Un communiqué du Pool de la communication de la présidence de la République publié samedi 8 août 2020 est venu en rajouter à la polémique créée par les dernières ordonnances présidentielles d’organisation judiciaire. Sans résoudre les questions de fond relatives aux dispositions juridiques convoquées par les juges Ubulu et Kilomba et à l’indépendance de la magistrature par rapport à l’institution président de la République.
Le 27 juillet 2020, les juges constitutionnels Noël Kilomba Ngozi Mala et Jean Ubulu Pungu qui avaient été repris dans une ordonnance d’organisation judiciaire en qualité de présidents à la Cour de cassation avaient saisi le président de la République pour se plaindre notamment de n’avoir pas été consultés car «ayant
appris notre nomination par la voix des ondes». A leur avis,
ces nominations interrompaient illégalement leurs mandats à la Cour constitutionnelle (9 ans). En outre, ils déploraient le fait
pour l’ordonnance n°020/108 du 17 Juillet 2020 qui leur a été notifiée, de ne pas faire, dans ses visas, référence à la loi-organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle dans laquelle ils siégeaient, le texte s’étant limité
« aux seuls articles 69,79,82,152 et 153 de la Constitution qui mettent en exergue le pouvoir du chef de l’Etat sur les juridictions de l’ordre judiciaire et le Conseil supérieur de la magistrature, alors que la Cour constitutionnelle ne fait pas partie de cet Ordre de juridiction, bien que son président soit en même temps
président du Conseil supérieur de la magistrature».
Les deux juges font également grief au texte présidentiel auquel ils se sont abstenus de déférer de n’avoir évoqué dans les visas «que les articles 10 et 11 de la loi-organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant Statut des Magistrats telle que modifiée et complétée par la loi-organique N° 15/014 du 1er août 2015, alors qu’aux termes de l’article 90 de cette même loi-organique, il est dit expressément que ‘’les dispositions de la présente loi ne s’appliquent pas aux membres de la Cour constitutionnelle’’». Ils en tirent en conséquence la conclusion que «le texte
sus-évoqué ne devrait pas nous être appliqué au motif que la loi organique à laquelle il se réfère l’interdit en son article 90 ci-haut énoncé» et estiment de ce fait qu’en conformité avec la Constitution, spécialement en son article 158, alinéa 3, ils sont «dans l’obligation de rester à la Cour constitutionnelle pour y achever nos mandats constitutionnels, et ce n’est qu’après ces mandats constitutionnels que nous demeurerons totalement et entièrement à la disposition de la République».
L’argumentaire ainsi développé est, à première vue, marqué au coin du sceau d’une logique juridique inattaquable. Il honore par ailleurs leur qualité de juges constitutionnels, gardiens du temple de la constitutionnalité de tous les actes légaux et/ou réglementaires pris dans le pays et pose le problème de l’effectivité du principe de la séparation des pouvoirs sur lequel est adossé l’Etat de droit dans lequel la RDC vit depuis la promulgation de la Constitution de 2006.
En effet, ainsi que le souligne un constitutionnaliste belge consulté par nos rédactions, «la seule réplique qui vaille la peine face à ces griefs soulevés par les deux juristes devrait être primordialement juridique et accessoirement factuelle. Il s’agit, d’une part, de savoir si les textes ainsi invoqués dans leur correspondance au chef de l’Etat sont effectivement en force dans le droit positif de la RDC et, d’autre part, d’établir la réalité des faits qui y sont allégués, à savoir qu’ils n’ont pas été consultés préalablement à la promulgation de l’ordonnance présidentielle querellée qui malmène visiblement le principe de l’inamovibilité. Aborder le problème par le biais de considérations protocolaires c’est plonger tête baissée dans l’arbitraire, aux antipodes du droit», a-t-il dit à cet égard.
Considérations protocolaires vs Etat de droit
La réaction rendue publique par les services de la présidence de la République à ce sujet semble plus politique que juridique même si on y décèle des éléments factuels importants. En effet, selon le communiqué du pool communication du chef de l’Etat, «les juges Noël Kilomba et Jean Ubulu ne peuvent plus appartenir à la Cour constitutionnelle comme ils le prétendent». Prenant le contrepied de l’argumentaire brandi par les deux hauts magistrats pour expliquer leur refus de prêter serment en qualité de membres de la Cour de cassation, les communicateurs de la présidence n’y sont pas allés par le dos de la cuillère. «Lorsque les deux jugent affirment ne pas avoir été préalablement consultés avant leur nomination, on peut leur rétorquer qu’ils seront bien en peine de citer un texte légal qui prévoit une quelconque consultation des intéressés par le président de la République, avant leur nomination. Il n’y a donc pas d’obligation de consultation envers les deux nominés. Ils évoquent leur mandat de neuf ans en cours. Or, ils n’ignorent pas les prescrits de l’article 31 point 3 de la loi organique qui prévoient l’incompatibilité de la fonction de membre de la Cour constitutionnelle avec l’exercice de tout autre emploi public. Le Juge constitutionnel ne peut cumuler deux fonctions publiques au même moment», estiment-ils. Ils appuient cette réplique par une allusion au précédent du juge constitutionnel Félix Vunduawe Te Pemako, qui avait été appelé à d’autres fonctions à la tête du Conseil d’Etat, alors que son mandat à la Cour constitutionnelle courrait encore. Ce à quoi notre expert rétorque que selon toute vraisemblance, le juge Vunduawe est supposé avoir été consulté et avoir donné son assentiment quant à ce car «aucune objection de sa part n’avait été enregistrée en la circonstance». Il indique en outre que contrairement à ce que laisse entendre le communiqué de la présidence rd congolaise, l’initiative des nominations des magitrats du siège relève du Conseil supérieur de la magistrature, le président de la République ne pouvant procéder auxdites nominations que «sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature».
