S’il fallait une preuve que la classe politique congolaise n’a tiré aucune leçon des drames qui plombent l’évolution de leur pays depuis les années ’60. La crise qui met aux prises le président de la République Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo et le premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba en est une illustration vivante.
Peu d’observateurs dans le pays et en Afrique osent à ce jour parier sur un déclic du renouveau ou du réveil de ce géant endormi qui prend de plus en plus les allures d’un rêve pieux au regard de la répétition rédhibitoire d’une histoire peu glorieuse 60 ans après. Si comme le prédisait Frantz Fanon, l’Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve au Congo, alors ce continent a bien du souci à se faire car il plane comme une sorte de malédiction sur le pays de Simon Kimbangu et Patrice Lumumba dont la plupart des élites politiques, toutes tendances confondues brillent par leur inaptitude à échapper aux pièges de ceux qui, à partir de l’hémisphère Nord de la planète, tiennent mordicus à les maintenir dans le statut d’une satrapie de l’Occident.
Cette inclinaison date de la Conférence de Berlin sur le bassin du Congo (1884-1885) à l’issue de laquelle les puissances occidentales s’étaient taillées unilatéralement une zone d’influence partagée au cœur de l’Afrique dans laquelle la liberté d’exploitation des matières premières, de commerce et de navigation était garantie à chacune d’entre elles sous la régence de Léopold II, le souverain belge de l’époque, qui sera obligé de céder le « gardiennage » de ce coffre-fort naturel à son pays, la Belgique en 1908, après moult dénonciations de son mercantilisme criminel.
Une zone d’influence partagée de l’Occident
Et pourtant l’Afrique s’était un temps consolée à l’idée que les Congolais avaient enfin «dressé leur front longtemps courbé» lorsque l’ancien président Joseph Kabila avait résisté vaillamment aux ingérences toxiques des suprématistes invétérés de l’hémisphère Nord qui ont occis les Lumumba, Mzee Kabila, Thomas Sankara et fait vaciller la Jamahiriya libyenne de Mouammar Kadhafi dans la foulée du ‘’printemps arabe’’. Comme le roseau sous la tornade, le quatrième président de la RDC avait plié sans rompre, dévoilant à la face du monde une résilience qui a rondement culminé dans une alternance pacifique au sommet de l’Etat que les maîtres autoproclamés du monde avaient eu du mal à voir venir. Cerise sur le gâteau, les Congolais ont su faire preuve d’une maturité politique impressionnante en définissant par eux-mêmes leur propre gestion de la res publica au sein d’une coalition post-électorale inédite, réunissant l’ancienne opposition radicale et l’ancien pouvoir. C’était à la faveur des élections générales de décembre 2018 qui s’étaient conclues par une passation civilisée de flambeau, la première du genre en six décennies, entre un président de la République sortant et un président de la République entrant qui, en effectuant la remise-reprise, convinrent de constituer une coalition gouvernementale reflétant la configuration institutionnelle voulue par le corps électoral de leur pays. Le début d’une normalisation annonciatrice de lendemains qui chantent.
Cela avait été pour beaucoup d’africains un grand soulagement dans l’espoir de voir le décollage du grand Congo couper l’herbe sous les pieds des prédateurs en exorcisant le démon de la division grâce auquel des officines étrangères pas toujours bien intentionnées maintiennent le continent noir sous coupe réglée.
La remontada des suprématistes
Ce doux rêve, peut-être trop beau pour être vrai, semble s’effilocher ces derniers mois. Frustrés par la prise de conscience tant redoutée des Congolais enfin déterminés à exercer leur souveraineté en tant que peuple chez eux et à désillusionner ceux pour qui la RDC devait rester indéfiniment ce bien sans maître exploitable à souhait comme cela avait été le cas entre 1885 et 1960, l’ancienne métropole et ses affidés, hantés par les incertitudes d’un monde de plus en plus compétitif dans un contexte de montée en puissance de l’Empire du milieu ne pouvaient guère s’avouer facilement vaincus.
Perdre le Congo signifiait pour la plupart d’entre eux un décrochage définitif dans la guerre économique face aux pays émergents comme les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) notamment qui ne s’en laissent pas conter. Fin 2018, plus d’un Africain avait touché du bois en misant sur la maturité dont avaient su faire preuve les Congolais, ces fiers descendants de Lumumba qui donnaient enfin l’impression d’avoir résolu de tirer un trait définitif sur les dysfonctionnements dus aux manipulations malignes et aux ingérences suffocantes qui avaient compromis la respiration normale de leur démocratie et les avaient installé dans le cercle paradoxal d’une pauvreté abyssale sur un ‘’scandale géologique’’ depuis la charte octroyée de 1960.
En effet, le chaos perpétuel entretenu dans ce pays gâté par la nature avec ses richesses minières incomparables, sa faune, sa flore, ses terres fertiles et son hydrographie surabondantes visait simplement à y prévenir toute velléité d’autodétermination qui aurait ruiné l’inextinguible boulimie de quelques prédateurs.
