Mercredi 30 octobre dernier, au cours de la séance solennelle de la rentrée judiciaire du Conseil d’État, le bâtonnier national, l’emblématique Maître Matadi Wamba, ne croyait pas si bien dire lorsqu’il redoutait le «bégaiement du droit» tel que dit par le Conseil d’État sur fond des «jurisprudences inconstantes». Le premier d’entre les avocats congolais se permettait ainsi une réflexion a posteriori sur l’opportunité de l’éclatement de la défunte «Cour Suprême de Justice» en trois ordres judiciaires distincts, à savoir la Cour Constitutionnelle, la Cour de Cassation et le Conseil d’État. En effet, avant l’implémentation de cette réforme constitutionnelle, il y avait au sein de la Cour Suprème de Justice une certaine unité de commandement qui maintenait les jurisprudences dans les limites de l’orthodoxie juridique et scientifique. Tout le contraire du dévoiement de la science juridique qui se pratique au grand jour au sein de ces anciennes chambres de la Cour Suprème de Justice, devenues autonomes depuis l’année dernière en application des prescrits de la Constitution du 16 février 2006.
Une réforme ratée ?
En une année d’existence, deux de ces ordres judiciaires semblent avoir causé presque plus d’atteintes au droit que la Cour Suprême de Justice pendant tout son cycle de vie… Le spectacle déplaisant offert à la République par la Cour Constitutionnelle lors des contentieux des résultats des dernières élections est un exemple éloquent de la plus grande profanation du droit positif au 21ème. Cependant, si la Cour Constitutionnelle s’est contentée de travestir les dispositions légales par rapport aux compétences lui dévolues par la Constitution, le Conseil d’État aura fait pire en outrepassant tout simplement ses attributions. Aussi a-t-on assisté à l’empiètement des plates-bandes de la Cour Constitutionnelle par le Conseil d’État qui s’était permis par exemple de s’inviter dans la foire à la corruption ouverte par les contentieux électoraux.
Une croisade en règle contre des figures de proue de la mouvance lumumbiste
À titre illustratif, il est de notoriété publique qu’en matière de contentieux des candidatures aux scrutins provinciaux, la loi électorale ne prévoit pas de double degré de juridiction, en ce que les cours d’Appel sont les seules à statuer en premier et en dernier ressort pour des raisons évidentes de célérité et d’efficience. Pourtant au cours du contentieux de candidature ayant opposé le lumumbiste Lambert Mende Omalanga, candidat FCC, au citoyen français Stephan Mukumadi, candidat CACH, le Conseil d’État s’était outrancièrement permis de contrevenir ostentatoirement à toutes les règles de droit en se saisissant de cette affaire. Alors que la Cour d’Appel du Sankuru, tablant sur des preuves irréfutables, avait ordonné l’arrestation du faussaire Mukumadi et l’annulation subséquente de sa candidature, le Conseil d’État a fait le contraire en ordonnant à la CENI d’aligner un sujet français à un scrutin électoral en terre congolaise. Les avis du Conseil Supérieur de la Magistrature s’offusquant de la témérité du Conseil d’État et les réticences de la CENI à exécuter un ordre manifestement illégal n’ont rien pu y faire. Au final, une bien curieuse jurisprudence est née qui veut que toute personne frappée d’inéligibilité aux termes de la loi puisse, du jour au lendemain, devenir éligible par fait de prince du Conseil d’État…
Mais Lambert Mende ne sera pas le seul lumumbiste de la circonscription électorale de Lodja dans la province du Sankuru à être «puni» par un Conseil d’État stipendié à souhait. Monsieur Djanga Konga Fofo Alphonse, l’un des meilleurs élus à l’élection provinciale dans la circonscription électorale de Lodja, a, lui aussi, été zigouillé par la plus haute juridiction administrative du pays. Son seul tort, croit-on savoir, c’est d’être lumumbiste du parti de feu Antoine Gizenga, le Parti Lumumbiste Unifié (PALU). Sinon, comment comprendre que lui qui, à lui tout seul, avait plus de voix à Lodja que tout le Rassemblement/Kasavubu réuni, ait pu être invalidé péremptoirement par le Conseil d’État au profit d’une candidate malheureuse catapultée pour le besoin de la cause ? Il n’y a pas deux sans trois, le cas d’un troisième lumumbiste, Didier Manzenga Mukanzu, tête d’affiche du PALU au Gouvernement de coalition dirigé par Sylvestre Ilunga Ilunkamba, est celui qui fait désormais couler beaucoup plus d’encre et de salive, à la suite d’une de ces ordonnances saugrenues dont le Conseil d’État semble détenir l’exclusivité; surtout lorsqu’il s’agit de s’inscrire dans la logique du pogrom politique contre des coqueluches lumumbistes. L’affaire ressemble à peu près à ceci : un ministre des Transports et Voies de Communication en remplace un autre. Il fait face à une avalanche d’accusations de corruption contre le Comité de gestion de l’OEBK mis en place par son prédécesseur. Les preuves de ces accusations sont tellement précises que le nouveau ministre se voit dans l’obligation d’arrêter l’hémorragie. Il prend, conformément à ses prérogatives, un arrêté de nomination d’un nouveau comité de gestion. Quoi de plus normal dans une démocratie! Seulement, il se trouve que la plupart des mandataires de l’équipe sortante nommée par l’ancien Vice-premier Ministre José Makila Sumanda sont originaires de la même province que le président du Conseil d’État, le mobutiste Vundwawe Te Pemako.
