Toutes les enquêtes convergent sur le «Comité de suivi des prix des produits pétroliers» dont les mandataires auteurs des transferts demeurent étonnamment libres comme le vent. Plus de doute : des fonds publics ont bel et bien été siphonnés du compte n° 01001426101-52 intitulé «comité de suivi des prix des produits pétroliers», en cinq tranches, selon la méthode généralement adoptée par ceux qui cherchent à ne pas attirer l’attention. L’argent, on le sait, n’aime pas le bruit.
Célestin Twite Yamwembo et Georges Yamba Ngoie, respectivement secrétaire général et conseiller chargé des questions financières du ministère de l’Economie nationale, dont l’intérim a été confié successivement à Modeste Bahati Lukwebo puis à Henri Yav Mulang, ont ponctionné le pactole avec une régularité d’horloger : 4.000.000 USD ont été retirés le 27 mai 2019 ; puis 5.000.000, le 31 mai ; 1.500.000, le 2 juin; 500.000 USD le 4 juin ; puis finalement, 3.000.000 USD le 6 juin 2019.
L’affaire dite des 15 millions USD fait grand bruit depuis plusieurs semaines et va de rebondissement en rebondissement sans que nul ne parvienne à en clarifier de manière intelligible la destination finale. Force est donc de s’en retourner vers les protagonistes de ce qui défraie la chronique comme une opération de détournement de deniers publics selon l’Inspection Générale des Finances (IGF) dont les limiers mettent notamment en cause l’UNC Vital Kamerhe directeur de cabinet du président de la République et le PPRD Henri Yav Mulang, ministre sortant des Finances qui a assuré le dernier intérim du ministère de l’Economie.
La lettre de Kamerhe
Le 10 mai 2019, le directeur du cabinet présidentiel demande par sa lettre n° 957/05/2019 le virement du montant représentant la décote sur les prix des produits pétroliers en 2017 au compte n° 01061555601- 27 du comité de gestion du programme des 100 jours du président de la République qu’il a fait ouvrir à la Raw Bank.
Manifestement, l’initiative déplaît au ministre des Finances et ministre a.i. de l’économie. Le 16 mai 2019, Henri Yav Mulang qui assure l’intérim de l’UDPS/Tshibala Joseph Kapika, élu député national après un intermède de l’AFDC/A Modeste Bahati devenu sénateur. L’argentier national instruit la banque centrale du Congo (BCC) de virer la somme de 15 millions USD correspondant à la décote non pas sur le compte désigné par Vital Kamerhe mais, plus logiquement, sur celui du « comité de suivi des prix des produits pétroliers », dont il est lui-même devenu le président ad intérim. C’est ce qui est fait.
Le 22 mai 2019, la BCC vire la somme de 12.611.249 USD au compte du comité de suivi des prix des produits pétroliers. 5 jours plus tard, le 27 mai, la ponction est lancée, qui fait entrer en scène le secrétaire général et le conseiller en charge des questions financières à l’Economie nationale.
A ce stade déjà, il y a anguille sous roche, quoique s’en défende le directeur du cabinet du chef de l’Etat. Certes, rien ne prouve qu’il ait touché au pactole pétrolier, mais Vital Kamerhe a, selon ses détracteurs, signé l’intention de s’en accaparer la gestion.
Fort de son expérience de ministre des Finances et de sa maîtrise des textes légaux en la matière, Henri Yav Mulang l’en a dissuadé. Ou, selon des sources proches du dossier interrogées par Le Maximum au ministère des Finances, l’ancien grand argentier aura en fait aidé les nouveaux maîtres des lieux à opérer dans les formes requises.
De l’argent sale
A ce stade également, il y a lieu de relever que les 15 millions USD (ou 12 millions et demi, c’est selon), qui représentent 15 % des 100.000 millions USD dus par l’Etat aux compagnies pétrolières ne sont rien moins que de l’argent sale, au sujet duquel le nouveau gouvernement, qui fait de la lutte anti-corruption son cheval de bataille, aurait tout à gagner à se prononcer de manière explicite. Il n’en a rien été jusqu’à ce jour, bien au contraire. « Kamhere a sauté dessus comme au bon vieux temps de la deuxième République», commente notre source au ministère des Finances.
Parce que le manque à gagner dû par l’Etat aux sociétés pétrolières, c’est déjà une arnaque qui requiert d’être tirée au clair depuis l’aube de l’indépendance de la RD Congo en 1960 : personne n’y a jamais vu clair, et on aurait espéré que le chef de l’Etat s’impliquerait pour faire éclater la baudruche au grand jour.
