Le Conseil de l’Europe devrait annoncer en ce début de décembre 2019 la reconduction ou non des mesures restrictives prises il y a près de trois ans à l’encontre de 14 personnalités proches du président honoraire de la RDC, Joseph Kabila Kabange. Ces mesures, très médiatisées sous le label de sanctions ciblées pour « punir » leur implication présumée dans des violations des droits de l’homme et la non organisation des élections générales de 2016 ont été au centre d’une controverse houleuse entre Kinshasa et Bruxelles que même l’organisation des scrutins dont la non tenue servirent de prétexte à leur édiction n’a pas éteint, loin s’en faut. Prévues pour fin 2016, les élections générales avaient été reportées à fin 2018 et se sont soldées par le premier transfert pacifique et « civilisé » du pouvoir au sommet de l’Etat dans l’histoire perturbée du pays de Lumumba depuis l’indépendance en 1960. D’aucuns s’attendaient à ce que avec ce « happy end » salué par le monde entier le Conseil européen retire ces mesures restrictives. « Après tout, les Congolais eux-mêmes dans les conclusions des négociations dites du centre interdiocésain sous la médiation de la Conférence épiscopale nationale congolaise (CENCO) avaient engagé le gouvernement issu des élections à solliciter dès sa mise en place le retrait de ces mesures » se souvient un participant à ces assises faisant référence à l’article 4 point 4 de l’accord de la Saint Sylvestre. Mais curieusement, un an après l’installation du nouveau président de la République Félix Tshisekedi qui conduisait la délégation de l’opposition à ces négociations, la plupart des européens continuent à s’accrocher à l’idée que la démocratie serait « toujours en danger » au Congo- Kinshasa du fait des partisans de Joseph Kabila qui, bien qu’ayant perdu l’élection présidentielle, n’en ont pas moins gagné les élections législatives en raflant une très confortable majorité dans les deux chambres parlementaires, l’Assemblée nationale et le Sénat. Une démarche formelle du nouveau chef d’Etat en faveur de l’assouplissement des sanctions a suscité une pluie de protestations indignées tant des faucons de l’ancienne opposition radicale que de certaines ONG très proches de l’UE. Ce faisant, M. Tshisekedi ne faisait pourtant que se conformer ‘à minima’ aux engagements réciproques pris par les parties prenantes aux négociations de 2016.
Bananiérisation
Sans tenir compte du climat de décrispation ainsi voulu par les Congolais eux-mêmes, toutes tendances confondues, et en s’appuyant trop complaisamment sur le lobbying des ONG européennes et leurs caisses de résonnance au Congo, le Conseil européen s’est évertué à renouveler, année après année, ces mesures restrictives qui visent les personnalités congolaises. Cela pousse nombre d’observateurs à soupçonner ces européens-là de céder à une certaine nostalgie qui les pousserait à raviver les rapports de subordination entre les « civilisateurs » qu’ils estiment toujours être et les peuples anciennement sous leur domination, d’où le néologisme « bananiérisation » » utilisé par un universitaire congolais pour décrire cette tentative de certains européens à transformer le Congo-Kinshasa en une République bananière comme le furent certains Etats sud-américains sous la férule de dictateurs pro US comme Somoza ou Noriega en pleine guerre froide. C’est le Belge Bart Ouvry, ancien représentant de l’Union européenne en RDC qui a ouvert le bal en prenant la tête d’une vigoureuse campagne contre ce qu’il qualifiait de « la garde idéologique rapprochée de Joseph Kabila » qu’il aligna, grâce à quelques témoignages stipendiés de « nègres de service » et de quelques ONG occidentales suprématistes sur une liste de personnalités ayant porté atteinte à la démocratisation et aux droits de l’homme et contre lesquelles il obtint des mesures restrictives de circulation sur l’espace Schengen pompeusement baptisées « sanctions ciblées ».
Contre le souverainisme de Kabila
En réalité, ces mesures prises au mépris des principes élémentaires du contradictoire, des droits de la défense et des droits individuels ainsi que des garanties procédurales des personnes concernées prévus pourtant en faveur de tout être humain par les principes généraux du droit et les normes en vigueur dans l’Union européenne ne l’avaient été en réalité que pour influencer la politique intérieure et extérieure de la RDC dans un sens favorable aux intérêts de pays, groupes d’individus ou individus qui les avaient initiées. Alors que ces ONG agissaient auprès des institutions comme des véritables agents d’influence, les « accusés » étaient eux dans l’impossibilité de se faire entendre ou de voir examiner les nombreux griefs parfois inventés de toutes pièces dont certains fournis au Conseil de l’Europe après coup…
Griefs parfois inventés de toutes pièces
On a vu entretemps les amis d’Ouvry (qui avait été déclaré ‘persona non grata’ au Congo par le gouvernement sortant) sortir du bois pour « finir le travail ». L’un d’entre eux publia le plus officiellement du monde un tweet rageur contre le député national Lambert Mende Omalanga, ancien ministre-porte parole du gouvernement et un des 14 indexés par Ouvry et sa bande. Oubliant toute convenance, ce diplomate européen s’en prenait vertement à Mende qu’il jugeait « coupable » de « récidive » pour avoir osé … saisir en bonne et due forme la Cour constitutionnelle de son pays contre un arrêt du Conseil d’Etat validant la candidature d’un certain J.S. Mukumadi, un Français d’origine congolaise à l’élection du gouverneur du Sankuru, en violation flagrante de la constitution congolaise. Pour le diplomate, cette action en justice de Mende était purement et simplement considérée comme une nouvelle entrave au processus démocratique qui justifiait (à postériori !) les sanctions prises deux ans plus tôt contre lui. Ubuesque…
Deux poids, deux mesures
On sait que le Français Mukumadi avait finalement réussi à se faire élire à la tête de la province du Sankuru par une assemblée provinciale à très grande majorité FCC, damant le pion à Lambert Mende, candidat désigné par cette famille politique. Un cas-type de corruption avérée devant lequel les donneurs de leçons de bonne gouvernance outre-Atlantique ont gardé jusqu’à présent un silence assourdissant. « Ils voudraient tuer Patrice Lumumba en tournant en dérision sa province d’origine en y faisant élire à grand frais un semi-lettré européen chargé de faire disparaître à la base toutes les réminiscences de ce grand leader indépendantiste assassiné en 1961 qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement », s’est indigné ce notable de Lodja, la principale agglomération du Sankuru sous le sceau de l’anonymat. Il ne croyait pas si bien dire.
