Au Congo-Kinshasa, il ne passe pas un jour sans qu’un mouvement dit citoyen ne se prononce bruyamment contre le pouvoir établi. Qu’il accuse de tous les péchés d’Israël sans en avancer la moindre démonstration. Dans le microcosme politique de la capitale de cet immense pays en proie aux convoitises de la haute finance internationale depuis l’aube des indépendances dans les années ’60, accuser ceux qui détiennent l’imperium de tout et de rien tant qu’on n’y participe pas soi-même est chose courante. « Critiquer permet de se positionner parmi les potentiels gouvernants du pays », note cet observateur de ce qu’on qualifie non sans raison d’arène politique congolaise.
Critiquer, accuser, dénoncer est devenu une façon comme une autre d’exister depuis l’ère de la lutte contre la dictature mobutiste. La mode s’est poursuivie sous Kabila père et fils. Mais tant va la cruche à l’eau qu’elle finit par se briser. En une trentaine d’années d’opposition politique rituelle, presque tous les acteurs politiques de l’opposition qui avaient quelque chose à reprocher au pouvoir en place ont atterri dans des cabinets ministériels, dans des administrations provinciales ou des conseils d’administration d’entreprises d’Etat. Et les populations roulées dans la farine ont fini par ne plus accorder beaucoup de crédit aux rodomontades de ces ‘‘professionnels’’ de la politique qui deviennent muets aussitôt qu’ils sont aux affaires.
Produits de la décennie 2010
La décennie 2010 – 2020 voit ainsi naître une nouvelle race d’opposants : il s’agit des mouvements dits citoyens, ainsi surnommés pour marquer le fait que leurs revendications seraient exclusivement motivées par des préoccupations apolitiques. En réalité, ces types de mouvements prennent leur source dans les fameux printemps arabes qui ont vu des contestations de grande ampleur animées par des jeunes déraciner des dictatures notamment en Tunisie, en Lybie et en Egypte. En Afrique subsaharienne, le Sénégal, mais surtout le Burkina Faso ont littéralement basculé sous la bourrasque des mouvements Y en marre et Balai Citoyen. Au Faso, Blaise Compaoré, au pouvoir pendant 27 ans a été défenestré par une série d’émeutes auxquelles les mouvements dits citoyens avaient pris une part plus qu’active début novembre 2014. Et l’affaire fait des émules.
En RDC, deux mouvements citoyens, La Lucha et Filimbi caricatures du modèle ouest-africain comptent parmi les plus actifs sur le front … politique, un front d’opposition anti-pouvoir en place, que l’on surnomme pompeusement front citoyen. Avec de nombreux autres mouvements du même acabit, les nouveaux mouvements qui flirtent gaiement avec les acteurs de toute opposition affichent une citoyenneté civile pour le moins contestable car excessivement politisée. Ils sont montés au créneau il y a quelques années pour anticiper sur l’avenir politique de Joseph Kabila, alors chef d’Etat démocratiquement élu qu’ils soupçonnaient de vouloir tripatouiller la constitution pour prolonger son bail à la tête du pays.
Sur base de ces soupçons qui se révéleront infondés, ils ont mis le pays sens dessus dessous usant de tous les stratagèmes pour empêcher le président de gouverner, donc de consommer le mandat démocratiquement acquis. Sur le coup, l’opinion ne s’était pas rendue compte de la supercherie de ces nouveaux mouvements qui n’ont de citoyen que la dénomination.
Mouvements citoyens = mouvements opposants
A l’approche des élections générales de fin 2018, le nombre de ces mouvements s’est accru à une vitesse exponentielle. Caractéristique essentielle : Ils sont aussi anti-gouvernementaux si non plus qu’avant. En effet, tous les mouvements citoyens connus à ce jour sont proches de l’opposition la plus radicale, voire nihiliste et prônent un changement d’autant plus paradoxale qu’il est recherché après la victoire du candidat de l’opposition radicale à la présidentielle du 30 décembre dernier. Après le silence qui a suivi la proclamation des résultats de la présidentielle du côté des mouvements citoyens, ces derniers donnent de la voix depuis qu’il est question de la formation de la première équipe gouvernementale de l’ère Fatshi. Pas pour critiquer le pouvoir en place, mais bien pour revendiquer leur ’’part du gâteau’’. Pinces sans rires et toute honte bue pour des nébuleuses qui ont abusé de l’opinion publique en prétendant se désintéresser de la politique politicienne.
Ils veulent leur part du gâteau
Lundi 5 août 2019, un certain Honoré Mvula, connu pour son activisme politique anti Kabila sur les réseaux sociaux au nom de prétendues valeurs citoyennes, a crevé l’abcès. Dans une déclaration abondamment diffusée dans les médias, il ordonne aux négociateurs FCC-CACH d’insérer les mouvements citoyens et associations des jeunes dans la fourchette de répartition des portefeuilles au sein du prochain gouvernement. Et demande, carrément, au premier ministre de « reconnaître l’apport de la jeunesse en général, et particulièrement celui des mouvements citoyens dans la consolidation de la paix, de l’unité nationale et de la conservation des acquis de la jeune démocratie congolaise au travers l’alternance démocratique et pacifique intervenue au sommet de l’Etat ». Mvula n’est pas le seul, parce que la plupart des partis politiques se sont dotés d’une pléiade de mouvements citoyens. Même l’église catholique a créé son Comité Laïc de Coordination (CLC), une nébuleuse relevant de l’archidiocèse de Kinshasa qui n’a pas pu dissimuler longtemps son hostilité au nouveau pouvoir sous les soutanes des prélats. Et de battre le pavé en faveur d’un candidat président de la République issu des rangs de l’opposition que les calottes sacrées ont proclamé vainqueur de la présidentielle pourtant remportée par un autre opposant. En RDC comme en Afrique de l’Ouest, les mouvements citoyens ne sont citoyens, loin s’en faut.
J.N.