Sa nomination en qualité de commissaire européen à la Justice faisait déjà polémique depuis plusieurs semaines en Belgique, notamment parce que le gouvernement fédéral démissionnaire dirigé par le néo-libéral Charles Michel, dont Louis Michel le père biologique n’est pas inconnu des Congolais, n’avait plus qu’une légitimité nominale. Mais rien n’y a fait. Voici une deuxième tuile sur la tête de Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères et de la Défense du Royaume de Belgique. Il est rattrapé, depuis le week-end dernier, par la justice de son pays. A la suite d’une dénonciation d’un ex-agent de la sûreté de l’Etat.
Le plénipotentiaire belge est depuis lors sous enquête pré-juridictionnelle (information judiciaire en droit belge) pour faits de corruption et blanchiment d’argent. L’ex agent de la sûreté belge fait état de marchés publics et d’achats aux frais du Trésor public dont la construction de la rutilante ambassade belge à Kinshasa, pour lesquels des pots-de-vin auraient été versés à l’ancien patron de la politique étrangère du Royaume. Mais pas seulement.
Des marchands d’armes et au moins un candidat à la dernière élection présidentielle de la RDC que Reynders considérait un peu comme son jardin, se seraient servis de lui à des fins de blanchiment d’argent à travers la vente à des prix surfacturés d’œuvres d’art et d’antiquités sans grande valeur, selon des confrères belges. L’enquête ouverte au parquet de Bruxelles permettra d’établir si oui ou non le dossier Reynders peut être transmis au juge.
Ainsi est rattrapé un acteur politique de l’ancienne métropole coloniale de la RDC qui a brillé à l’instar de son compatriote flamand Karel De Gucht par ses saillies récurrentes dans la politique interne de l’ancienne colonie. Comme si malgré soixante années d’indépendance, le Congo-Kinshasa demeurait toujours une propriété de la Belgique.
Dans la capitale congolaise, la désormais «affaire Reynders» ne surprend guère. Et quoiqu’en décidera la justice belge, connue pour sa particulière minutie en ce qui concerne les dossiers politiques, les frasques de cette figure emblématique des néo-libéraux au pouvoir dans l’ancienne métropole au cours de ces dernières années, ne pouvaient aboutir qu’à un pareil scandale. Jamais exécutif belge n’aura autant interféré dans les affaires et les magouilles que celui du tandem Michel – Reynders.
Révélations sans surprise
Les révélations de la barbouze belge autour des manœuvres autour de l’édifice de l’ambassade de Belgique à Kinshasa étaient déjà connues. Le joyau architectural qui a poussé au bord du boulevard du 30 juin refait par les Chinois, près du célèbre rond-point Mandela, est en effet l’objet de vives controverses.
Son inauguration, le 27 novembre 2017, est intervenue alors que les rapports entre Kinshasa et Bruxelles étaient des plus exécrables. En raison des sanctions imposées à une brochette de personnalités politiques proches de l’ancien président Joseph Kabila par l’Union Européenne à l’instigation des néo-libéraux au pouvoir en Belgique. Prétexte évoqué : «entraves au processus électoral » … rd congolais ! Un processus qui a abouti à l’élection, fin décembre dernier, du nouveau président de la République Félix Tshisekedi, reçu avec tous les honneurs à Bruxelles il y a quelques heures.
Pour marquer l’importance accordée à la nouvelle chancellerie belge à Kinshasa, qui abrite également les services des ambassades du Luxembourg et des Pays-Bas, Reynders en personne avait effectué le déplacement de la capitale rd congolaise. Sans pour autant réussir à redorer son blason terni par les présomptions de manœuvres frauduleuses d’attribution du marché de construction de l’immeuble de 4 étages.
Parce que dès le départ, le projet de la nouvelle chancellerie, dont les travaux furent lancés le 26 août 2014 avec la pose de la première pierre par le sémillant Armand de Decker, ministre d’Etat et ancien président du Sénat belge, avait fait l’objet de plusieurs critiques en Belgique même. Où des voix s’étaient aussitôt élevées pour déplorer «une ambition nostalgique et anachronique ».
