62 % de voix pour le candidat Lamuka à la présidentielle 2018 ? On ne les aura pas beaucoup aperçus à Kinshasa. Pas le 21 janvier 2019, après la proclamation quelques heures plus tôt des résultats officiels de la même présidentielle, selon lesquels Félix-Antoine Tshisekedi est le 5ème Président de la République en RD Congo. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été mobilisés après le verdict couperet de la cour constitutionnelle : dénonçant l’arrêt de la plus haute instance judiciaire de son pays, Martin Fayulu Madidi, le candidat malheureux à cette présidentielle avait convoqué ses partisans kinois devant le siège provincial de ses alliés du Mouvement de Libération du Congo de Jean-Pierre Bemba (MLC), sur avenue de l’Enseignement dans la commune de Kasavubu à Kinshasa. Peu se sont rendus à l’endroit bordé d’un terre-plein de la dimension d’un terrain de football qui sert habituellement d’auto-école pour apprentis chauffeurs. Gênée et craignant sans doute d’être taxée de partisane, la presse accourue pour couvrir l’événement s’est comme autocensurée en rapportant et en faisant état, comme un seul homme, de la présence de « dizaines de combattants » Lamuka. A côté d’un stade de football (le stade des Martyrs de la Pentecôte) d’une capacité de 80.000 places, quelques dizaines de personnes rassemblées en face, cela signifiait que la réponse à l’appel de Martin Fayulu était nulle. Parce que Kinshasa, prétendument acquise à la cause de ce candidat malheureux à la présidentielle, qui y aurait bénéficié d’un raz-de-marée électoral, compte la bagatelle de 4 millions d’électeurs, d’après des chiffres officiels.
Kinois indifférents
Que quelques dizaines seulement parmi les kinois se soient dérangés pour se rendre au siège du MLC lundi dernier, cela valait pourtant des analyses plus pointues. D’autant plus qu’au lieu d’aller vers le lieu de son meeting, Martin Fayulu a préféré déambuler à travers les communes de la capitale pour rameuter des troupes à une prestation devant un public à compter sur les bouts des doigts. Le candidat Lamuka a ainsi été aperçu à Binza/Delvaux, à Binza/UPN, au Camping Madiata, au Sanatorium, à Selembao/Marché et à Makala, des quartiers à forte densité de population dans la capitale rd congolaise. Parce qu’au siège du MLC dans la commune de Kasavubu, des partisans clairsemés, déçus et impuissants, se livraient à des voies de faits et agressions contre tout ce qui s’apparentait à l’UDPS/T et à son leader devenu Chef de l’Etat. Particulièrement, les conducteurs de moto-taxis kinois, en majorité lubaphones, que l’opinion assimile mécaniquement aux partisans de Félix Tshilombo Tshisekedi. Au moins un de ces motocyclistes communément appelé « weewa » (toi ! en langue luba) s’en est tiré avec une grave blessure à la tête, selon un rapport de police qui fait état de « coups et blessures aggravés dans les encablures du siège d’un parti politique sur Enseignement » et dénonce subséquemment cette « intolérance politique ».
La volonté du peuple ?
Dans un posting sur son compte twitter, Martin Fayulu annonçait « une lutte pour concrétiser la volonté du peuple congolais exprimée dans les urnes le 30 décembre 2018 ». « Je m’engage à matérialiser la volonté populaire », ponctuait-il, dissimulant le fait qu’il s’agissait de la volonté d’une partie de la population, celle qui est sensée avoir élu le candidat Lamuka à la présidentielle 2018. Martin Fayulu l’oppose à celle qui a élu ses adversaires, Félix Tshilombo Tshisekedi et Emmanuel Ramazani Shadary. Les termes utilisés, quoique voilés, dissimulent maladroitement d’évidentes velléités de rébellion, plus ou moins franchement revendiquées par l’un ou l’autre de ses farouches partisans également, du reste.
A l’instar de son co-régionnaire de l’ex. Bandundu, Olivier Kamitatu Etsu. Cet autre cadre de la coalition Lamuka qui annonçait sur son compte twitter également que « à Kikwit, le sang a coulé ! Le peuple est en colère », faisant ainsi état de remontée d’images dont la coupure de la connexion internet en RD Congo avait privé l’opinion (et qui se sont avérées un montage grotesque). « Tripatouilleurs et usurpateurs détrompez-vous ! Le silence du moment n’est pas le signe de l’acceptation et du renoncement, encore moins celui de la soumission », menaçait cet ancien de la rébellion du MLC. S’il n’est pas encore avéré que le sang ainsi évoqué ait effectivement coulé à Kikwit, à Bagata, un autre territoire de la province du Kwilu et fief électoral d’Olivier Kamitatu, des manifestants avaient attaqué les bureaux de la CENI, de l’Administrateur de territoire et des postes de police d’où ils ont été repoussés, saccageant au passage le lycée local, rapportent des rapports de police. Au terme d’une descente du commissaire provincial sur les lieux des incidents, « quelques fauteurs de troubles ont été déférés devant l’Officier du Ministère Public à Bandundu-Ville », le chef-lieu de la province du Kwilu.
Impossibles incidents post électoraux
A défaut, pour l’instant, de troupes rebelles acquis à la cause du candidat Lamuka, Fayulu et ses amis ont tenté de provoquer des incidents post-électoraux … susceptibles de dégénérer. Et rien n’indique qu’ils s’arrêteront en si bon chemin. Du pain sur la planche pour le nouveau Président de la République, compte tenu du fait de la présence dans la coalition Lamuka de va-t-en guerre avérés. Comme le Nord-Kivutien Antipas Mbusa Nyamuisi, ancien chef de guerre dans la région de Beni-Butembo à la fin des années ‘2000, qui ne dissimule pas ses intentions franchement belliqueuses et nostalgiques. « En RDC, c’est le calme avant la tempête. L’explosion viendra et elle sera à la hauteur de la déception », prédit-il, déplorant l’ordre politique né du dialogue de Sun City qui lui assurait d’un strapontin dans l’exécutif national à la hauteur de ses exploits rebelles. « Il ne nous reste que la résistance prescrite par l’article 64 de la Constitution », assure le patron du RCD-K-ML, un ancien mouvement politico-militaire mué en parti politique. « C’est à nous désormais, Congolais, de démontrer que la démocratie n’est pas un luxe pour nous. Et nous sommes prêts à le faire », assure Mbusa à La Libre Afrique, un organe de presse proche de Lamuka. Pour lui, comme pour Martin Fayulu, « Une très grande partie de la population n’accepte pas le scénario que Joseph Kabila et ses alliés ont voulu leur vendre. Nous allons la mobiliser ». Il s’agit, selon les observateurs, d’authentiques prémisses rebelles dont Mbusa ne se cache pas, du reste : « Joseph Kabila, contrairement à ce qu’il croit, ne tient pas l’armée. Seule une poignée d’officiers dont l’autorité est aujourd’hui entamée lui sont véritablement fidèles. Joseph Kabila aurait tort de se montrer aussi serein. Je parle en connaissance de cause », déclare encore l’ancien roitelet de Beni-Butembo dans les années ‘2000. Lamuka ne dédaignerait pas une conflagration armée.
J.N.