Des années de lutte pour la démocratie et l’Etat de droit et de confusion dans les esprits autour de la gestion du pouvoir, n’importe quel pouvoir, au sommet de l’Etat ou au sein d’un parti politique, ont fini par semer la zizanie au sein de l’ancien parti phare de l’opposition en RDC. Cela s’est passé le 8 mai 2019 à Kinshasa, lorsqu’une bagarre rangée entre clans rivaux qui a fait de nombreux blessés a éclaté à la résidence du patriarche défunt de l’UDPS, Etienne Tshisekedi, sur avenue Zinnias à Limete. Sacrilège, se sont écriés ceux qui dans l’opinion faisaient foi en la non-violence prônée par les ténors de ce parti politique né sous la dictature mobutiste dans les années ’80. La rixe de l’avenue Zinnias était révélatrice, notamment, de l’intolérance politique caractéristique du parti tshisekediste qui se retournait contre lui-même faute de boucs-émissaires au sommet de l’Etat depuis que le chef du parti trône à la présidence de la République.
En trente ou quarante années (c’est selon) d’une lutte acharnée pour la conquête du pouvoir d’Etat, opportunément qualifiée de lutte pour la démocratie, les combattants de l’UDPS/T, à l’instar de ceux de tous les partis politiques qui se sont réclamés de l’opposition en RDC, se sont laissés persuader qu’ils étaient les véritables détenteurs du pouvoir : « le pouvoir au peuple», «le peuple d’abord» leur a-t-on inculqué à longueur d’années dans le cadre d’opérations de lavage de cerveau qui appelaient en réalité à une sorte de non-pouvoir. Et donc, d’anarchie. Il fallait «démystifier le pouvoir», proclamait volontiers le lider maximo Etienne Tshisekedi wa Mulumba, alors opposant au Maréchal Mobutu et aux Kabila, père et fils, décédé en février 2017 et dont le fils, devenu président, prépare le rapatriement en pompe de la dépouille.
Produits de lavage de cerveaux
Le 8 mai dernier, des hordes de combattants de l’UDPS/T ont administré à une opinion médusée le degré d’assimilation de ces ‘‘leçons de démocratie’’ lorsqu’un groupe entreprit d’introniser un triumvirat tel que prévu par les statuts du parti pour assumer l’intérim du président empêché, tandis que d’autres, forts de leurs droits légitimes et sans doute tout aussi démocratiques, s’y opposaient résolument. Les préceptes intériorisés du pouvoir au peuple, ne laissant nulle place au débat ou à la négociation, ce qui devait arriver arriva : une bagarre généralisée. Naturellement, cela n’a rien réglé au problème du remplacement à la tête du parti de Félix Tshisekedi, le président national de l’UDPS formellement élu à 98 % de voix au terme d’un congrès organisé (quoique contesté par certains) fin mars 2018. S’interroger, questionner … ne sont pas inscrits dans les gênes de ces combattants-là, comme dans ceux de bien d’autres en RDC. Peu se sont demandés s’il fallait vraiment remplacer Fatshi, ni quel était le point de vue de l’intéressé lui-même sur la question, sans doute au nom du fameux principe du « peuple d’abord ».
Levée de boucliers
A l’UDPS/T, la levée de boucliers prend sa source avec la nomination, le 22 janvier 2019, du secrétaire général du parti, Jean-Marc Kabund, en qualité de président ad intérim. En seulement deux ans, cet activiste de l’UDPS/T à Lubumbashi, inconnu jusqu’à sa nomination aux fonctions de secrétaire général par Tshisekedi père en remplacement de Bruno Mavungu au mois d’août 2016, n’a pas arrangé tout le monde. Des voix se sont élevées pour contester cette ascension fulgurante d’un cadre du parti encore aux études (de droit) à l’Université de Libre de Kinshasa (ULK). Autant que le droit du président du parti, Félix Tshisekedi donc, de se désigner un intérimaire pour combler le vide créé par son élection à la présidence de la République.