A peine élu et sans attendre l’investiture de son gouvernement dont il séchera du reste la séance de présentation du programme devant l’Assemblée provinciale, étape obligatoire pour l’investiture de tout gouvernement provincial, Mukumadi s’est lancé dans une féroce chasse à l’homme contre les membres de la Convention des Congolais Unis (CCU), parti lumumbiste de Lambert Mende : révocation arbitraire de tous les agents publics supposés proches du lumumbiste, arrestation des cadres de sa formation politique, confiscation sans cause des véhicules du président national de la CCU au port de Bena-Dibele sur fond d’une campagne médiatique d’incitation à la haine contre Mende lui-même dans une sorte de prolongation des joutes électorales qu’il venait pourtant de « gagner » sans conteste, son challenger ayant concédé sa défaite…
Mukumadi fera tant et si mal que même la majorité des députés qu’il avait circonvenue peu auparavant avec des fonds dont l’origine reste à élucider ont fini par lui adresser une mise en garde ferme, lui rappelant que la campagne électorale était terminée et qu’il fallait maintenant construire le développement de la province dans l’unité de tous. « Ce rappel à l’ordre des élus provinciaux indignés par ses agissements outranciers semble lui avoir fait craindre un vote-sanction à la présentation de son programme gouvernemental, ce qui l’aurait astreint à démissionner aux termes de la loi. C’est sans doute la raison pour laquelle il a décidé de snober l’assemblée et de faire appel à ses amis de la représentation de l’Union européenne et du ministère de l’Intérieur à Kinshasa pour le sortir de ce mauvais pas », selon un fonctionnaire du gouvernement provincial témoin de la fuite en avant du gouverneur.
Une forfaiture de la délégation de l’UE à Kinshasa
Sommé par les députés de tirer les conséquences de ce forfait en présentant sa démission faute d’avoir fait approuver son programme par l’Assemblée provinciale, Mukumadi a choisi de revenir précipitamment à Kinshasa battre le rappel de ses commanditaires.
Alors que le vice-premier ministre en charge de l’Intérieur, déjà en délicatesse avec le chef du gouvernement central pour ses interférences illégales dans le fonctionnement des institutions provinciales du Kongo central tentait de lui offrir une chance de rentrer dans la légalité en discutant avec les élus provinciaux, c’est avec une délégation d’experts… européens et de la Banque Mondiale que le gouverneur en rupture de ban s’est pointé pour une tournée d’initiation de projets de développement dans diverses contrées de la province comme pour amadouer des populations qui ne l’ont jamais vu avec des promesses mirobolantes pleines la mallette. « Cette une attitude très bizarre, presque mafieuse car méprisante des lois et règlements en vigueur en RDC par ceux-là même qui distribuent des sanctions à la pelle dans notre pays », se révolte un porte-parole de la Société civile force vives du Sankuru qui ne se souvient pas avoir vu cette province déshéritée recevoir autant d’attention de ces représentants de la communauté internationale.
Lumumba aux oubliettes chez lui
« Ces gens encouragent un individu qui n’a rempli aucun des fondamentaux de la constitution réservant l’accès à la fonction de gouverneur aux seuls nationaux et de la loi sur la libre administration des provinces qui contraint tout gouverneur à n’exercer ses fonctions qu’après avoir reçu l’investiture de l’Assemblée provinciale pour son gouvernement à vouloir s’imposer pratiquement par défi. Ils nous prennent pour des demeurés », ajoute notre interlocuteur. Tout se passe en effet comme si il fallait avoir ce semi-lettré qui s’est illustré en saluant, dans une école primaire, les élèves de « la cinquième cycle d’orientation » (sic !), les encourageant à bien étudier pour passer « en sixième primaire et mériter votre brevet » (resic !) simplement parce qu’il est Français et se serait engagé à effacer Lumumba dans sa province d’origine pour que la représentation de l’Union européenne qui est à Kinshasa depuis plusieurs décennies se rende compte qu’il y a là-bas des hommes et des femmes qui méritent son attention. Ces européens voudraient faire du Congo-Kinshasa une république bananière tropicale qu’ils ne s’y prendraient pas autrement…
Cyrilla Kotan
(Correspondance particulière)