Le script de cette tragédie qui pointe à nouveau son nez dans le firmament rd congolais avait été ostentatoirement élaboré outre-Atlantique dès l’aube de l’alternance démocratique en janvier 2019. Des hommes d’influence, officiels, diplomates, journalistes et ‘’humanitaires’’ occidentaux assistés de puissants relais locaux sont à la manœuvre et ne cachent plus leur projet d’empêcher coûte que coûte la réussite de la coalition majoritaire issue des scrutins de 2018. Premier acte de l’offensive : séparer le nouveau président de la République Félix Tshisekedi et sa plateforme CACH de son partenaire dans la coalition, l’ancien président Josph Kabila et son FCC, détenteurs de la majorité parlementaire.
Les Congolais des grands enfants ?
À voir le déroulement des faits sur le terrain, l’on a tendance à croire que la classe politique congolaise ne serait en fin de compte composée que de marionnettes invertébrées et dépourvues de mémoire et de conscience historique qui exécutent à perfection des plans de déstabilisation de leur propre pays montés ailleurs. On ne peut expliquer autrement la crise politique actuelle qui, faut-il le rappeler, est née d’une agitation paranoïde dans certains cercles du pouvoir pour barrer la route à une menace purement imaginaire de destitution du chef de l’Etat si jamais les deux chambres du parlement se réunissaient en Congrès (!).
Le fait que les tensions qui s’en sont suivies et qui ont conduit la coalition au pouvoir au bord d’une implosion aux conséquences désastreuses aient été toutes saluées avec délectation et jubilation par quelques chancelleries occidentales constitue une indication claire de leurs instigateurs. La responsabilité de ces puissances dont les représentants officiels se répandent dans les médias et réseaux sociaux pour se gargariser de la chienlit ambiante à Kinshasa est à cet égard un secret de polichinelle pour les esprits avertis qui n’ont pas à chercher longtemps à qui profite le crime…
La situation est d’autant plus préoccupante que tout ce désordre intervient au moment où le pays se trouve pratiquement à genoux, frappé de plein fouet par la crise sanitaire et socio-économique due à la pandémie de la Covid-19. Question à un million de francs : les Congolais sont-ils destinés à être infantilisés ad vitam aeternam par quiconque voudrait faire main basse sur leurs ressources naturelles ?
Et le chaos
Difficile, au regard des derniers développements de la situation politique dans le pays, d’imaginer que les tenants du pouvoir à Kinshasa soient bien au fait des tenants et aboutissants de même que des conséquences qui pourraient découler de la crise institutionnelle qu’ils s’amusent à laisser s’installer dans leur pays si fragile et en butte à tant de convoitises. La situation est encore très volatile dans ce pays qui ne s’est pas encore remis de la mise à mort programmée à laquelle il a échappé de justesse avec ce qu’on a appelé la «troisième guerre mondiale africaine».
17 ans seulement nous séparent de cette période où pas moins de dix armées étrangères se faisaient impunément la guerre sur le territoire congolais pour des causes moralement et légalement peu avouables.
Ceux qui poussent le président Félix Tshisekedi à céder aux chants de sirènes étrangères entonnées au grand jour et à ouvrir un front contre la majorité parlementaire à l’image de ce que fit le premier chef d’Etat congolais Joseph Kasavubu, pressé en 1960 d’aider les suprématistes belges et américains à éliminer politiquement le premier ministre Lumumba ont tort parce qu’ils font marcher à reculons le train de l’histoire. Faut-il croire qu’au lieu de se consacrer à la réalisation de ses promesses électorales, le chef de l’Etat préférerait jouer le jeu de l’agenda du chaos et de la balkanisation cher à certains think tank néolibéraux outre-Atlantique dont on le disait déjà proche avant son accession au pouvoir ?
En effet, en prenant la semaine dernière une série d’ordonnances de nominations hautement stratégiques au sein de l’armée et de l’appareil judiciaire à l’insu du premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba qui est le chef de la majorité parlementaire représentée au gouvernement, le N°1 congolais a fait sortir de ses gongs le flegmatique chef de gouvernement qui a dénoncé, une fois de plus une atteinte délibérée à la constitution, aux lois et à l’accord de partenariat entre le FCC et le CACH. Aussitôt, le FCC dont émane le premier ministre a fait chorus avec ce dernier dans une déclaration politique fustigeant les relents «dictatoriaux» de leur partenaire. C’est clair: les deux piliers de la coalition au pouvoir en RDC sont sur le pied de guerre. Si nul ne peut prédire qui sortira gagnant de ce bras de fer, on peut déjà gager que le peuple congolais en sera le plus grand perdant comme à chaque fois que son leadership politique a été inféodé aux intérêts néocoloniaux.
L’histoire récente enseigne que du Nord au Sud de l’Afrique, tous les leaders qui se sont alignés aveuglément sur le capitalisme occidental prédateur par essence ont fini par se mordre les doigts après avoir cru faire la pluie et le beau temps. Les Congolais Joseph Kasavubu et Mobutu Sese Seko, le Brazza-congolais Pascal Lisouba, l’Egyptien Muhammad Morsi, le Centrafricain Jean Bedel Bokassa ou le Burkinabé Blaise Compaoré en sont quelques exemples. Même si le désespoir est au rendez-vous, il n ‘est pas impossible que l’Afrique fasse l’économie du pire qui pointe à l’horizon au Congo-Kinshasa.
JBD avec le Maximum