Le pouvoir judiciaire, un banal service de la présidence ? Le pool des communicateurs de la présidence ne semble pas l’entendre de cette oreille car dans son communiqué, il fustige la position des deux magistrats en écrivant qu’«ils ont été dûment notifiés de leur nomination. De ce fait, ils ne font plus partie de la Cour constitutionnelle, puisque devenus magistrats au grade de président de la Cour de cassation, en attendant la prestation de serment pour leur prise de fonctions. Par le fait de cette notification, il y a cristallisation de l’acte administratif individuel qui produit, dès lors, des effets opposables à leur égard». Des confrères de la presse nationale ont aussitôt bondi à bras raccourci sur Kilomba et Ubulu : «C’est désormais officiel, la présidence de la République déjoue la manœuvre de deux juges de la Cour constitutionnelle», a-t-on lu dans quelques médias. Comme si les cours et tribunaux en RDC étaient devenus un banal service de la présidence de la République au lieu d’être une institution de la République à part entière. A cet égard, les choses sont loin d’être aussi simples que ne le laisse croire la lecture du communiqué du pool de communication de la présidence de la République en vertu duquel «considérant que les juges Kilomba et Ubulu ont effectivement été au courant de leurs nominations, et que leur choix serait de rester à la Cour constitutionnelle, ils ne peuvent plus faire partie de cette haute Cour comme ils le prétendent au regard des prescrits de l’article 34 alinéa 1er de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle qui dispose tout membre de la Cour ou du parquet général, tout conseiller référendaire qui se trouve dans l’un des cas d’incompatibilité visés à l’article 31 de la présente Loi organique lève l’option, dans un délai de huit jours à compter de la date de notification de sa nomination. A défaut, il est réputé avoir renoncé à ses fonctions de membre de la Cour, du parquet général ou de conseiller référendaire. Etant donné qu’il s’agit d’une nomination à la Cour de cassation et non à la Cour constitutionnelle, il est tout à fait légal et cohérent de se référer aux articles de la Constitution qui donnent pouvoir au chef de l’Etat de statuer et de poser des actes en la matière. Par conséquent, les dispositions constitutionnelles visées sont bel et bien dans le contexte des nominations précitées», lit-on dans ledit communiqué qui précise que même s’agissant de leurs fonctions à la Cour de cassation, «l’article 45 point 3 de la loi organique n° 06/020 du 10 octobre 2006 portant statuts des magistrats dispose que ‘’Est considéré comme démissionnaire d’office : le magistrat qui n’a pas prêté ou renouvelé le serment prévu à l’article 5 dans le délai d’un mois à partir du jour où il lui a été notifié une invitation écrite à ce faire’’. Ayant
manifesté le refus de prêter serment devant le chef de l’Etat, il revient à ce dernier, de constater la démission d’office de ces membres de la Cour de cassation, conformément aux dispositions sus évoquées».
Problème : pareille conclusion qui impacte la carrière des magistrats, ne peut relever du cabinet du chef de l’Etat qui n’est pas l’organe habilité à cet effet dans l’ordonnancement juridique en vigueur en RDC car comme on l’a vu ci-dessus, la nomination, la révocation et le constat de la démission des magistrats du siège relèvent d’une compétence liée du président de la République qui ne peut les prendre que «sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature», lequel dispose ainsi de la plénitude de la charge de l’exercice du pouvoir judiciaire.
Certes, il a été annoncé à ce sujet que
le secrétariat technique dudit Conseil aurait accordé un délai de 30 jours aux deux juges pour opérer un choix définitif, sous peine d’être considérés comme démissionnaires. Mais ce secrétariat, comme son nom l’indique, est une structure technique du CSM qui reste l’organe faîtier du pouvoir judiciaire et ni le président de la République, ni ses services n’en font partie en l’état actuel de la constitution et de la législation.
Autre difficulté en perspective: la rentrée parlementaire de septembre au cours de laquelle les deux magistrats désignés en remplacement de Kilomba et Ubulu devront prêter serment devant les deux chambres du parlement risque de charrier de nouveaux affrontements interinstitutionnels au regard des positions tranchées de la majorité FCC à cet égard. A moins que ne soit résolu auparavant ce problème fondamental de la mise en oeuvre du principe de checks and balances entre les institutions qui est un des fondements essentiels de la démocratie et qui ne doit pas être considéré uniquement comme un frein au leadership du président de la République.
J.N.