Il souffle comme un vent de crise au sein du gouvernement entre deux adjoints du premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, les vice-premiers ministres et ministres respectivement de l’Intérieur et Sécurité, l’UDPS (CACH) Gilbert Kankonde et de la Justice, Garde des Sceaux, le PPRD (FCC) Célestin Tunda ya Kasende. A l’origine de cette controverse : la décision prise par le chef du gouvernement de confier la responsabilité de la commission ad hoc chargée de proposer à l’exécutif national une solution aux problèmes survenus dans 4 des 26 provinces congolaises suite aux litiges ayant abouti à la déchéance des 4 gouverneurs par les assemblées provinciales pour diverses raisons. Cette commission paritaire, composée de 4 ministres CACH et 4 FCC entendra les gouverneurs et vice-gouverneurs déchus ainsi que les présidents et vice-présidents des organes délibérants des provinces du Kongo-Central, du HautLomami, de l’Ituri et du Sankuru qui ont été tous conviés dans la capitale pour le 13 janvier par son président Maître Tunda. Après une passe d’armes par réseaux sociaux et médias interposés dans lesquelles une certaine opinion accusait le Numéro 1 du ministère de l’Intérieur de « gestion calamiteuse, partiale, abusive et amateuriste des rapports entre les provinces et le gouvernement central » tandis qu’une autre reprochait au chef du gouvernement d’avoir désigné le vicepremier ministre Tunda pour présider la commission « au mépris des règles de préséance des membres du gouvernement et celle de la compétence matérielle car il s’agit des provinces qui relèvent du vice-premier ministre Kankonde en charge de l’Intérieur », ce dernier est passé à la vitesse supérieure. Par une lettre officielle de protestation contre la décision du premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Dans cette missive à son supérieur, Kankonde a rappelé les dispositions de l’article 53 alinéa 1er, de l’Ordonnance n°17/024 du 10 juillet 2019 portant Organisation et Fonctionnement du Gouvernement, Modalités de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement ainsi qu’entre les membres du Gouvernement en vertu desquelles « le vice-premier ministre, le ministre d’État ou le ministre préséant convoque et préside la Commission à laquelle il appartient», pour revendiquer la direction de la commission ad hoc. Un analyste politique proche de la plateforme CACH avait auparavant dénoncé dans un posting « le fait que le 1er ministre a, dans sa décision du 10 décembre, confié au vice-1er ministre, ministre de la Justice et Garde des Sceaux la direction de la commission ad-hoc pour traiter de la question de l’instabilité dans les institutions provinciales alors que cette matière ne rentre pas dans ses attributions ». Furieux, il ajoute que « ne pas respecter ce principe est une violation grave de la loi. La gestion administrative et politique relève de Gilbert Kankonde. Curieusement, le premier ministre le zappe dans son secteur. Le Conseil des ministres du 6 décembre présidé par le chef de l’Etat avait levé cette option. Mais curieusement, Sylvestre Ilunga a pris une direction pour plaire à sa famille politique ». Contacté par nos rédactions, un expert du cabinet du 1er ministre Ilunga a reconnu sous le sceau de l’anonymat qu’à l’évidence, pareille cacophonie n’honore guère le gouvernement et la République. Tout en donnant les raisons qui ont conduit le chef du gouvernement à charger le titulaire du département de la Justice à superviser cette commission : « Le vicepremier ministre Gilbert Kankonde donne l’impression de ne pas avoir un bon conseiller juridique et d’abuser de sa proximité avec le président de la République pour défier inutilement le premier ministre. L’article 53 du texte auquel il fait allusion ne dispose que pour les commissions permanentes du gouvernement qui sont au nombre de quatre : Politique, Défense et Sécurité, Economie, Finances et Reconstruction, Socio-Culturelle et des Lois. Une lecture plus attentive de cette Ordonnance-loi lui aurait permis de distinguer entre lesdites commissions permanentes dont il est question à l’article 53 et les commissions ‘ad hoc’ dont parle l’article 55. Selon cette disposition, ‘’en cas de nécessité, le Conseil des ministres peut créer, à titre exceptionnel, des Commissions interministérielles ad hoc en vue d’étudier des questions spécifiques. La Commission ad hoc est présidée par le vice-Premier ministre, par le ministre d’État, le ministre ou le ministre délégué principalement concerné par la matière traitée’’. Dans le cas d’espèce, le 1er ministre s’est trouvé face à deux problèmes : d’abord, en ce qui concerne les parties en litige, les assemblées provinciales et les gouverneurs de provinces, seuls ces derniers (gouverneurs) relèvent de l’autorité du gouvernement central par le ministère de l’Intérieur uniquement lorsqu’ils posent des actes de représentation du gouvernement central et de gestion des entités déconcentrées. Les assemblées provinciales jouissent quant à elles d’une pleine autonomie conformément de la constitution et à la loi sur la libre administration des provinces. Leurs actes ne peuvent être annulés que par elles-mêmes ou, le cas échéant, par le pouvoir judiciaire dont l’interlocuteur dans l’exécutif national est le ministère de la Justice ». Pour ce juriste, les actes d’une assemblée provinciale dont il est question dans les 4 litiges confiés à la commission gouvernementale ‘ad hoc’ ne rentrent pas dans la première de ces deux catégories. On ne voit donc pas très bien ce qui fonde la revendication du vice1er ministre Kankonde à les considérer comme relevant de ses compétences particulières