Sur le drame qui se déroule sous les yeux de la communauté nationale et internationale dans la région de Beni au Nord Kivu. Beaucoup d’encre a coulé, et continue de couler. Experts en tous genres dissertent sur la question. Des nationaux aussi. Parmi ces derniers, un compatriote dont l’expertise avérée sur la question est occultée.
Nicaise Kibel’Bel Oka est journaliste et écrivain. Directeur du Bimensuel «Les Coulisses» devenu quasiment une « institution » dans l’hinterland des Grands Lacs, il dirige le Centre d’Etude et Recherches Géopolitiques de l’Est du Congo (C.E.R.G.E.C) basé à Beni, au Nord-Kivu. En 2006, il obtient le «Prix Abraham pour la Conservation de la Nature». En 2009, il est lauréat du «Prix Africain de Liberté de la Presse» décerné par CNN. En 2014, il est proclamé parmi les 100 Héros de l’information par Reporters Sans Frontières (RSF). Ecrivain, il en est à son 4ème livre. Originaire de la province du Kwilu (ex-Bandundu), il s’est établi à l’Est de la RDC depuis une vingtaine d’années et s’intéresse aux questions géopolitiques et géostratégiques de la région des Grands Lacs africains. Le Maximum en livre une partie à ses lecteurs. N. Kibel’Bel Oka est interviewé par Omer Nsongo die Lema.
Omer Nsongo (ON) : Depuis une vingtaine d’années, vous êtes le témoin privilégié des événements qui se produisent à l’Est. Si vous étiez médecin, quel diagnostic poseriez-vous de façon détaillée ?
Nicaise Kibel’Bel Oka (NKBO) : Je poserais l’autopsie et le diagnostic. D’abord, comme vous le savez, l’autopsie se fait sur un cadavre. Et pour l’Est de notre pays, appelé ventre mou de la région, il y a eu au bas mot 6 millions de morts. Malheureusement, la série noire continue jusqu’à ce jour. C’est dire qu’au niveau de l’autopsie, l’Est de notre pays est déjà un cadavre que personne ne veut enterrer. Il en dégage les miasmes. Quant au diagnostic pour les vivants, il se constate au travers des désordres dont le soubassement est un discours haineux de certains notables de chaque communauté ethnique. Il y a trop de haine, trop d’intoxications, trop de mensonges et de manipulations. Ce qui rend la cohabitation pacifique entre communautés difficile, en plus du fait qu’elles entretiennent une « fraternité transfrontalière » avec leurs cousins des pays voisins au détriment de la cohabitation pacifique interne. Ce qui crée la criminalité et/ou le banditisme transfrontalier et met en difficulté les services de l’ordre. Il n’existe presque pas de coopération en matière d’échange de renseignements et informations entre Etats dans la région à cause de la méfiance.
ON : Vous êtes un chevalier de la plume. Pouvez-vous donner une description qui convienne à ce diagnostic ?
NKBO : Comme dit plus haut, le Nord-est de notre pays est rongé par des problèmes de haine identitaire entretenue en partie par des organisations non gouvernementales (ONG). Vous le savez, c’est la partie du territoire national où opèrent des ONG dont le nombre n’est connu de personne et qui échappent totalement au contrôle de l’Etat. Mais aussi, c’est la partie du pays où la devise étrangère, le Dollar Américain, règne et supplante le Franc Congolais. Le business…
O.N. : Dialogue inter-congolais à Sun City, Conférence sur la paix, la sécurité et le développement au Nord Kivu et au Sud Kivu, barzas communautaires etc., apparemment, aucune des voies préconisées ne résout le problème fondamental !
NKBO: Vous avez raison de le souligner. Car, dans toutes ces rencontres, les vrais problèmes ne sont pas identifiés ni abordés. Au dialogue inter-congolais, par exemple, en donnant une prime à la guerre, on a détruit la justice congolaise et l’armée nationale, véritable colonne vertébrale de tout Etat. Les morts et les victimes de tant d’atrocités commises par les seigneurs de guerre ont été cyniquement oubliés.
Parlant de différentes conférences de paix, chaque communauté, ne faisant pas confiance à l’autre, a gardé et encouragé ses enfants à rester dans les groupes armés. Ici, personne ne fait confiance à l’Etat. Et l’Etat est devenu un handicap, mieux un ennemi à combattre.
ON : Il y a aussi la MONUSCO d’un côté, les FARDC de l’autre. L’impression qui se dégage est que plus elles mènent des opérations combinées, plus l’efficacité est moindre. A quoi est due cette contre-performance ?