Dans le secteur de l’exploitation du brut pétrolier ou la distribution des produits finis, l’Etat congolais n’a jamais été autre chose qu’un « sleeping partner » toujours saigné à blanc, sans doute de connivence avec quelques décideurs ainsi que le signalait un expert dans nos colonnes, mardi 10 septembre 2019.
Contrats et conventions mal ficelés au détriment de l’Etat, distribution de combustibles au seul gré des entreprises commerciales … on s’en souvient encore, il y a une année jour pour jour, les pétroliers distributeurs s’étaient fendus d’une fausse alerte à la carence des produits pétroliers … Dans le dossier qui fait polémique, les pétroliers distributeurs ont perçu leurs dûs délestés des 15 % de décote selon la ventilation ci-après, parvenue au Maximum : ENGEN DRC (29.905.080 USD), COBIL SA (22.930.088 USD), TOTAL (18.842.216 USD), SOCIR, 8.777.679 USD), GNPP (2.441.257 USD), SPSA COBIL (1.179.340 USD) et SEP-CONGO (15.924.296 USD).
Enquêtes indispensables
Tous les experts contactés par nos rédactions estiment qu’une enquête en bonne et due forme de l’Inspection Générale des Finances (IGF) devait encore certifier le fameux manque à gagner réclamé par les sociétés pétrolières de distribution au Trésor public, établir la répartition entre les sociétés pétrolières précitées du montant de 100 millions USD payés par le Trésor pour compenser ce manque à gagner ainsi que la décote de 15% appliqué sur ce montant et, enfin, établir le bien-fondé des sommes réclamées avant que le gouvernement ne procède, le cas échéant, à la récupération de tout paiement indu, notamment au regard des chiffres d’affaires déclarées par ces entreprises ainsi qu’aux charges déduites de leurs bénéfices imposables.
Par son empressement à court-circuiter ces étapes, le chef du cabinet présidentiel prête le flanc à ceux qui l’accusent, à tort ou à raison, d’avoir choisi de tremper dans les eaux visqueuses des produits pétroliers plutôt que de chercher à les assainir préalablement.
Siphoneurs protégés
L’étonnante protection du secrétaire général à l’Economie nationale Célestin Twite Yamwembo et du conseiller Georges Yamba Ngoie, gestionnaires du compte du comité de suivi des prix des produits pétroliers, donne par ailleurs à croire que la destination des sommes retirées par eux de ce compte était bien connue en haut lieu. Interrogé sur la question, Henri Yav Mulang, le ministre a.i. de l’économie, s’est retranché derrière le silence et refuse de s’exprimer sur le fond de l’affaire, rapportent nos confrères de RFI. « J’ai fait mon rapport et l’ai transmis à qui de droit, aux autorités », s’est-il contenté de rétorquer. L’ancien conseiller financier n’en démords pas alors que, pressé de questions sur le sujet par Jeune Afrique, Vital Kamerhe lui refilait la patate chaude en sa qualité de ministre ad intérim de l’Economie : « le ministre de l’Economie qui a autorité sur le comité de suivi des prix des produits pétroliers pourra vous l’expliquer », assure-t-il. Bien malin qui saura se retrouver dans pareil imbroglio…
Selon la même source, la RawBank, qui dispose également de soubassements sur les fonds décaissés, s’est refusée à les fournir aux enquêteurs de l’IGF, pour la bonne raison que cela mettrait en cause des tiers, au nom du sacro-saint principe du secret bancaire.
Même l’enquête judiciaire entreprise par le parquet général près la Cour de cassation à la demande de l’IGF semble traîner les pas, à en croire le reportage consacré par RFI à cette affaire dans ses éditions du 12 septembre. Seulement trois personnes ont été interrogées, dont Georges Yamba Ngoie, entendu le 9 août 2019. Une perquisition domiciliaire aurait même été effectuée à la résidence du conseiller en charge des questions financières au cabinet de l’ancien ministre de l’économie, dont les conclusions ne sont pas connues à ce stade des investigations pré-juridictionnelles qui, comme on le sait, sont par principe secrètes.
Impossible donc pour l’instant de sortir de cette auberge littéralement hantée par Vital Kamerhe, Henri Yav Mulang, Georges Yamba Ngoie et Célestin Twite Yamwembo dans l’affaire des 15 millions USD volatilisés.
J.N