Le tollé provoqué par les élections sénatoriales rd congolaises, le 15 mars 2019, restera inscrit dans les annales de l’histoire politique du pays, à n’en pas douter. L’indignation suscitée par l’incroyable renversement des données en présence dans un certain nombre de circonscriptions électorales s’est déclinée sur tous les tons. Et fut, de surcroit, assortie de scènes de violence dont aurait pu se passer le parti présidentiel, l’UDPS/T donc, même si c’est l’immoralité de ses propres élus provinciaux qui a révélé des pratiques qui, par ailleurs, semblent avoir été assez généralisées.
Ainsi, dans la capitale Kinshasa, malgré la présence à l’Assemblée provinciale d’au moins 12 députés UDPS/T, le parti tshisekediste s’est retrouvé sans un seul sénateur élu au terme du scrutin de vendredi dernier. Mais il ne fut pas le seul, parce que l’ancien parti présidentiel, le PPRD donc, n’a pu, lui aussi, obtenir de siège « ès qualité » à la chambre haute du parlement de la 3ème législature de la IIIème République. L’incurie des élus provinciaux sur lesquels pesaient de sérieuses présomptions de corruption fut hors mesure. Traduite dans les faits, elle est tout simplement avilissante. A en juger par la dénonciation révoltée du FCC Alain Atundu Liongo, ci-devant porte-parole de l’ancienne majorité présidentielle reconvertie en majorité parlementaire il y a peu, qui a fait l’objet de harcèlements sans pareil de la part d’élus provinciaux de la province de la Mongala. Dans une correspondance au procureur général près la cour de cassation, l’ambassadeur Atundu rapporte que Sieurs Matili Célestin, Mayombe « Pacheco », Mosala et Bokungu Aimé, tous élus provinciaux, lui ont réclamé ‘expressis verbis’ des montants variant entre 10.000 et 15.000 USD chacun pour reporter leurs votes sur sa candidature au sénat.
Réflexes légalistes …
Mais, tous les candidats sénateurs déçus n’ont pas fait preuve des mêmes réflexes légalistes que le porte-parole ex MP. Des sources rapportent qu’à Bunia, dans la province de l’Ituri des élus provinciaux avaient « bouffé à deux ou trois râteliers à la fois, et se sont fait acheter par 6 candidats sénateurs différents pour certains ». « J’ai dépensé 100.000 USD à raison de 10.000 USD par élu provincial pour obtenir un siège de sénateur », a ainsi révélé un candidat à l’élection du 15 mars 2019. Qui a perdu et menace de récupérer « sa mise » par tous les moyens parce que le contrat n’a pas été respecté. « Je les (les députés, i.e.) ai tous filmés quand ils percevaient mon argent. Je transmettrai ces images à qui de droit, s’il le faut », a-t-il confié à un certain Christian Shauri de Bunia.
De Kindu dans la province du Maniema, où les élus provinciaux corrompus sont qualifiés de « députés bifaces », parviennent les mêmes sons de cloche. Entre autres, de nos confrères de Kindu 24 Infos, qui font état d’un candidat malheureux qui a déboursé 100.000 USD (lui aussi !) à raison de 25.000 billets verts par élu provincial pour décrocher les 4 votes qui devaient l’assurer d’un siège au sénat. L’homme s’est répandu en imprécations et menaces contre « les roublards » qui n’ont pas respecté le contrat…
Corrupteurs et corrompus
L’ennui dans ce type de dénonciations réside sans doute dans la difficulté qu’il y a à dénoncer les corrompus sans se trahir soi-même et se faire prendre comme corrupteur. La loi, en effet, punit aussi bien le corrompu que l’auteur de la corruption et place les candidats malheureux à la sénatoriale dans une fâcheuse posture. Mais ces dénonciations qui fusent de partout à la fois depuis le week-end dernier sont révélatrices du fait que si rien n’est fait, la chambre haute du parlement de la législature qui commence sera truffée de nombreux corrupteurs. Nous en avons parlé avec force détails dans notre livraison N° 611 (voir encadré) en attirant l’attention sur le nombre anormalement élevé des candidats indépendants sollicitant des suffrages d’assemblées provinciales constituées de majorités politiques bien définies.
Ainsi souillée, la chambre dite des sages risque d’apparaître aux yeux d’une frange de l’opinion comme une chambre de malfrats composée de maffieux en costumes trois pièces- cravates. Qui ont pervertit les votes en circonvenant les élus provinciaux des divers partis et regroupements politiques en les payant grassement pour faire fi des mots d’ordre de votes de leurs partis et regroupements respectifs.