NKBO: Les FARDC et les Casques bleus de la force MONUSCO sont des armées classiques, et donc, inadaptées aux nouvelles formes de violence dites asymétriques. En ce XXIème siècle, l’Etat se dispute le monopole de la violence avec des groupes armés qui appliquent souvent la guérilla urbaine et rurale.
Les deux armées font face à un terrorisme (laïc et religieux) auquel elles n’ont pas été préparées. Pire, les groupes armés bénéficiant de l’appui dans certaines caouches de la population, leur travail devient inefficace. Parce que dans la guerre asymétrique, l’enjeu principal reste la population. C’est elle qui peut donner ou pas les renseignements fiables sur l’ennemi.
Or, dans beaucoup de cas, la population ne coopère pas avec les FARDC et les Casques bleus.
ON : La MONUSCO soutient qu’elle n’a pas de mandat offensif. Le Conseil de sécurité de l’Onu rappelle dans toutes ses résolutions que la protection des populations congolaises relève de la responsabilité du Gouvernement. Or, la MONUSCO elle-même a reçu consigne d’assurer la protection des mêmes congolais. Le conflit des compétences est inévitable…
NKBO : Sun Tzu dans, «L’art de la guerre», enseigne qu’en aucun cas une guerre prolongée ne profite à un pays ou à une armée. C’est le cas avec celle que sont supposés mener les Casques bleus qui totalisent près de 20 ans sur le sol congolais, officiellement pour protéger les populations civiles.
Les différentes Résolutions prises par le Conseil de Sécurité de l’ONU ne favorisent pas le travail de la MONUSCO. Il est anormal que chaque année le Conseil de Sécurité donne un nouveau mandat à la MONUSCO sans une évaluation sérieuse des mandats précédents. Peut-on être efficace quand votre mandat est renouvelé sans une évaluation crédible chaque année ? En réalité, tout en proclamant que la protection de la population congolaise relève de la responsabilité du gouvernement, la MONUSCO fait une fuite en avant parce qu’elle ne veut pas s’engager efficacement pour la paix en RD Congo. Le refrain est connu : les Casques bleus viennent à l’appui à l’armée congolaise. Mais, dans les profondeurs du parc des Virunga, les FARDC sont souvent seules. C’est ce qui explique que certains contingents refusent d’entrer dans les profondeurs de la forêt. C’est ce qui explique aussi la création d’une force totalement africaine de la SADC, la FIB qui, elle s’est avérée relativement plus opérationnelle et efficace.
ON : Sur ces entrefaites, le constat à faire, s’agissant des groupes armés étrangers cités dans l’Accord de Lusaka – avec pour charge confiée à la Force internationale de les traquer et de les désarmer – est qu’ils sont opérationnels sur le territoire congolais et non sur leurs propres territoires. Cas notamment des Adf-Nalu et de la Lra inactifs en Ouganda, des Fdlr (constituées essentiellement d’ex-Far et de milices Interahamwe) inactives au Rwanda. Y a-t-il une explication à cette contradiction ? La survie de ces groupes et la sécurité dans leurs pays d’origine dépendraient de l’insécurité à entretenir en RDCongo ?
NKBO : Vous soulevez là un problème véritablement complexe. Pour le cas des FDLR, par exemple, il est clair que le gouvernement rwandais actuel ne veut pas de leur présence au Rwanda. Pour beaucoup de raisons. Je citerais d’abord la démographie galopante dans un pays aussi étroit. Ensuite, une sorte d’épuration ethnique afin de diminuer sensiblement le quota des Hutu au sein de la population. Enfin, ce groupe armé constitue une main-d’œuvre pour l’exploitation et le pillage des minerais de la RD Congo qui bénéficient aux acheteurs en compensation, malheureusement, des fois des armes de guerre.
S’agissant des ADF, la communauté internationale, pour des raisons qui lui sont propres, ne veut pas les admettre comme des terroristes islamistes qui se sont donnés la mission d’instituer la Chari’a dans la région. Avec un pareil doute sur l’identité de l’ennemi, il devient difficile si pas impossible pour la force internationale de le traquer pour le désarmer. La preuve, la FIB composée des militaires tanzaniens a connu une lourde perte (15 soldats tués) le 7 décembre 2017 leur infligée en plein parc des Virunga par des terroristes islamistes ADF.
