Des raisons économiques et sécuritaires ont été avancées par le gouvernement provincial de la ville de Kinshasa pour justifier la décision annoncée ‘in extremis’ de reporter à « une date ultérieure » le confinement forcé intermittent de la capitale annoncé la veille pour réduire les possibilités d’expansion de la pandémie du Covid-19 hors de l’épicentre kinois. Le vendredi 27 mars 2020 a été caractérisé par une agitation peu commune à travers les grandes artères de Kinshasa prises d’assaut par des hommes, des femmes et des enfants en quête désespérée de denrées et victuailles destinées à leurs familles pendant les 4 jours de la première phase du confinement forcé initialement prévu de vendredi à mardi. A la surprise générale, le numéro 1 de la ville de Kinshasa n’avait annoncé cette opération que le jour même. Conséquences : en cette veille du lock out, la capitale avait les allures d’une ville assiégée avec des files d’acheteurs en voitures ou à pied long de plusieurs kilomètres devant les magasins d’alimentation, les pharmacies et autres établissements commerciaux. Une atmosphère apocalyptique provoquée par l’annonce abrupte par Gentiny Ngobila Mbaka, du confinement forcé dès le lendemain. « Le but de cette improvisation apparente était de ne pas compromettre les chances de réussite de l’opération de recherche de quelques 2.000 contacts de personnes porteuses du virus qui ont disparu dans la nature et qui sont susceptibles d’en être aussi des vecteurs », selon un collaborateur du gouverneur. De prime abord, beaucoup de kinois avaient grogné contre cette mesure, la jugeant excessive pendant cette période où l’épidémie a déjà sérieusement entamé les maigres moyens des ménages et bouleversé bien des habitudes quotidiennes. La surenchère des prix pratiquée par des commerçants sans scrupules qui n’ont pas répondu favorablement à l’appel à la solidarité nationale lancé par le chef de l’État, Félix Antoine Tshisekedi énervait déjà les Congolais et certains menaçaient de ‘‘se servir’’ par des pillages du genre de ceux qui avaient mis par terre l’économie de la RDC au début des années ’90. Mais c’était une tendance plutôt marginale provoquée plus par l’amateurisme des autorités gouvernementales et municipales qui, d’une part, s’y était prises tardivement pour annoncer le confinement total et, d’autre part, ne s’étaient guère souciées de le faire précéder ou accompagner de mesures d’encadrement comme la mise à la disposition des groupes fragiles (militaires, policiers, vendeurs dans les marchés) et du Congolais lambda de moyens de substitution permettant ne fut-ce que de voir venir pendant la première phase…
Il n’en demeure pas moins que le confinement reste une nécessité si on veut éviter le sort d’Etats mieux nantis que la RDC (USA, Grande Bretagne, Italie, France, Afrique du Sud etc.) dans lesquels la propagation du Covid-19 s’est faite de manière exponentielle. Au crépuscule, lorsque l’annonce officielle du report du confinement forcé a été faite, l’opinion kinoise a viré au rouge: « Nous avions déjà pris nos dispositions en achetant très cher le peu que nous pouvions pour faire face à cette situation. Ce report ne nous enchante pas et n’apporte aucune solution de fond au problème du Coronavirus » estimaient toutes les sources averties proches du dossier. Comme pour dire qu’avant de prendre une mesure, une autorité avisée aurait dû évaluer préalablement ses conséquences sur le vécu de la population. « On ne gouverne pas un pays comme une échoppe dans un marché. Il ne s’agit pas seulement de signer des arrêtés ou des décrets à la va-vite pour ensuite se dédire et décommander les mesures au gré des vagues sans en expliquer à temps les fondements », s’est indigné un observateur pour qui l’affluence exceptionnelle de vendredi dans les supermarchés et même dans les nombreux ports et les différents marchés de la capitale va dans un sens contraire aux recommandations édictées par les autorités compétentes est due à l’incurie des gouvernants. « Pire, la brièveté du délai accordé à la population avant le confinement intermittent n’a pas permis aux acheteurs d’acquérir des vivres à stocker et d’observer la distanciation recommandée d’au mois 1 mètre. Par contre, l’on a assisté à une bousculade des kinoises et des kinois qui transpiraient à grosses goûtes dans une indescriptible promiscuité qui a certainement augmenté des cas de contamination », selon le reporter d’une chaîne commerciale. Les détracteurs du gouverneur Ngobila critiquent sa décision jugée irréfléchie car elle a plus exposé la population de la capitale aux conséquences de la maladie. « L’indécision du gouverneur a poussé beaucoup de pauvres ménages à s’endetter en recourant à des usuriers ou des prêteurs sur gage (banque Lambert) dans le but de se constituer un stock d’aliments pendant la période de confinement. Il est également à la base d’une flambée inédite des prix de tous les produits, la demande étant tragiquement supérieure à l’offre suite à la pression psychologique induite par son communiqué. Un sac de braises de 32.000 FC, soit 18 USD, s’est ainsi vendu vendredi à 50 USD ; une botte de feuilles de manioc (pondu) s’est négociée à 7.000 FC, soit 7 fois plus que d’habitude ; une boîte de lait de 900 grammes vendue jeudi à 16.000 FC revenait le lendemain à 25.000 FC », selon cette source qui se pose la question de savoir si le premier citoyen de la capitale s’était entouré d’experts avant de prendre ses décisions. Le fait que c’est par un communiqué de la Primature, signée d’ailleurs par le directeur de la communication du premier ministre, que le report a été annoncé semble suggérer qu’il n’en a rien été. Comme à l’accoutumée, de mauvaises langues se sont emparées de ce dysfonctionnement pour couvrir le gouverneur de toutes sortes d’accusation, allant jusqu’à faire croire à des arrangements avec des opérateurs économiques indélicats bénéficiaires de la spéculation sur les prix, en contrepartie de rétro-commissions.
Pour sa part, le cardinal Fridolin Ambongo Bensungu, archevêque de Kinshasa, a, au cours d’une conférence de presse samedi 28 mars à Kinshasa déploré ce rétropédalage et appelé à plus de responsabilité devant une urgence humanitaire. « Le gouverneur de la ville province de Kinshasa avait décidé un confinement par intermittence qui devrait entrer en vigueur aujourd’hui (samedi NDLR). Hier soir, nous apprenions que ces mesures sont reportées. Ce qui laisse le peuple qui s’y était pourtant préparé, dans un flou total », a déclaré le prélat qui a ajouté que « ce recul donne l’impression que le pouvoir tâtonne dans la gestion d’une matière aussi délicate que la santé publique de notre peuple en ce contexte de grave épidémie. Cette situation est tout simplement insupportable. Ne jouons pas avec la vie de notre peuple. Car tout vie est sacrée ». Le cardinal estime par ailleurs que seul le confinement intégral accompagné par des mesures d’urgence humanitaires serait plus indiqué car de nature à ralentir la propagation de cette épidémie. « Certes, nous comprenons la décision du gouverneur de reporter le confinement qui, de toute façon, aurait eu des conséquences beaucoup plus graves. Mais à notre avis, la solution du confinement intégral n’est pas à abandonner », a-t-il précisé. Le chef de l’Eglise catholique de Kinshasa a invité la population à prendre très au sérieux les mesures d’hygiène et de prévention édictées à maintes reprises par les autorités compétentes et à manifester de la solidarité les uns pour les autres. Prêchant par l’exemple, il a à cet égard signalé que le personnel d’appoint du Centre Lindonge, siège de l’archevêché, a été libéré de ses obligations pour pouvoir respecter le confinement.
JN