Le tollé soulevé par les élections sénatoriales qui se sont déroulées en RD Congo le 15 mars 2019 est loin de s’estomper. De même que l’indignation qu’elles ont suscitée dans certaines circonscriptions électorales du pays. Malgré le caractère jugé cavalier par d’aucuns de la décision du président de la République, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, dont le parti politique UDPS s’est senti particulièrement floué, de suspendre l’installation de la chambre haute du parlement et de renvoyer sine die l’autre élection des gouverneurs des provinces. Légalement, en effet, le chef de l’Etat est à l’étroit, limité par le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs et les lois en vigueur qui ne lui permettent pas d’interférer d’initiative dans les scrutins électoraux, en lieu et place de la CENI, une institution d’appui à la démocratie indépendante par essence et des cours et tribunaux.
Il reste que ce que la proclamation des résultats issus des votes des élus provinciaux a révélé de véritablement scandaleux et que l’on justifie par la corruption des votants par les élus ne peut être ignoré.
Pour rappel, il y a eu plus de 800 candidats pour une centaine de sièges à pourvoir au sein de la chambre dite « haute » du parlement rd congolais. Etre élu relevait d’une course sur piste d’obstacles.
12 candidats pour 4 sièges à Lusambo
Ainsi, selon notre correspondant à Lusambo, dans la jeune province du Sankuru, 12 candidats sénateurs se disputaient les 4 sièges attribués à la circonscription, 6 indépendants et 6 présentés par les partis et regroupements politiques. Parmi les candidats affichés « indépendants », deux, Moïse Ekanga Lushyma et Léonard She Okitundu sont membres de l’ancien parti présidentiel, le PPRD (FCC) et pouvaient « normalement » compter sur les électeurs de ce parti au nombre de 9. Même si au décompte final, ces deux candidats proclamés élus ont totalisé 13 votes sur les 25 émis. Les 11 votes restants se sont éparpillés entre des candidats Berthold Ulungu de l’Alliance CCU & Alliés (FCC) (élu avec 3 voix), Omba Pene Djunga, indépendant (élu avec 3 voix) et Justin Omokala de REP & Alliés (FCC) 3 voix, (non élu pour cause d’âge). L’unique voix restante avait été accordée à Alexis Luwundji de l’ACDD (FCC).
L’Alliance CCU & Alliés et le REP & Alliés ont été les grandes perdantes de la compétition électorale du 15 mars 2019, malgré l’élection du candidat présenté par l’Alliance CCU & Alliés, Berthold Ulungu le gouverneur de province sortant. A elle seule, les deux regroupements du FCC coalisées autour de Lambert Mende Omalanga comptaient pourtant 8 électeurs. Même si le REP & Alliés alignait 1 candidat, également électeur, Justin Omokala, 3 voix, non élu.
Alliance CCU&Alliés, REP&Alliés, grandes perdantes
Dans l’opinion, en province et à Kinshasa où vivent de nombreux ressortissants du Sankuru, on s’attendait à des récriminations et à des dénonciations de ces deux regroupements qui ont « égaré » un vote chacun. Mais rien n’est venu. Même pas de Lambert Mende Omalanga, l’autorité morale de l’Alliance CCU & Alliés dont on sait qu’il n’a pas la langue dans la poche et qui a choisi de faire « contre mauvaise fortune bon cœur » selon un adage bien connu. C’est plutôt d’un candidat indépendant élu, l’ancien colonel ex. FAZ Raymond Omba Pene Djunga, ne disposant d’aucun député provincial au sein de l’assemblée provinciale, que des sons triomphateurs ont été perçus.
A 82 ans, le sénateur réélu pour la seconde fois consécutive s’est adressé aux médias le week-end dernier : « Je suis très heureux d’avoir repris ma place au Sénat et cela, au bénéfice de mon fief, qui est le Sankuru », a-t-il déclaré. Pour Omba qui semblait poursuivre une campagne électorale décalée, le « bénéfice » du Sankuru c’était la guerre contre ceux qu’il qualifie de « criminels ». Renseignement pris, l’octogénaire visait sous ce vocable son jeune rival, le député provincial Justin Omokala (REP & Alliés), connu pour être le frère cadet de Lambert Mende Omalanga (Alliance CCU & Alliés), impliqué dans des incidents non encore élucidés survenus à Lusambo lorsque des agents de police avaient blessé mortellement un manifestant qui s’opposait à la candidature de ce dernier aux fonctions de gouverneur de province. « A en croire plusieurs sources, l’ordre (de tirer à balles réelles, i.e.) serait venu du FCC qui tiendrait à la candidature de son homme », a déclaré M. Omba, selon plusieurs médias kinois. Son mandat électoral, le vieux sénateur sankurois le consacrera donc vraisemblablement à faire « bénéficier » sa province de sa haine atavique contre Lambert Mende Omalanga et sa famille, biologique et politique. « Une bien drôle de façon de servir cette jeune province minée depuis des décennies par les dissensions et qui ne peut espérer s’en sortir qu’en triomphant des démons de la division qui distraient son élite des priorités du développement », s’insurge un prêtre catholique du diocèse de Tshumbe qui, approché par Le Maximum, rappelle que la candidature au gouvernorat de province de Mende, le meilleur élu du Sankuru aux élections législatives (directes) selon les chiffres rendus publics par la CENI, a provoqué une levée de bouclier de certains politiciens sankurois qui se seraient bien vus à sa place.
