolais Ronsard Malonda à la tête de la CENI, deux événements banals dont l’interprétation tendancieuse dans les réseaux sociaux ont récemment conduit à des manifestations publiques avec mort d’hommes dans la capitale.
Des usines à infox
Il est quasiment impossible de comprendre ce qui se passe au Congo-Kinshasa en consultant seulement les réseaux sociaux. D’obscurs internautes y sont à la manœuvre, manipulant à tour de bras la compréhension par le public de ce qui se passe tant en matière politique que sociale ou économique.
«Si une grande partie de réseaux sociaux avaient une relation saine avec la réalité, on considérerait naturellement les récits sur ce qui se passe au Congo de manière beaucoup plus objective, car plutôt que de nous y accrocher par peur et par attachement à des idées, nous aurions suffisamment d’espace psychologique pour les observer et examiner de manière critique si elles sont ou non des outils qui nous sont utiles dans la compréhension des événements relatifs à notre vécu quotidien», estime à ce sujet un chroniqueur invité à donner son avis sur la question par nos confrères de la chaîne de télévision Télé 50 de Kinshasa.
Si le Congolais lambda disposait de la capacité d’effectuer une telle transition à grande échelle, une transition dont les spécialistes de la psychologie à travers les millénaires assurent que les humains sont pleinement capables, il serait difficile de manipuler efficacement et durablement l’opinion.
Seul un contrôle social et institutionnel sur les mécanismes de manipulation que sont les médias et les réseaux sociaux permettra aux Congolais de cesser d’être si faciles à manipuler car les mensonges deviendraient de plus en plus difficiles à dissimuler par le contrôle narratif. De cette manière, la relation morbide, voire socialement suicidaire du pays avec les multiples fictions médiatiques qui le conduisent à la désarticulation pourrait prendre fin.
Cybercriminels pour un marketing politique suranné
Le réseau découvert par les fins limiers d’Atlantc Council’s DFRLab et supprimé par Facebook lié à Honoré Mvula et son parti politique a plusieurs autres ramifications sur d’autres réseaux sociaux que Facebook. En plus de promouvoir Mvula lui-même, certaines pages étaient affectées notamment à la diffusion d’informations se rapportant à la pandémie de la Covid-19. Cinq des pages identifiées et démantelées par Facebook avaient en effet déjà été dénoncées dans une enquête menée en mai 2020 par l’émission Les Observateurs de la chaîne publique française France24 sur une campagne de désinformation au sujet de la terrible maladie dont on venait seulement de découvrir l’existence en RDC. Le média a identifié deux des hommes qui exploitaient les pages comme étant des étudiants de l’Université de Kinshasa qui se connaissaient bien.
Dans les propos des deux gaillards recueillis par France24, ils avaient cyniquement reconnu avoir créé les pages «pour le buzz». Il s’agissait en d’autres mots pour eux d’une compétition consistant à voir qui parmi eux allait réussir à recueillir le plus de ‘’likes’’ et d’adeptes en répandant des informations sensationnelles, au besoin fausses !
Le DFRLab a ainsi découvert que la portée du réseau était beaucoup plus étendue que ce qui avait été initialement mis à jour par Les Observateurs.
Les prochaines élections en RDC n’étant pas prévues avant 2023, il n’est pas établi clairement si ces pages d’intoxication de l’opinion avaient pour objectif de soutenir une éventuelle future candidature de Mvula ou d’autres personnes.
Usurper l’identité de célébrités puis rebaptiser
Parmi les 51 pages analysées par le DFRLab, la majorité avait subi un changement d’identité au moins une fois. C’étaient au départ des pages dédiés de sympathisants se faisant passer pour des célébrités ou des personnalités publiques controversées, surtout de la sphère politique. Des noms de personnalités comme l’ancien président Joseph Kabila, son frère Zoé Kabila ou les anciens ministres Evariste Boshab et Lambert Mende ont été ainsi abusivement utilisés pour insulter, humilier bref nuire aux intéressés. Plus tard, beaucoup de ces pages rebaptisées comme points de presse ont supprimé tout leur contenu précédent pour commencer à nouveau à poster d’autres contenus voués principalement à la promotion de Mvula.
Les pages Facebook et les profils d’utilisateurs semblent avoir été les aspects les plus percutants du réseau : elles ont atteint jusqu’à un total combiné de près de 1,5 million de mentions ‘’J’aime’’. En revanche, des actifs Instagram semblent avoir été créés après coup et utilisés pour promouvoir les contenus postés sur les pages Facebook du réseau. L’une de ces pages était propre à Mvula lui-même. Elle a été créée le 25 novembre 2016 sous le nom de Samy Badibanga Ntita, un homme politique proche de l’UDPS/T qui avait été nommé premier ministre par le président Kabila avant de subir plusieurs changements de nom jusqu’à ce qu’elle s’appelle tout bonnement “Honoré Mvula” le 20 mars 2019.
La page ne contenait aucune référence aux identifiants antérieurs avant qu’elle ne prenne le nom de Mvula. Aucune explication n’a été donnée sur les raisons de ce changement d’identité. Le contenu le plus ancien de la page était une photo de profil téléversée le 20 mars 2019, ce qui suggère que son contenu précédent avait été supprimé. Il s’appelait avant politico.cd
Une profusion de fausses informations sensationnelles
Il est possible que la page ait été créée à l’origine comme une fausse version du site réel politico.cd pour gagner rapidement des adeptes. Entre le 2 mars et le 19 mai, la page a recueilli 6.178 abonnés. Le compte a même publié un lien vers politico.cd le 20 mars et partagé des publications provenant d’autres pages incluses dans l’analyse de DFRLab.
