La mission parlementaire décidée et diligentée par l’Assemblée Nationale à Beni a Nord-Kivu s’est achevée vendredi 12 octobre 2018. La délégation forte de 23 parlementaire, dirigée par le député PPRD Simon Bulupuy, a eu droit à un séjour plutôt mouvementé, à l’image de la situation dans cette partie du territoire de la RD Congo, mise à feu et à sang par des agressions des populations civiles depuis 4 ans et des assauts contre les positions de l’armée depuis quelques semaines. A leur arrivée à Beni via Goma, mardi 9 octobre dans la journée, les membres de la délégation a été littéralement prise d’assaut par des manifestants exigeant le retour à la paix. Des manifestants sui generis, en réalité, parce qu’il s’agissait d’enfants et d’adolescents élèves d’établissements d’enseignement primaire et secondaire de la ville. Quelques jours plus tôt, en effet, une attaque armée dans un quartier de la commune périphérique de Ruwenzori avait vidé des quartiers entiers de leurs habitants, perturbant sérieusement les activités scolaires. Par solidarité, élèves et enseignants de Beni avaient décrété une grève… qui était prévu pour durer jusqu’au rétablissement de la paix sur la ville.
Trois jours d’intenses consultations
La délégation Bulupuy a consacré trois jours en consultations des différentes couches de la population et des autorités de la place pour se faire une idée du drame de Beni. Le 9 octobre, les différents services de sécurité du lieu ont été entendus par les parlementaires, qui se sont rendus à Oïcha, une localité voisine de Beni le jour suivant. Ici aussi, les responsables des services de sécurité, les administratifs et les couches représentatives de la population ont été auditionnés. Rentrée à Beni le même jour, les députés congolais ont auditionné les officiers responsables de la hiérarchie militaire locale de même que leurs homologues de la force MONUSCO à l’aéroport de Mavivi, selon des sources locales. Avant de se perdre sa quintessence, en réalité.
Sur les chaînes de radio locales et dans les réseaux sociaux, au moins trois membres de la mission parlementaire dépêchée à Beni s’étaient carrément détachés du groupe commis par l’Assemblée nationale pour se répandre en « révélations » croustillantes sur le contenu des échanges avec différents responsables de la sécurité. Muhindo Nzangi, député élu MSR/G7 de Lubero, a ainsi déclaré sur une radio locale à Beni que selon des sources militaires, les auteurs des massacres et agressions dans la région sont membres d’une rébellion dénommée Muslim Tabliq Movement (MTM). L’opposant, déjà connu pour ses prises de position extrémistes à l’Assemblée nationale, a tourné en dérision ces informations militaires, en expliquant selon des commentaires d’internautes locaux. « Et donc, comme le tueur a déjà été identifié comme monsieur MTN, nous voudrions que la population puisse retenir ce qui suit : Tout ce qui avait été dit avant – c’est le gouvernement qui l’avait dit – les gens s’entre-tuent entre eux à Beni, que c’est Mzée Mbusa Nyamwisi qui tue les gens, que ce sont les notables, etc. A partir d’aujourd’hui, ils doivent se confesser puisque l’armée a donné une version officielle que c’est MTM qui tue les gens. Ce n’est pas X ou Y. Par conséquent, tous ces gens qui ont été arrêtés, on doit reconsidérer leurs cas, car on a été trompé pendant longtemps ». D’autres sources ont rapporté à nos rédactions qu’à Butembo, quelques heures plus tard, l’élu MSR/G7 avait animé une conférence de presse au cours de laquelle il avait invité les maï-maï (groupes armés incontrôlés dans la région) à « se joindre aux FARDC pour éradiquer les agresseurs de Beni ». Une façon comme une autre de légitimer l’existence de ces forces négatives qui s’associent régulièrement aux ADF dans l’insécurisation du Grand Nord.
Les indiscrétions de certains membres de la délégation
Comme pour ne pas demeurer en reste, les députés Grégoire Lusenge (UDECF/AR) et Malisawa Malise ont eux aussi expliqué sur des radios locales que ce sont les rebelles de la MTN (Muslim Tabliq Movement) qui tuent dans la région de Beni afin d’en déloger les habitants.
Des déclarations pour le moins intempestives qui ont eu, entre autres conséquences, celle de désacraliser le travail parlementaire en livrant sans ménagements des secrets militaires à une opinion publique locale connue pour son extrême susceptibilité.
Dans la région de Beni, la mission fait désormais polémique. Une organisation locale qui se fait passer pour une des Organisations non gouvernementales qui écument la région, le CRDH, assurait le week-end que « le groupe MTM n’est pas une nouveauté dans les bouches des journaleux de la kabilie qui pullulent à Beni (…) dans le but de désorienter les enquêteurs… ». Ces indiscrétions de membres de la délégation parlementaire de n’étaient pas pour consolider l’efficacité de la mission commise par les députés nationaux. Dans une mise au point qui frappe par sa pertinence, le député MSR/MP Jean-Chrysostome Vahamwiti, également élu de la région a rappelé, notamment, que « la mission parlementaire a(vait) pour chef l’Honorable Simon Bulupy, qui a regagné Kinshasa vendredi dernier et qu’elle comprenait entre autres Djuma Balikwisha, le président du caucus des députés du Nord-Kivu, également rentré à Kinshasa » ; avant de préciser que les députés Arsène Mwaka (RCD-K-ML) et Mugiraneza en étaient « les seuls rapporteurs ». Une manière on ne peut plus claire de désavouer les indiscrétions irresponsables de la bande à Muhindo Nzangi et autres Lusenge Bonane, qui se sont exprimés sans titre ni droit au sujet des auditions enregistrées et des conclusions retenues par la délégation des parlementaires à Beni et ses environs. D’autant plus que « dans les us et pratiques parlementaires, la primeur du rapport d’une mission parlementaire est strictement réservée à la plénière de l’Assemblée nationale pour débat et adoption. Ce n’est qu’après adoption de ce rapport par l’Assemblée nationale que ses différents membres peuvent se permettre d’en faire la restitution en province au Nord-Kivu, tant aux autorités politico-administratives qu’aux différentes forces vives », écrit Jean-Chrysostome Vahamwiti.
Populisme irresponsable
Interrogé au téléphone par Le Maximum le 14 octobre, un membre de la mission Bulupy qui a requis l’anonymat a condamne fermement et sans ambages ce qu’il a qualifié de « comportement populiste » de ses collègues. Pire : un autre membre de la délégation de l’Assemblée nationale envoyée au Nord-Kivu rappelle que le député national Muhindo Nzangi avait déjà été à l’origine d’une motion d’interpellation du ministre de la défense Crispin Atama Tabe Mogodi à l’Assemblée nationale mi-avril 2018. Une initiative qui avait été rejetée par la plénière en raison du caractère militaire et secret devant entourer les opérations sécuritaires en cours à Beni. « Nous sommes tous des élus du peuple, mais peu parmi nous sont dignes d’être considérés comme des hommes d’Etat », déclare sous couvert d’anonymat l’interlocuteur du Maximum.
J.N.