Francine Muyumba, la jeune présidente de la commission des Relations extérieures du Sénat est montée au créneau pour adresser une question écrite à la cheffe de la diplomatie congolaise, Marie Tumba Nzeza, au sujet de sa décision de rappeler définitivement au pays, c’est-à-dire de limoger, trois ambassadeurs. Il s’agit d’Ignace Gata, représentant permanent de la RDC auprès des Nations-Unies à New York et de son collègue Zénon Mukongo, accrédité auprès des Organisations spécialisées de l’ONU à Genève, sanctionnés pour avoir, selon des sources proches du ministère des Affaires étrangères voté, au nom de la RDC une résolution en faveur de la Chine contre une position défendue par leurs homologues des Etats-Unis d’Amérique. « La ministre d’Etat Marie Tumba Nzeza a reçu de fortes pressions de M. Peter Pham, l’Envoyé spécial des Etats-Unis dans la région des Grands Lacs qui s’est plaint de cette attitude ‘’inamicale’’. Elle a promis à ce dernier de sévir contre ces deux diplomates qui ont été aussitôt rappelés à Kinshasa », explique une source au ministère.
Diplomatie atypique
Le troisième ambassadeur à être limogé par la nouvelle patronne des Affaires étrangères est Bin Ramazani Kithima en poste à Tokyo auquel une rumeur attribuait la vente de l’édifice abritant les services de la chancellerie. « L’ennui avec ce dernier dossier est que l’ambassadeur Kithima qui nie catégoriquement les faits qui lui sont imputés n’a été entendu par personne avant que ne tombe le couperet de cette sanction ministérielle», ajoute la source.
Le limogeage de Gata et Mukongo pose aussi problème parce que les deux diplomates disent avoir reçu le mot d’ordre des services attitrés du ministère avant de voter dans le sens qui leur est reproché. Une information confirmée par leur supérieur, l’ambassadeur Christian Ileka, secrétaire général du ministère. « Tout se passe comme si Madame la ministre est simplement préoccupée de faire place nette dans certains postes-clés de la diplomatie pour des nouvelles nominations sans tenir compte des droits et des performances des diplomates qui y sont affectés. Après tout un poste d’ambassadeur n’est pas comparable à celui d’un conseiller ou valet d’un cabinet ministériel que l’on peut congédier à volonté», se lamente un membre du syndicat des Affaires étrangères qui approuve la démarche de la commission des Affaires étrangères de la chambe haute du parlement.
Des cadres de ce ministère de souveraineté mettent en garde contre une réaction de mauvaise humeur de la République Populaire de Chine, un partenaire global non négligeable à l’heure actuelle et qui a réussi au cours de ces dernières années à se tailler une place importante dans la coopération gagnant-gagnant que la RDC entend avoir avec le reste du monde. « Si la Chine décidait de réduire le volume de ses interventions en RDC, il n’est pas acquis que des embrouilleurs comme l’Américain Peter Pham dont on connaît les liens avec l’opposition Lamuka, dont il a été un lobbyiste très actif au sein de l’ONG Atlantic Council à Washington jusqu’à sa nomination, auront les moyens de pousser la très isolationniste administration Trump à y suppléer. Le président Tshisekedi et son gouvernement devraient savoir qu’en ce domaine comme dans bien d’autres, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », estime le syndicaliste interrogé par nos rédactions.
Outre la violation des droits de la défense reconnus à tout individu sur lequel pèsent des présomptions de mégestion (cas de l’ambassadeur Kithima), la sénatrice Francine Muyumba est d’avis que dans ces trois dossiers, la ministre Marie Ntumba Nzenza a agi en violation flagrante de la Constitution et en usurpation des fonctions du président de la République qui dispose seul du pouvoir de « nommer et révoquer après délibération en Conseil des ministres » à ces hautes fonctions.
Le cas d’Ignace Gata, réputé un des meilleurs fonctionnaires que le pays ait connus au cours de ces dernières années choque d’autant plus qu’il a assumé avec loyauté et expertise toutes les fonctions qui lui ont été confiées. « Il serait très regrettable qu’un diplomate d’une telle valeur fasse les frais de la boulimie de quelques charlatans et opportunistes à l’affût de positionnement autour de la nouvelle locataire de l’immeuble des Affaires étrangères », commente un sénateur après le dépôt au bureau du Sénat de la question écrite adressée à Tumba Nzeza par l’honorable Muyumba.
Méthodes questionnables
L’élu s’est montré très critique quant aux méthodes utilisées par la ministre et son cabinet pour limoger les ambassadeurs de la RDC à Genève, New York et Tokyo. Ainsi, appelés « en consultation » à Kinshasa par la centrale, les deux premiers ont été entendus par une commission ad hoc des Affaires étrangères au sujet de leur vote en faveur d’une déclaration soumise par la Chine au Conseil des droits de l’homme (Genève) et ensuite à la 3ème commission de l’Assemblée générale (New York), relative aux droits de l’homme dans la province de Xinjiang. Les deux ambassadeurs se sont défendus en affirmant, preuves à l’appui, avoir agi conformément à la procédure en vigueur en la matière. Celle-ci veut qu’avant d’engager le pays, les ambassadeurs ou représentants permanents en réfèrent au Ministère. Dans le cas d’espèce, les instructions qu’ils avaient formellement sollicitées leur avaient été données par le secrétaire général aux Affaires étrangères. Ayant reçu confirmation de ce fait, la commission d’enquête instituée pour les entendre à leur arrivée à Kinshasa avait conclu que l’acte qu’ils avaient posé était «correct et régulier» étant donné qu’ils avaient agi sur ordre de leur supérieur hiérarchique et conformément à la procédure et qu’en conséquence, ils n’avaient commis aucune faute. Après avoir reçu le rapport de la commission, la ministre d’Etat Marie Tumba Nzeza a adressé une demande d’explication au secrétaire général Ileka au sujet de cette autorisation d’un soutien à la déclaration pro-chinoise. Ce dernier répondra en reconnaissant que les ambassadeurs avaient, non seulement agi sur son ordre, mais aussi que ledit ordre était conforme aux directives et procédures régissant la matière. Mais, curieusement, en dépit de cette situation très claire, la ministre d’Etat a, contre toute attente, décidé, en violation de la constitution, de mettre fin aux fonctions des deux ambassadeurs alors que pareil pouvoir ne relève pas de sa compétence. Ce sur quoi le Sénat attend ses explications.
Une affaire à suivre.
J.N.