Tous n’avaient pas été annoncés, mais on les a vu à la Basilique St Pierre de Rome, samedi 5 octobre 2019, lors de la création de 13 nouveaux cardinaux, dont l’archevêque de Kinshasa, Fridolin Ambongo. Le gouvernement, c’était connu, avait dépêché plusieurs de ses membres, conduits par le vice-premier ministre et ministre de la Justice et garde des sceaux, Tunda Ya Kasende. Le parlement était représenté par Jeanine Mabunda la speaker de la chambre basse à la tête d’une délégation d’élus nationaux comprenant aussi le premier vice-président du Sénat, Samy Badibanga. Même le pouvoir judiciaire s’est retrouvé dans les travées de la célèbre basilique romaine à travers le président du conseil d’Etat Vundwawe Te Pemako, qui n’a pas caché sa proximité avec l’heureux nominé. A la tête de tout ce beau monde, trônait le président de la République, Félix Tshisekedi qui a tenu à ne pas rater le rendez-vous du Vatican.
Tout le monde à la Basilique
Les acteurs politiques demeurés en dehors de la coalition au pouvoir depuis les élections de décembre dernier, qui sont partagés entre ceux qui prônent une opposition républicaine au pouvoir en place et les adeptes d’une opposition radicale ont également effectué le déplacement du Vatican : Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba, Martin Fayulu, Adolphe Muzito.
La ruée vers le Saint-Siège à l’occasion de l’élévation de Mgr Ambongo à la dignité cardinalice, samedi à 16 heures à Rome, a pu paraître à la fois encourageante et étonnante. Encourageante, dans la mesure où, ainsi que beaucoup de ces pèlerins politiques l’ont déclaré, tous les Congolais sans distinction de convictions politiques (et même religieuses) se sont unis pour saluer l’élévation d’un des leurs parmi 13 autres cardinaux choisis par le pape François à travers le monde. Mais elle était aussi étonnante car elle révélait l’incapacité des acteurs politiques du pays à convenir d’un modus vivendi acceptable par tous sans intervention étrangère.
Projets obscurs dans la messe papale
Il s’avère, avec le recul, qu’une partie de classe politique, en ce compris le nouveau primat des catholiques congolais, guettait impatiemment l’occasion de se remettre autour d’une table, même au Vatican. Elle leur aurait été offerte au cours de la réception organisée par le nouveau cardinal en l’honneur de l’impressionnante délégation de pèlerins politiques de son pays. « C’est le Congo en miniature que je vois dans cette salle », s’est extasié Fridolin Ambongo, qui en a profité pour rappeler qu’à son avis, le rôle de l’église consistait à « rassembler, créer la communion autour des valeurs. La religion doit aider une communauté à aller dans la bonne direction et non à se séparer. Je voudrais qu’au retour de ce voyage on ne perde pas de vue ce dynamisme qui se crée ici », a-t-il déclaré à ses hôtes, promettant d’approfondir la question le 17 novembre prochain à l’occasion de la messe de sa présentation au Stade des Martyrs de Kinshasa. Et c’est reparti de plus belle pour ce que d’aucuns présentent déjà comme un nouveau round de négociations politiques, sous l’égide du cardinal Ambongo.
Ambongo parlera le 17 novembre
Même s’il n’a pas expressément évoqué un dialogue politique qui serait en porte-à-faux par rapport à un Etat de droit régi par une constitution que personne ne conteste, l’homme ne dédaignerait nullement de se revoir au centre de l’initiative politique au Congo-Kinshasa. Lui qui avoue à la presse vaticane qu’il souhaite que la nouvelle dignité dont il a été revêtu par le Pape François lui permettra de porter sa parole «plus loin et plus fort encore».
L’archevêque de Kinshasa, que la modestie n’étouffe pas, a dit aussi être convaincu que le choix papal sur sa personne est une « reconnaissance (…) de mon engament personnel, en tant que pasteur». Mais c’est ici, précisément que le bât blesse. Le travail de l’épiscopat catholique est perçu par certains en RDC comme partisan, extrêmement clivant et donc dangereux pour la paix à plus d’un égard. C’est un engagement pour une partie du peuple, ainsi qu’en attestent les divisions profondes parmi les fidèles, catholiques ou non. Autant, du reste, que parmi les princes de l’église catholique elle-même divisés entre ceux de l’Est et ceux de l’Ouest, ainsi que l’on a eu à s’en rendre compte à la lumière des réactions cléricales à l’élection d’un président de la République originaire des provinces kasaiennes (Centre). Ce n’est plus un secret pour personne: l’élection contestée au départ par des évêques de l’Ouest a été chaleureusement saluée par leurs collègues des provinces kasaiennes.
Neutralité contestable
Réunir les acteurs politiques congolais autour d’une table requiert une certaine neutralité, qui fait de toute évidence défaut au cardinal congolais créé le 5 octobre dernier au Vatican. Autant qu’un engagement crédible sans équivoque dans la défense des intérêts nationaux face aux convoitises extérieures. Sur ce dernier point, le cardinal Ambongo et la plupart des princes de l’église catholique romaine congolaise ont plus d’une fois brillé par un silence jugé complice et complaisant au sujet de l’exploitation éhontée des ressources naturelles notamment minières du pays par les puissances occidentales et la cohorte de drames qu’elle charrie depuis la colonisation de triste mémoire.
Un dialogue politique, un de plus après les succès de celui de la CENCO fin 2016, sera perçu par beaucoup comme une vaste manœuvre politicienne de plus. D’autant que nombre de ses adeptes les plus passionnés sont loin d’être blancs comme neige. Et ne semblent pas disposés à le devenir.
Ainsi, au cours d’une interview à RFI, quelques heures avant sa création comme cardinal le week-end dernier, Fridolin Ambongo disait encore son soutien aux actions politiques de l’éphémère Comité Laïc de Coordination (CLC) qui projette des manifestations contre la corruption dans le cadre de l’affaire de 15 millions USD de rétrocession pétrolière en RDC. « Nous soutenons l’action du CLC parce qu’on ne peut pas construire un pays avec une corruption généralisée et érigée en système de gouvernement », a déclaré en substance l’archevêque kinois en faisant semblant d’oublier que le dossier a été, de l’aveu même du chef de l’Etat, confié aux instances judiciaires compétentes. «Cette sortie de Son Eminence qui sonne comme un encouragement à des privés à faire pression sur la justice n’est pas acceptable», déclare sobrement au Maximum un ecclésiaste de Kinshasa. Et de rappeler que le CLC avait été créé de toutes pièces par son prédécesseur, le cardinal Monsengwo, pour mettre en œuvre un projet politique diviseur et partisan tendant à soutenir un ou des candidats présidents de la République originaire de l’Ouest.
Agitations sociales télécommandées
Pour certains observateurs, le soutien de l’archevêché de Kinshasa aux actions programmées le 19 octobre prochain, juxtaposé aux mouvements de grève et d’obstruction d’enseignants catholiques à la gratuité de l’enseignement de base décidée par le président Félix Tshisekedi participent d’un scénario destiné à rendre crédible un nouveau dialogue. Et donc une renégociation de la victoire électorale de ce dernier à la faveur d’une nouvelle redistribution des cartes en faveur des protégés du nouveau cardinal comme son cousin Jean-Pierre Bemba du MLC. L’initiative a peu de chances de réussir faute de prise en compte d’un acteur déterminant de la scène politique nationale: le président de la République sortant, Joseph Kabila dont la majorité écrasante dans les deux chambres parlementaires ne compte pas pour du beurre et qui était absent samedi dernier à Rome.
J.N.