Réfractaires aux consignes
A Kinshasa, le président a.i. de l’UDPS/T., Jean-Marc Kabund, a été clair sur le sujet. « J’ai réuni au siège jeudi tous les députés provinciaux, je leur ai donné des consignes. D’ailleurs chacun d’eux avait choisi devant moi, son candidat qu’il devrait voter. Mais je suis aussi surpris de ce qui se passe », a-t-il expliqué aux combattants en furie au siège du parti. Le parti tshisekediste a décidé, entre autres, de traduire ses élus provinciaux en justice en raison de ces votes qui dépassent l’ignorance des consignes du parti. Gecoco Mulumba, le député provincial le mieux élu de Kinshasa … sur les listes de l’UDPS a ainsi vertement répliqué à ceux qui lui reprochent d’avoir marchandé son vote : « Je rappelle au président de l’UDPS que avec ou sans l’UDPS le peuple devrait toujours voter pour moi. J’avis voté pour le candidat qui m’a convaincu et j’assume. Les candidats sénateurs que l’UDPS a sorti ne m’ont pas convaincu », lit-on dans un posting lui attribué sur la toile.
Dans l’opinion, peu prêtent foi à ce sophisme de l’ancien pensionnaire de la prison centrale de Makala à Kinshasa où il fut détenu dans le cadre d’une sombre affaire d’émigration illégaux, la seule activité connue Gecoco. Egalement connu pour avoir déjà occupé les devants de la scène au PPRD avant de migrer vers l’UDPS après des démêlés avec la justice congolaise. « L’argument de Gecoco est fallacieux parce qu’il suppose que les candidats des partis politiques sont des acteurs politiques neutres qui attendaient les candidats sénateurs pour se choisir une idéologie politique », explique au Maximum un professeur de sociologie politique de l’UNIKIN. Selon lui, « les élus des partis politiques sont inévitablement nourris aux mamelles de l’idéologie politique de leurs partis et votent en fonction de la conformité de cette idéologie dont ils porteurs avec celle des candidats sénateurs. C’est en fonction de cette réalité que l’on vote, logiquement, selon les consignes du parti ».
Maffieux en costume
De ce strict point de vue, le sénat 2019-2024 pourrait abriter plus d’un maffieux en costume trois pièces, ainsi que le note un internaute qui s’offusque de l’âge de certains élus à la désormais ex chambre des sages. « La RD Congo est pratiquement le seul pays au monde où on commence sa carrière politique … au sénat », fait-il remarquer à ce sujet. Mais il y a pire, notent les observateurs, à l’exemple déjà soulevé de ces nombreux candidats sénateurs indépendants qui se sont miraculeusement procuré des votes tout aussi … indépendants d députés provinciaux élus sur les listes de partis et regroupements politiques ayant pignon sur rue. « Tous sont des corrupteurs de fait », fulmine cet étudiant en droit de l’UPC (Université Protestante du Congo) qui poursuit de ses assiduités les rédactions du Maximum situées non loin de son domicile.
Maffieuses apparaissent également ces « meilleures élections » vantées ci et là, parce qu’elles trahissent, elles aussi, des violations des consignes des partis politiques pour des raisons peu avouables. « On ne peut pas être meilleur élu dans une circonscription où l’on a bénéficié de plus de vote que requis, c’est-à-dire 4, et au sein ou au-delà des voix de son propre parti politique », avance encore cet interlocuteur du Maximum.
Traçabilité des votes
Derrière cette « observation d’étudiant » filtre la cruciale question de la traçabilité des voix obtenues par les candidats sénateurs. Parce qu’à en juger par les propos du président a.i. de l’UDPS/T., par exemple, les votes des élus provinciaux avaient été équitablement et préalablement répartis de cette formation politique. Les débordements au terme desquels se révèlent des « meilleurs élus indépendants » sont donc questionnables. A l’instar de cette élection qualifiée de triomphale du FCC Modeste Bahati Lukwebo au Sud Kivu. « Comment a-t-il pu bénéficier des votes de la majorité des élus provinciaux au terme de cette élection où des candidats de sa famille politique ont mordu la poussière », s’interroge-t-on au sujet de ce ministre d’Etat honoraire connu pour « rouler sur l’or ».
En obtenant plus de voix que requis (9 voix, donc 5 de plus) et plus que tous les sénateurs élus de la province du Kasai Central, Mme Pauline Mona Kayoko alias Monaluxe (FCC/PPPD) ne devrait peut-être pas se réjouir d’un triomphe qui aura privé sa famille politique d’un siège, dans cette circonscription où l’opposition CACH, largement majoritaire à l’Assemblée provinciale, a décidé de traduire en justice tous ses élus provinciaux pour fait de corruption.
Ces exemples, et d’autres, attestent ainsi de la présence d’honorables à la moralité contestable à la chambre haute du parlement de la 3ème législature de la IIIème République.
J.N.
SENATEURS ELUS