Un sénateur au soir de sa vie
Parmi les sankurois, ceux de la jeune génération particulièrement, nombreux sont ceux qui sont d’avis que « le vieux Omba », un ancien collaborateur du Maréchal Mobutu, compte pourtant parmi ceux qui, au sujet des dernières sénatoriales, aurait gagné à faire preuve de plus de discrétion. Un militant du regroupement PALU & Alliés à Lodja n’y va pas par le dos de la cuillère et affirme, désabusé, que « le colonel Omba est en fait le corrupteur type chez nous. Il suffit de se demander où et comment il a pu s’offrir trois votes de députés provinciaux alors qu’il n’est ni membre, ni apparenté à aucun des partis politiques auxquels appartiennent tous les grands électeurs que sont les députés provinciaux », selon lui. Même son de cloche à peu près chez ce candidat indépendant malheureux qui déclare dans un soupir que « face aux nantis comme Omba Pene Djunga, qui s’en sont mis plein les poches depuis la deuxième République mobutiste, il n’était pas possible d’espérer grand’chose. La barre était placée trop haut ». Et de signaler un incident qui a défraie la chronique à Lusambo lorsque l’ex. colonel s’apprêtant à se rendre à l’aérodrome pour quitter la ville après le scrutin, s’était vu bloqué par un député provincial qui réclamait le solde du montant convenu pour lui « vendre » sa voix…
Plus révoltés aussi bien par l’élection que par les propos transpirant la haine du vieil officier mobutiste sont ceux qui croient connaître le sénateur sankurois, et désespèrent franchement : « le vieux en est à son 3ème mandat de sénateur sans avoir jamais rien apporté de concret au Sankuru. A qui veut-il faire croire que c’est au cours des 5 prochaines années qu’il transformera notre contrée en paradis terrestre ? », s’interrogent-ils.
D’autres sankurois, rencontrés au cours d’obsèques d’une des leurs le week-end à Kinshasa, replongent loin, beaucoup très loin dans l’histoire politique et économique de la RD Congo pour soutenir leurs déceptions.
Envoyé aux études par Lumumba
Raymond Omba Pene Djunga, c’est tout de même un des tous premiers jeunes tetela que le premier premier ministre, Patrice-Emery Lumumba, avait eu la géniale idée d’envoyer en formation militaire en Belgique alors qu’il venait de terminer ses humanités pédagogiques (option éducation physique) à Saint Raphaël. « C’était bien dans le but de le voir servir les siens, mais personne n’a souvenance du moindre acte philanthropique posé en faveur de qui que ce soit au Sankuru, pas même à la famille biologique du défunt Patrice Lumumba et encore moins de sa province du Sankuru », tranche ce fonctionnaire à la retraite, croyant mettre un terme aux échanges avec cette révélation.
Mais rien n’y fait. « L’homme est un égocentrique viscéral, qui a profité de sa proximité avec le dictateur Mobutu pour s’accaparer de la quasi-totalité des établissements commerciaux et industrielles ‘’zaïrianisés’’ par le défunt dictateur dans cette partie de la République. Il faut se méfier de ses prétendues « luttes pour les droits de l’homme » au Sankuru. Elles dissimulent la recherche de ses intérêts personnels », soutient-il, avant de se lancer dans une sorte d’exposé historique … très salé. « Si le colonel (Omba, i.e.) était homme à servir le Sankuru, cela fait des décennies que la province serait devenu une petite Suisse », explique-t-il. Omba Pene Djunga, c’était tout de même le seul ressortissant tetela connu comme un des piliers du régime Mobutu au moment de la zaïrianisation des années ’70. Chef des services de sécurité et secrétaire particulier du défunt dictateur, il s’était trouvé au cœur du partage des biens confisqués aux hommes d’affaires occidentaux. « Mais qu’en a-t-il fait ? A qui a-t-il attribué même un taudis croulant ? Il a tout pris pour lui-même à pleines mains, ici à Kinshasa autant que chez nous … ». Personne n’a répliqué à ces affirmations, assez graves, tout de même.
Bras droit mobutiste des années fastes de la zairianisation
Pour la petite histoire, aussitôt terminée sa formation à l’Ecole Royale Militaire de Bruxelles (ERM) en 1964-1965, Raymond Omba a œuvré aux côtés du défunt Maréchal sans discontinuer jusqu’en septembre 1975 avant d’être condamné en compagnie d’un groupe d’officiers généraux pour tentative de putsch. Il avait successivement occupé les fonctions de secrétaire de cabinet à la présidence de la République puis de secrétaire particulier du président Mobutu en passant par celles d’administrateur général des tous puissants services de sécurité de l’époque. Difficile avec un tel tableau de se présenter de manière crédible en défenseur des droits humains, même un demi-siècle après, sans prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Les récriminations contre « Papa colonel» (ainsi que le désignent respectueusement ses thuriféraires) sont nombreuses et variées. « Tout ce qu’il possède au Sankuru et qu’il protège et fructifie avec la hargne d’une lionne protégeant ses petits, il l’a acquis à la zaïrianisation. Il n’a jamais rien construit, ni à Lodja, ni à Katako-Kombe où il est né, ni encore moins à Lubefu », affirme un de ses historiographes rencontré dans un débit de bière à Matonge. « Je sais de quoi je parle, je suis de chez lui », ponctue-t-il, comme pour parer anticipativement à toute objection … saugrenue. « Il sait ce que nous pensons de lui chez nous, c’est pour cela qu’il n’a jamais osé postuler à un scrutin direct comme l’on fait ses jeunes frères Okitundu, Mende ou Ekanga. Il sait qu’il ne sera jamais élu malgré tout son argent », avance-t-il encore. Avec le même succès que plutôt : nul n’ose le contredire.
C’est peut-être cela aussi, les élections sénatoriales : elles offrent souvent un abri commode à ceux qui n’osent pas affronter la multitude. Force est de s’en remettre aux investigations judiciaires ordonnées par le nouveau président de la République dans toutes les provinces pour en savoir davantage et analyser en tout état de cause.
En attendant, tout le monde est présumé innocent.
J.N.