Nombre de décideurs belges ne trouvant aucune importance à sacrifier autant d’argent du contribuable à « une histoire dépassée ou appelée à l’être ». Un porte-parole de la NVA, actuel parti politique dominant en Belgique, n’a pas hésité à critiquer ce projet pharaonique voté en 2012, lorsque cette formation politique était encore dans l’opposition, et à le qualifier de « beaucoup trop grand et trop prestigieux au regard des relations bilatérales actuelles».
Marché pré-attribué
Mais c’était sans compter avec la détermination des mercantilistes caciques du parti néo-libéral belge. Les travaux du projet soutenu par … Didier Reynders en personne, et son conseiller politique, Jean-Claude Fontenoy, furent ainsi dénoncés comme empreints de magouilles. La procédure d’attribution du marché avait été fortement chahutée dès qu’il apparut qu’il avait été remporté par l’entreprise de construction de Johan Willemain, une « connaissance » de Jean-Claude Fontenoy, au terme d’une double procédure, ont rapporté des sources du Maximum à Bruxelles.
Dans la première procédure d’attribution du marché, l’entreprise était en concurrence avec la société Besix, réputée pour son expérience et sa longue tradition des travaux de construction en Afrique. «Besix avait déposée plainte pour avoir été injustement écartée du projet », confirment nos sources. Le Conseil d’Etat belge annula la procédure pour rétablir Besix dans ses droits. Une seconde adjudcation sera alors lancée qui attribuera de nouveau le marché à Johan Willemain, malgré des rumeurs persistances selon lesquelles les choses auraient été «convenues à l’avance», longtemps avant la publication des offres.
A Bruxelles, il est en effet établi que Jean-Claude Fontenoy, le conseiller de Reynders, et Willemain, un entrepreneur mal famé à en juger par la presse belge au moment des faits, sont de vieilles relations. Une vidéo diffusée avait contraint Bart De Wever, patron de la NVA et bourgmestre d’Anvers, à recadrer l’affaire devant la presse pour ne pas éclabousser outre mesure le plus grand parti de la coalition au pouvoir à Bruxelles. Il rapportait une réception donnée à Anvers à l’occasion de l’anniversaire d’Eric Van Der Paal, un partenaire de Johan Willemain, à laquelle avaient pris part, outre tous les membres du Collège des échevins de la ville d’Anvers, le constructeur Johan Willemain et son ami Jean-Claude Fontenoy. Or, Eric Van Der Paal et Johan Willemain sont connus pour avoir bénéficié de permis de construction très controversés dans la célèbre ville portuaire belge.
Constructeur controversé
Une semaine plus tôt, le constructeur de la nouvelle ambassade de Belgique, Johan Willemain, avait été cité dans un reportage de la télévision flamande VRT à propos d’autres procédures contestées relatives à la construction d’un casino à Middelkerke sur la côte belge.
Le reportage de VRT présentait Willemain réfutant d’abord les allégations de relations entre ces partenaires dans le projet de construction du casino et des membres du collège des échevins de la ville, puis passant aux aveux assez piteusement aussitôt que le journaliste en avait brandi les preuves. Les milieux affairistes qui tournent autour des néo-libéraux au pouvoir en Belgique sont donc tout sauf « sains ». En RDC, ils ne peuvent représenter qu’une Belgique plutôt magouilleuse, intrusive et politicailleuse à l’excès.
Les révélations du flic belge font également état de l’implication dans ce mic-mac d’un candidat à l’élection présidentielle rd congolaise de l’année dernière. A Kinshasa, ces révélations ne surprennent pas, tant le parti-pris des néo-libéraux au pouvoir en Belgique en faveur de certains opposants au pouvoir de Joseph Kabila fut à la fois flagrant et lourd.