La prime aux voleurs
L’ordonnance incriminée du Conseil d’État est d’autant plus scandaleux que quelques jours plus tôt, le nouveau comité directeur de l’OEBK venait de se fendre d’une plainte au vitriol contre Francis Wombali Lengenase, ancien directeur général, résident au numéro 20 de l’avenue Bobozo, au quartier Salongo dans la commune de Limete. Cette plainte adressée au procureur général près la Cour d’Appel de Matadi en date du 18 novembre 2019 dévoile tout de la gestion scabreuse de cet établissement public par des fossoyeurs pendant les deux dernières années. Une véritable politique de terre brulée que l’ordonnance du Conseil d’État s’évertue maladroitement à protéger. L’on y apprend par exemple qu’en deux ans de gestion calamiteuse, l’ancien comité directeur a siphonné les caisses de l’Enterprise jusqu’à la faire endetter à hauteur de 977.968, 68 $ USD sans aucune trace d’un investissement quelconque auquel cette somme aurait été destinée. Le directeur général et le directeur des études du comité sortant ont en plus soustrait 4 véhicules de fonction dûment identifiés et dont les documents ont été falsifiés dans la foulée. Il en est de même de plusieurs marchés publics passés dans l’opacité la plus totale dont les détails sont fournis dans la plainte avec une sourcilleuse précision. À cela s’ajoutent d’autres dépenses non comptabilisées dont le coût s’élève à 120.000 USD. Que dire des effectifs pléthoriques et fictifs qui faisaient perdre à l’OEBK près de 150.000 USD par mois, et qui, selon toute vraisemblance, étaient tout simplement détournés par le comité directeur sortant. Vérification faite après enquête interne diligentée par l’Autorité de tutelle, près de 70 agents fictifs nommés à la représentation provinciale de Kinshasa qui n’a nullement besoin d’un tel effectif pour ses tâches administratives habiteraient pour la plupart à Gemena dans la Province du Sud-Ubangi. Le Congo n’a pas de chance comme diraient les plus pessimistes! De deux choses l’une. Soit le Conseil d’État cherche désespérément à protéger des détourneurs impénitents en faisant obstruction à la procédure enclenchée à la Cour d’Appel de Matadi où est situé le siège social de l’OEBK; soit la plus haute juridiction administrative du pays aimerait voir les actes de mégestion décriés se poursuivre jusqu’à la banqueroute totale de l’OEBK. L’opinion laissera-t-elle passer une telle imposture sous la dispensation de l’État de droit prôné par le président de la République Félix Antoine Tshisekedi ? Quoi qu’il en soit, on ne peut s’empêcher de constater que toutes les fois que le Conseil d’État décide, en âme et conscience, de fouler au pied l’administration de la justice, c’est souvent au dépens d’un lumumbiste idéalement positionné.
Des idéologies à la peau dure
On comprend alors toutes les accointances incestueuses qui justifient la dernière ordonnance suspendant les effets d’un arrêté dûment pris par un membre de l’exécutif. Pour cette fois, il s’agit ni plus ni moins d’un coup d’État institutionnel de très mauvais goût qui confine à une guerre des tranchées mal ficellée emmenée par des mobutistes nostalgiques contre les lumumbistes. Comme on peut s’en apercevoir sans forcément être psychanalyste, les arrêts chahutés du Conseil d’État contre les lumumbistes sont l’expression de la phobie politique de la pègre mobutiste déterminée à se venger des lumumbistes ou de ce qu’il en reste. Il s’agit d’un vieux duel remis au goût du jour à un moment de l’histoire où la République Démocratique du Congo a le plus besoin de se réconcilier avec elle-même. Quel gâchis !