Le président de la République, Félix Tshisekedi a échangé mardi par vidéo conférence avec le milliardaire américain Bill Gates. La lutte contre la Covid-19 et d’autres maladies infectieuses (rougeole, polio) et l’amélioration du système de santé ainsi que la lutte contre la pauvreté ont constitué l’essentiel de leur entretien. Fatshi a parlé également avec son interlocuteur du développement de l’agriculture et de la micro finance.
A Kinshasa, d’aucuns s’interrogent sur les vraies motivations du fondateur de Microsoft. En effet, derrière un voile de relations publiques menées par les médias, la Fondation Gates a souvent servi de véhicule au capital occidental qui considère les pays du Sud comme un laboratoire humain. La pandémie du Coronavirus va accentuer les inquiétudes à cet égard. L‘annonce en juillet par le président américain Donald Trump du retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé un processus qui aura un impact considérable sur l’avenir de la politique de santé publique mondiale. L’abandon de l’OMS par les États-Unis signifie que le deuxième contributeur financier de l’organisation qui n’est autre que la Fondation Bill & Melinda Gates, devient ipso facto son premier donateur, ce qui lui donne une influence sans précédent sur l’une des plus importantes organisations multilatérales du monde.
Bill Gates a acquis un simili-statut de héros pendant la pandémie. Le Washington Post l’a qualifié de « champion des solutions fondées sur la science», tandis que le New York Times l’a récemment salué comme «l’homme le plus intéressant du monde». Gates est également la vedette d’une série de documentaires à succès de Netflix, «Pandémie», sortie quelques semaines avant que le Coronavirus ne frappe durement les USA, et produite par une correspondante du New York Times, Sheri Fink, qui avait travaillé auparavant dans trois organisations financées par Gates (Pro Publica, la New America Foundation et l’International Medical Corps). Le tsunami des éloges des médias grand public à Gates à l’ère de la Covid-19 a repoussé l’examen minutieux du milliardaire et de ses machinations complotistes aujourd’hui, de nouveau à l’assaut de la RDC. «Mais au-delà de la manne que représente Gates pour les firmes de relations publiques, ce qui se passe devrait susciter des inquiétudes. On se demande si les plans de sa fondation pour éradiquer la pandémie profiteront au public mondial autant qu’ils étendent et consolident son pouvoir sur les institutions internationales. La Fondation Gates a déjà privatisé l’organisme international chargé d’initier la politique de santé, le transformant en véhicule de domination des entreprises privées. Elle a facilité le déversement de produits toxiques sur les populations du Sud et a même utilisé les pauvres du monde comme cobayes pour des expérimentations sur les médicaments. L’influence de la Fondation Gates sur la politique de santé publique agit contre l’indépendance des États-nations et comme véhicule pour le capital occidental», estime l’écrivain américain Jeremy Loffredo. Plusieurs observateurs attirent l’attention sur les appétits voraces de l’empire Gates, apparemment philanthrope.
«A cause de la Fondation Gates, j’ai vu la souveraineté de gouvernement après gouvernement chuter », a déclaré le Dr Vandana Shiva, chercheur et fondateur de la Fondation de recherche pour la science, la technologie et l’écologie, basée en Inde, au journal Grayzone.
La solution Gates à la Covid-19
Selon Bill Gates, la création et la distribution d’un vaccin contre la Covid-19 à tous les habitants de la terre est « la solution ultime » à l’épidémie. Le PDG de la Fondation Gates, Mark Suzman, s’est fait l’écho de ces sentiments en proclamant qu’«un vaccin efficace doit être mis à la disposition de 7 milliards de personnes».
Sur CNN en avril, l’épouse de Bill Gates et co-directrice de sa fondation, Melinda Gates, a déploré être «tenue éveillée la nuit » par son inquiétude pour les populations vulnérables en Afrique et leur manque de préparation face à ce virus. En juin, elle a déclaré à Time Magazine qu’aux États-Unis, les noirs devraient être les premiers à se faire vacciner. Apporter un vaccin salvateur aux populations noires vulnérables d’Afrique et des États-Unis, puis à tous les habitants du monde, semble noble, et Bill Gates joint certainement le geste à la parole. En mars, il a démissionné de son poste au conseil d’administration de Microsoft et paraît «consacrer maintenant la majeure partie de son temps à la pandémie ».