Après avoir changé de nom, la page “Force des patriotes” partageait presque exclusivement des messages de la page Facebook de Mvula, avec des publications originales occasionnelles ou partagés en provenance d’autres ressources du réseau. Le changement de nom n’a pas entraîné un afflux d’adeptes. En fait, depuis que DFRLab a commencé à la surveiller le 29 avril 2020, il n’a eu que 81 adeptes. L’un de ces 81 adeptes provenait du compte d’utilisateur de Mvula, qui n’avait ‘’liké’’ (aimé) la page qu’après avoir changé de nom. D’autres pages engagées du réseau sont apparues par la suite. Notamment « Vérité » chez Facebook avec plus de 67.000 adeptes qui a été créée à l’origine sous le nom de « Mireille mukeni » le 25 janvier 2020, en référence apparente à Mireille Mokeni, une personne réelle, accusée d’avoir drogué une certaine Eliane Bafeno et l’aurait forcée à interrompre une grossesse à la demande d’un pasteur célèbre début de 2020.
Le 3 avril, la page a mis à jour son nom afin de refléter l’orthographe exacte du nom de famille Mokeni avant de le changer encore une fois en «Vérité» et de supprimer toute trace de Mokeni, à l’exception de quelques références erratiques faites par des postings communautaires. À partir du 3 avril, la page s’est consacrée à la désinformation politique et sanitaire. Un certain nombre d’articles ont enregistré des dizaines de milliers d’actions, tandis que d’autres ont été vérifiés par des organismes indépendants de vérification des faits et étiquetés comme ‘’fake news’’. La majorité des pages à l’étude affichaient du contenu déguisé en faits ou nouvelles dans deux formats structurels principaux. Le premier format a été écrit pour ressembler à une déclaration urgente ou un communiqué de presse d’une haute personnalité. Le faux contenu était souvent précédé par le mot «urgent !».
Le contenu lui-même était souvent similaire. Dans un cas, plusieurs pages ont affirmé par exemple que le ministre congolais de l’Enseignement supérieur, Thomas Luhaka, avait décrété une année blanche.
Bien que l’information ait été démentie par l’organisation de contrôle Congo Check le 5 avril, l’histoire a néanmoins été reprise tout au long du mois d’avril. Dans l’interview avec Les Observateurs, l’un des gestionnaires des pages a avoué crânement que son but était de publier des informations même fausses en espérant qu’elles se concrétisent et affirmé que son souhait était que l’année académique en cours soit effectivement déclarée blanche en raison de la pandémie de la Covid-19.
Il a été prouvé que ces pages fonctionnaient à partir des mêmes modèles consistant en des téléchargements parfois du même texte simultanément avec des images différentes. Ainsi, les 12 et 13 avril, deux pages ont indiqué que Martin Fayulu, le candidat de l’opposition Lamuka contre Félix Tshisekedi en 2018, réclamait la destitution de ce dernier. Le texte principal, une copie directe, était truffé d’erreurs grammaticales.
Dans plusieurs cas, des organisations indépendantes de vérification telles que PesaCheck, dirigée par Code for Africa ont supprimé des messages de certaines des grandes pages incluses dans les actifs retirés, comme l’affirmation selon laquelle le président français Emmanuel Macron empêcherait les Africains de se rendre en France s’ils ne prenaient pas un vaccin contre le coronavirus. Le message, démenti par Paris, avait eu néanmoins 13.000 partages et 17.000 commentaires après avoir été largement partagé au Mali, au Togo et en Côte d’Ivoire.
Huit des actifs supprimés étaient directement liés au parti politique Force des Patriotes : 3 pages nommées d’après le FP, la page vérifiée de Mvula et son profil d’utilisateur, un profil d’utilisateur appelé «Force des Patriotes-USA» et le groupe «Honoré Mvula notre choix». Un autre groupe appelé «Honoré Mvula mon choix» a également été supprimé, mais il n’avait qu’un seul membre.
Une recherche de “Force des Patriotes” sur Facebook a montré qu’au moins six pages Facebook dédiées n’ont pas été supprimées lors du retrait du 31 juillet, mais elles ont moins de 1.000 adeptes au total et ont rarement posté du contenu. 4 de ces pages avaient été aimées par le profil de Mvula avant qu’il ne soit retiré.
Ce réseau de pages, de groupes et de comptes a pris des mesures concertées pour dissimuler ses liens avec Honoré Mvula et son parti. Nombre de pages concernées ont eu recours à des tactiques trompeuses pour se faire connaître : elles se sont d’abord présentées comme représentant d’autres hommes politiques et personnalités publiques avant d’être rebaptisées pour afficher un contenu pro-Mvula.
Plusieurs des pages concernées avaient déjà attiré l’attention pour avoir propagé la désinformation sur la Covid-19 en RDC, au point qu’un média français populaire avait publié une enquête sur les opérateurs de ces pages. Les recherches du DFRLab révèlent toutefois que le réseau était plus étendu qu’on ne le pensait à l’origine, et ont également permis de découvrir ses racines politiques.
A.M