A Kinshasa, les difficultés de mobilisation des combattants et autres manifestants anonymes qui se recrutent essentiellement parmi les adolescents sont plus qu’évidentes. Faire stade comble, comme il y a quelques années tient désormais de la gageure et les acteurs politiques, qui évitent soigneusement les vastes enceintes et espaces de la capitale, en sont sans doute conscients.
Mais ces circonstances dictées aussi bien par la lassitude des masses qui font face à une véritable inflation de rassemblements populaires (qui n’ont vraiment plus de populaire que l’épithète, selon certains observateurs), que par les changements encore récents intervenus au sommet de l’Etat après les élections de décembre 2018 (ils inclinent à l’expectative plus qu’à l’action contre un pouvoir encore pro¬metteur), n’ont pas empêché la commémoration des victimes des manifestations politiques des 19, 20 et 21 septembre 2016. Lorsque des marches convoquées à l’initiative de l’ancienne opposition politique pour chahuter la modification du calendrier électoral se sont révélées suffisamment agressives pour provoquer morts d’hommes : 17 au total, dont 3 agents de police, selon le gouvernement ; une cinquantaine, selon l’opposition et des organisations de défense des droits de l’homme. Depuis septembre 2016, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, suffisamment pour désintégrer littéralement les rangs de l’opposition radicale réduite à peau de chagrin depuis que le leader de l’UDPS a remporté la présidentielle du 30 décembre 2018 et trône au sommet de l’Etat.
Nouvelle opposition
La commémoration des victimes des manifestations politiques de septembre 2016 s’en est lourdement ressentie à Kinshasa et sans doute à travers le pays, où une nouvelle opposition à la coalition FCC (Joseph Kabila) – CACH (Félix Tshisekedi-Vital Kamerhe) tente laborieusement de se mettre en chantier.
L’UDPS, le parti du nouveau président de la République qui avait supporté tout le fardeau des pertes en vies humaines déplorées il y a trois ans a dépouillé l’événement des contours politiciens et contestataires habituels, lui enlevant de ce fait tout le piquant que d’aucuns parmi les néo-opposants auraient voulu lui conférer.
A l’occasion d’une célébration eucharistique en mémoire de ses morts samedi 21 septembre 2019 en la paroisse St Dominique, non loin du siège du parti à Kinshasa/Limete, Augustin Kabuya, son secrétaire général, a carrément exhorté les politiques à la modération. « Nos amis qui font l’opposition doivent comprendre que quand il y a une perte en vie humaine, c’est une perte en vie humaine. Quand vous organisez des marches, c’est bien beau, mais quelle sera la place de toutes ces familles qui ont perdu les leurs ? » s’est-il interrogé.
Devant de nombreux cadres de l’ancienne fille aînée de l’opposition, le successeur de Jean-Marc Kabund (devenu 1er vice-président de l’Assemblée nationale) a exhorté les combattants … à la méditation. Et même plus.
Le parti de Félix Tshisekedi envisage l’instauration d’une date unique de commémoration des « martyrs du parti ». «Nous devons avoir la même attitude pour toutes les pertes en vies humaines durant notre combat. Nous n’allons pas nous focaliser autour d’un seul événement. L’UDPS a tout un registre de noms de ses membres morts dans la lutte », a encore expliqué le secrétaire général de l’UDPS.
Auto-commémoration
Pour sortir de ce ton modéré qui a prévalu le week-end dernier à Kinshasa, il fallait « traverser la rue », chez les néo-opposants. Ceux de Lamuka-Ouest, emmenés par le candidat malheureux à la présidentielle remportée par l’UDPS Félix Tshisekedi, ainsi que ceux qui se recrutent dans la nébuleuse de l’Eglise catholique romaine à Kinshasa. Ici, commémorer les victimes Udpsiennes (pour la plupart) c’est réactiver une survivance.
Dans une communication, samedi dernier à Kinshasa, le Comité Laïc de Coordination (CLC) estime que contrairement aux thèses de la coalition au pouvoir sur la question, l’alternance au sommet de l’Etat en RDC fut violente et a été obtenue «au prix du sang». Le CLC recommande donc de reconnaître les sacrifices consentis et d’honorer la mémoire de ces héros anonymes, entre autres.
L’Ecidé (Engagement pour la citoyenneté et le développe¬ment), le petit parti politique dirigé par Martin Fayulu au sein de la DO (Dynamique pour l’opposition), une plateforme récemment muée en regroupement pour revendiquer « sa» vérité des urnes, a tenu à rouler les mécaniques pour commémorer les victimes de ses anciens alliés devenus ses adversaires politiques depuis décembre dernier.
Jeudi 19 septembre, Fayulu a organisé une marche non autorisée (selon la police), avant l’office religieux célébré en paroisse St Joseph de Matonge. Dimanche 22 septembre, au cours d’un meeting à Makala, une commune périphérique qui compte parmi les plus mal loties de Kinshasa (au propre comme au figuré), le candidat malheureux à la présidentielle a donné un aperçu sa commémoration (usurpée, selon plusieurs membres de l’UDPS à Kinshasa) des victimes de septembre 2016 : un véritable fourre-tout en forme d’auto-commémoration.
Ainsi, Martin Fayulu a, sans surprise, réclamé « sa » victoire et critiquant son challenger à la présidentielle, appelé le procureur général près la cour de cassation à établir la vérité sur l’affaire des 15 millions USD, un dossier de détournement présumé de deniers publics qui écorche le cabinet du président de la République.
Le troisième anniversaire des manifestations de septembre 2016 aura été très diversement commémoré par les acteurs politiques à Kinshasa.
J.N.