La Fondation Gates, le « plus grand bailleur de fonds du monde pour les vaccins », a déjà attribué directement plus de 300 millions USD à la réponse mondiale au coronavirus. Elle a notamment soutenu les essais de vaccins réalisés par des sociétés comme Inovio Pharmaceuticals, AstraZeneca et Moderna Inc, qui sont tous décrits comme des pionniers dans la course au développement d’un vaccin contre la Covid-19. Malgré tout, il y a lieu d’être sceptique lorsqu’on examine la réalité de l’effort mondial de vaccination dirigé par Gates.
Bill Gates et les «minerais de sang» en RDC
En RDC, nombreux sont ceux qui indexent le rôle de Bill Gates dans l’exploitation des mines d’où est extrait le coltan (un minerai appelé «or gris»). Les enfants exploités y sont régulièrement l’objet d’accidents mortels. Les fabricants de téléphones portables dont Nokia de Gates et Microsoft n’exploitent pas directement les usines ou les mines indispensables à la fabrication de leurs produits. Grâce à des jeux savants de sociétés écrans et d’intermédiaires pas toujours respectables, ils peuvent fermer les yeux sur des pratiques déjà dénoncées par de nombreux reportages. Bill Gates, principal actionnaire de Microsoft, qui a racheté l’activité téléphone portable de Nokia, reste muet lorsqu’on l’interroge sur ces mines de la honte. Le milliardaire est beaucoup plus disert lorsqu’il s’agit de ses activités caritatives en Afrique.
Apple, Google, Microsoft…figurent parmi des entreprises épinglées depuis 2015 pour des décès et blessures d’enfants mineurs en RDC. Une plainte en ce sens a été déposée par l’International Rights Advocates au nom de 14 familles congolaises qui accusent les multinationales d’être conscientes que le cobalt utilisé dans leurs produits pourrait être lié au travail des enfants. La RDC produit 60 % de l’approvisionnement mondial en cobalt.
Le minerais est utilisé pour produire des batteries lithium-ion qui alimentent les voitures électriques, les ordinateurs portables et les smartphones. Le processus d’extraction a souvent été la cible de critiques liées à l’exploitation minière illégale, aux violations des droits de l’homme et à la corruption.
L’action en justice intentée aux États-Unis soutient que les sociétés de technologie avaient des «informations spécifiques» sur le fait que l’approvisionnement en cobalt pour leurs produits pouvait être lié au travail des enfants. Les plaignants disent que les entreprises n’ont pas réussi à régulariser leurs chaînes d’approvisionnement mais qu’elles ont plutôt profité de l’exploitation.
Les documents judiciaires parvenus au journal britannique The Guardian, citent des cas d’enfants mineurs enterrés vivants ou souffrant de blessures suite à l’effondrement d’un tunnel dans une mine. Les 14 familles congolaises veulent que les entreprises les indemnisent pour le travail forcé, la détresse émotionnelle et une supervision négligente. En réponse au Telegraph, Microsoft a déclaré qu’elle s’était engagée à s’approvisionner de manière responsable en minéraux, qu’elle enquêtait sur toute infraction commise par ses fournisseurs et prenait des mesures. De la poudre aux yeux.
« La Banque mondiale et le FMI ressemblent à des nains devant la Fondation Gates, en termes de pouvoir et d’influence», fait remarquer le Dr Vandana Shiva à Grayzone. La Fondation Gates a également usé de sa richesse pour influencer la couverture médiatique des politiques de santé mondiale et peut-être pour étouffer les critiques envers ses activités les plus douteuses.
La fondation a fait don de millions à des grands médias, dont NPR, PBS, ABC, la BBC, Al Jazeera, le Daily Telegraph, le Financial Times, Univision et The Guardian. En fait, toute la section «Développement mondial» du Guardian a été rendue possible grâce à un partenariat avec la Fondation Gates. La fondation a également investi des millions dans la formation de journalistes et la recherche de moyens efficaces pour élaborer des récits médiatiques laudateurs. Selon le Seattle Times, «les experts formés dans le cadre des programmes financés par la Fondation Gates rédigent des articles qui paraissent dans des médias allant du New York Times au Huffington Post, tandis que les portails numériques brouillent la frontière entre le journalisme et la propagande».
En 2008, le responsable de la communication de PBS NewsHour, Rob Flynn, a expliqué qu’«il n’y a pas grand-chose que vous pourriez aborder en matière de santé mondiale, de nos jours, qui ne tomberait pas sous les tentacules de Gates». C’était à l’époque où la Fondation a octroyé 3,5 millions USD à NewsHour pour établir une unité de production spécialisée dans le reportage sur les questions importantes de santé mondiale. Il n’est donc pas étonnant que la couverture médiatique de la fondation soit si positive dans les médias grand public, ou que ses activités les plus louches dans les pays du Sud comme la RDC soient si méconnues.
A.M