Bruxelles s’est en effet avéré tout au long de la dizaine d’années du mandat de Reynders aux Affaires étrangères, la capitale de toutes les conspirations contre Kinshasa.
Ingérences politiques à Kinshasa
Ce n’est pas un fait du hasard si, quelques mois avant l’inauguration de l’ambassade belge en RDC en juin 2016 Bruxelles chaperonnait la formation d’une nouvelle structure faîtière de l’opposition au pouvoir en place à Kinshasa, le Rassemblement des forces politiques et sociales (RASSOP). Elle était dirigée par l’ex-gouverneur de la défunte riche province minière du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe, déjà candidat des néo-libéraux belges à la candidature à la présidentielle dans son pays.
C’est donc vers cet ancien homme fort du Katanga recalé par la centrale électorale et la justice pour nationalité douteuse que se tournent les regards lorsqu’on parle de prévarications en complicité avec Reynders. Mais il n’est pas seul.
L’ex-roi du Katanga n’a pas été l’unique pion de Bruxelles à la présidentielle rd congolaise, loin s’en faut. Vendredi 8 juin 2018, à 6 mois des scrutins, la Cour Pénale Internationale de la Haye (CPI) dans laquelle siégeait un juge belge avait créé la sensation en acquittant miraculeusement au second degré l’ex chef de guerre Jean-Pierre Bemba des crimes contre l’humanité dont il avait été condamné en première instance en 2016 à 18 ans de prison et qui venaient de lui valoir dix ans d’embastillement préventif.
Trois des 5 juges de la chambre d’appel, Christine Van den Wyngaert (juge présidente), Eboe Osuji, et Howard Morrisson, estimant que l’accusé ne pouvait être tenu pénalement responsable des crimes commis par les troupes du MLC au sens de l’article 28 du Statut de Rome.
Retourné en RDC quelques mois plus tard, l’heureux bénéficiaire de la surprenante clémence de la CPI annonçait sa candidature à la présidentielle. En vain car condamné définitivement pour subornation de témoins, il sera aussi retoqué.
De même que l’ex-PALU Adolphe Muzito que d’aucuns ici soupçonnent de figurer parmi les candidats à la présidentielle rd congolaise mis sur orbite par les néo-libéraux belges.
Katumbi, Bemba, Muzito
Recalé à son tour pour conflit d’intérêts avec son parti le PALU, Muzito a révélé en septembre 2018, trois mois avant les élections en RDC, un vaste complot visant à compromettre la tenue des scrutins. Il s’agissait de frapper durement Kinshasa à travers l’expulsion sauvage de centaines de milliers de ses ressortissants résidant en Angola pour susciter des remous sociaux suffisamment déstabilisateurs. En même temps que s’accentuaient les pressions de certains Etats voisins prétextant des soucis ‘‘sécuritaires’’ à leurs frontières si les scrutins, principalement la présidentielle, devaient se tenir sans lui et ses deux compères.
L’opération aurait été mise sur pied début septembre 2018 lors de rencontres secrètes entre Didier Reynders avec les trois invalidés à la présidentielle 2018. Les 10 et 11 septembre 2018, Reynders se lançait dans une nouvelle tentative de torpillage du processus électoral congolais avec le soutien du voisin angolais, en plaidant pour une nouvelle période de transition avant tout scrutin. Acculé par la presse belge après ces rencontres, Muzito avait dévoilé un pan du complot en déclarant que «ce qui compte, c’est que nous puissions adopter un programme commun, que votre ministre des affaires étrangères évoquera ensuite lors de son prochain voyage en Angola et à Brazzaville ». Il s’agissait d’un plan de boycott des élections à la faveur d’un chaos généralisé. Pas d’un projet de gouvernance. Les manifestations publiques contre la machine à voter et les expulsions massives et sauvages des Congolais d’Angola ont fait partie de ce plan machiavélique dans lequel l’inénarrable Didier Reynders était mêlé jusqu’au cou.
J.N.