et à en réclamer la présidence. « Il appartient au 1er ministre, qui avait déjà reçu mandat de Son Excellence Monsieur le président de la République d’apprécier en sa qualité de chef du gouvernement. En l’espèce, il a estimé à bon escient qu’on ne se trouvait pas devant un problème politique ou de sécurité mais qu’il s’agissait d’une question de droit relevant de la mise en œuvre des prescrits constitutionnels et légaux régissant les rapports entre organes délibérants et exécutifs dans ces provinces. Elle ne peut de ce fait se régler qu’à l’aune de la Loi fondamentale et des autres dispositions légales. Il était donc normal que la recherche de solutions y relatives incombe au titulaire du ministère de la Justice qui a dans ses attributions, celles de conseiller juridique du gouvernement et de président de la commission des Lois. Même si l’on vise un arrangement à l’amiable, il était de bonne politique d’agir ainsi d’autant plus que le titulaire de la Justice a été instruit de travailler avec ses collègues de l’Intérieur et de la Décentralisation qui n’ont pas à s’en offusquer», estime notre source. Un député provincial du Kongo-Central se félicite du choix opéré par le chef de l’Etat et le 1er ministre de confier la haute main de cette commission à un membre du gouvernement autre que le vice-1er ministre en charge de l’Intérieur qui « a brillé dans ces litiges par un parti-pris criant et une méconnaissance des principes légaux régissant les entités provinciales. Il a donné à croire à beaucoup d’observateurs que ce qui comptait pour lui, c’était de récupérer pour le compte de sa famille politique tout gouverneur en délicatesse avec une assemblée provinciale et a, ce faisant, outrepassé ses prérogatives, piétinant systématiquement les attributions constitutionnelles des assemblées de même que l’autorité de son chef, le 1er ministre, des autres membres du gouvernement et du pouvoir judiciaire. Si on devait suivre sa logique, il n’y aurait plus qu’à renvoyer toutes les assemblées provinciales de la RDC et à réviser la constitution pour revenir à la situation autocratique de la 2ème République », s’est indigné cet élu. Qui se plaint de ce que tout au long de la session de leur organe qui s’est achevée le 30 décembre dernier, ses collègues et lui ont passé le plus clair de leur temps à négocier l’application des lois avec le ministère de l’Intérieur « comme si la libre administration des provinces était un cadeau du gouvernement et du président de la République et non un impératif constitutionnel ».Un autre de ses collègues dit noter avec amertume la tentative maladroite de Gilbert Kankonde de s’emparer des prérogatives des gouverneurs lorsqu’il avait ‹‹interdit›› à ces derniers de désigner des commissaires spéciaux pour exercer certaines tâches. « On a eu tort d’assimiler le refus des gouverneurs d’exécuter cet oukase à un acte de rébellion. Il suffit de bien connaître la loi sur la libre administration des provinces pour s’en convaincre », dit-il. Et de rappeler que selon cette législation, seuls les actes de représentation du gouvernement central et de gestion des entités déconcentrées posés par un gouverneur sont soumis à l’autorité du gouvernement central. Tous les autres actes relèvent des assemblées provinciales. « L’incapacité d’un membre du gouvernement central, quel qu’il soit d’établir un distinguo entre ces deux types d’actes est génératrice de graves dysfonctionnements qui vident de toute sa substance le principe même de la décentralisation », signalet-il. Un point de vue partagé par ce professeur de droit public de l’Université de Kinshasa pour qui, s’il ne change pas son fusil d’épaule, le numéro 2 du gouvernement court le risque de compromettre la réussite du processus de décentralisation qui est un des pilliers de l’architecture institutionnelle rd congolaise depuis la mise en œuvre de la constitution de 2006. « Il va lui falloir beaucoup de flexibilité et d’humilité pour s’insérer harmonieusement dans un processus aussi sensible qu’il aborde selon la plupart de ses collègues du gouvernement avec autant de délicatesse qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Normaliser les rapports entre les institutions qui ont en charge une province n’est pas une sinécure. C’est une tâche ardue qu’un gouvernement responsable se doit de mener de concert. A cet égard, la rigueur et le sens de l’écoute des animateurs du gouvernement central qui ont des compétences spécifiques et desdites institutions provinciales est plus à même d’aider le Vice-1er ministre Kankonde que l’égo qui le pousse à vouloir présider coûte que coûte telle ou telle autre commission ‘ad hoc’ mise en place par le gouvernement car un seul ministre ne peut prétendre disposer de la science infuse pour pouvoir régler à lui seul tous les aspects politiques, administratifs et juridiques se rapportant notamment à la décentralisation sans le concours des autres membres du gouvernement en charge de ces aspects », conseille-t-il avant de conclure qu’en maintenant sa position, le 1er ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, un intellectuel de bonne facture « n’est pas allé à l’encontre de la décision du Conseil des ministres qui lui a confié la responsabilité de régler ce problème que les maladresses de son ‘‘lieutenant’’ ont aggravé et n’a violé aucune disposition de l’ordonnance présidentielle du 10 juillet 2019 portant organisation et fonctionnement du gouvernement étant entendu que nul ne peut être soutenu dans la réalisation d’un projet prétendant ramener la paix dans les provinces au détriment du strict respect des textes légaux en vigueur dans le pays ».
J.N.