A l’appui de ces revendications, l’article 26 des statuts de l’UDPS, qui stipule qu’en cas « d’empêchement » (certains parlent « d’empêchement définitif ») du président du parti, un triumvirat composé du président de la Convention Démocratique, du président de la Commission électorale du parti et du secrétaire général assure l’intérim durant 30 jours, le temps de convoquer le congrès qui élit le nouveau président. Un nouveau président à la tête de l’UDPS/T un an seulement après l’élection de Félix Tshisekedi par le congrès ? L’idée ne semble nullement effleurer la pensée du président de la République lorsqu’il nomme un intérimaire à la tête de son parti, en janvier dernier. Probablement parce qu’il ne se voyait pas en situation « d’empêchement définitif ». C’est cette vision que semble partager Jean-Marc Kabund, président intérimaire de l’UDPS qui a à son tour nommé, samedi 18 mai 2019, Augustin Kabuya en qualité de secrétaire général du parti. De l’huile sur un chaudron qui fait sortir les « triumviristes » du bois, le couteau entre les dents, ramenant le conflit successoral udpsien aux dimensions apocalyptiques qu’on avait vues peu après le décès d’Etienne Tshisekedi.
Des élus nationaux qui grognent
La contestation des décisions de Kabund, ainsi que de ses bénéficiaires ne sont plus la seule affaire de Jacquemin Shabani (président de la commission électorale), Victor Wakwenda (président de la convention démocratique), et quelques combattants partisans. Quelques élus du parti tshisekediste ne jurent plus, eux aussi, que par le respect des textes régissant le parti … selon la compréhension qu’ils s’en font. Le risque de voir la première force de la plateforme CACH délestée de ses élus, comme il y a quelques années lorsque Tshisekedi-père décidait de leur exclusion pure et simple, semble réel. Au cours d’une audience, le 21 mai à la Cité de l’UA, les députés nationaux UDPS ont clairement déclaré devant Fatshi que c’était l’application des textes qui régissent le parti ou rien, rapportent des sources dans la délégation qui avait sollicité cette entrevue. Bis repetita, mercredi 22 mai au Palais du Peuple, où ils ont publié une déclaration dénonçant la nomination d’Augustin Kabuya aux fonctions de secrétaire général du parti par Jean-Marc Kabund, leur collègue premier vice-président de l’Assemblée nationale à qui ils reprochent d’«accaparer la gestion de l’UDPS ». Ce n’était pas la première intervention du président de la République dans cette affaire qui mine son parti politique. Dimanche 12 mai dernier, après de vaines discussions et des tentatives de rapprochement des deux tendances qui se déchirent à l’UDPS, l’arbitrage de Fatshi avait déjà été sollicité. En vain.
Succession Tshitshi : retour à la case départ
Probablement parce que derrière ce dossier des nominations Kabund se dissimule en réalité, celui plus important de la succession du Sphinx de Limete en personne, moyennant corrections de ce que d’aucuns ici considèrent comme des erreurs politiques qui ont affaibli l’ancienne «fille aînée de l’opposition ». La convocation d’un congrès du parti aux fins d’une nouvelle élection au sommet un an après celui qui portait l’actuel chef de l’Etat aux commandes de l’UDPS/T, c’est une sorte de recul … pour mieux sauter, selon certains. C’est le point de vue de Corneille Mulumba, par exemple, lorsqu’il suggère que le directoire à mettre sur pieds s’attèle prioritairement à «battre le rappel des troupes de l’UDPS, toutes tendances confondues. Appel à l’unité, à la solidarité, à la mobilisation générales », et mette sur pied « … une équipe costaude de cerveaux de l’UDPS (experts, sages, stratèges …) à même de soutenir et d’encadrer le président Félix». Sage recommandation qui, cependant, n’est pas suffisamment rassurante quant à l’avenir du président de la République à la tête de son parti. « Nos statuts disent que lorsque le président est empêché définitivement, ce triumvirat peut diriger le parti. Mais dans le cas d’espèce, le président Félix Tshisekedi estime qu’il n’est pas empêché définitivement puisqu’il assume les fonctions de magistrat suprême pendant 5 ans à la tête du pays et il peut rentrer au parti à l’échéance », révèle Eteni Longondo, un des adjoints de Kabuya, à la presse.
J.N.