Mais il faut dire aussi que la survie des groupes armés locaux et étrangers sur notre sol, survie due aussi grâce à la faillite de l’État, ce qui leur permet de développer leur stratégie d’une guerre dite hybride. Ces groupes armés opèrent dans les zones grises.
ON : Il se dit que les guerres qui se mènent actuellement dans les Grands Lacs côté congolais ne sont plus liées qu’à l’attrait des ressources naturelles congolaises. Sont cités principalement le coltan, l’or, la cassitérite, mais aussi le bois. Devrait-on se contenter de cet argument ?
NKBO : Notre pays, au regard des ressources du sol et du sous-sol dont il regorge, est au centre du festin des vautours. Les minerais qui sont au Congo sont très utiles pour les nouvelles technologies et pour l’aéronautique spatiale. Quand vous prenez la cassitérite, par exemple, elle contient l’étain avec les 17 Terres rares (Rare Earths Elements-REE). La colombo tantaline ou coltan est très recherchée pour l’électronique. La malachite sert à la fabrication des bijoux. Le niobium ou pyrochlore, à cause de sa résistance à la haute température, sert à l’alliage et à la fabrication des fusées. Dans l’or, «métal des dieux», on trouve l’uranium comme sous-produit stratégique. L’or est très souvent présent sous forme métallique, fréquemment allié à l’argent, souvent au cuivre, parfois au bismuth. Ceci est reconnu par tous les spécialistes.
Nous avons traité ce dossier de pillage de l’or de Kilo-Moto dans notre ouvrage «Ituri. De la guerre identitaire au pillage des mines d’or de Kilo-Moto par les multinationales Anglo- américaines», paru aux Editions Scribes Bruxelles en 2016.
Tous ces éléments concourent à maintenir notre pays dans une situation d’instabilité chronique et, pire, à transformer certains de nos compatriotes en marionnettes pour jouer le sale jeu des Occidentaux. C’est ainsi que la plupart de politiciens ont des groupes armés et empruntent le sanctuaire de Kampala et Kigali pour déstabiliser le pays.
J’ai écrit un livre intitulé : «Les marionnettes congolaises», paru aux Editions du Panthéon/Paris en 2012, où j’explique comment des intellectuels congolais sont manipulés par les puissances étrangères pour piller les ressources de leur pays et tuer les populations congolaises.
ON : Entre-temps, le terrorisme fait lentement mais sûrement son intrusion, et encore sous la coloration religieuse. La conviction des uns est toutefois contredite par celle des autres, particulièrement les chercheurs occidentaux dont l’opinion compte dans la perception internationale de la question congolaise. Le terrorisme eexiste-t-il en RDC ou non ?
NKBO : Il existe deux sortes de terrorisme au Congo et spécialement à l’Est. Il s’agit du terrorisme laïc entretenu par des groupes armés locaux sans idéologie religieuse et du terrorisme religieux que les islamistes ADF expérimentent dans le territoire de Beni (Ruwenzori). On assiste à Beni à un terrorisme islamiste des musulmans Tabliq de la Muslim Tabliq Movement/Muslim Defence international maladroitement et sciemment appelés ADF/Nalu ou rebelles ougandais. Ces terroristes installés dans le Parc des Virunga (Ruwenzori) ont pour origine l’Inde et le Pakistan. Ils sont en Afrique, en Tanzanie depuis 1940. Alors que tous les faits et actes le prouvent, le mode opératoire montrent que ce sont des terroristes, des chercheurs occidentaux et des «experts» de la question congolaise, des groupes d’étude occidentaux s’évertuent à nier totalement l’existence du terrorisme islamiste chez nous. Ils manipulent certains compatriotes moyennant des « subsides » pour discréditer les FARDC en mettant sur leur compte les massacres barbares des populations congolaises de Beni. Tout ceci constitue le complot auquel la RDC, qui a échappé jusque-là à la balkanisation à la manière du Soudan, fait face. Malheureusement, ces concitoyens sont instrumentalisés pour accréditer la thèse des Occidentaux. Admettre qu’il y a le terrorisme islamiste au Congo amènerait à une déchirante révision de tous les calculs machiavéliques contre notre pays.
J’ai publié un livre qui a fait polémique à travers le monde et qui a été mis sous embargo par les médias globaux (occidentaux) à ce sujet. Alors que j’ai présenté des preuves et des images inédites concernant le terrorisme islamiste des ADF dans le Ruwenzori (composés des Soudanais, Kenyans, Tanzaniens, Ougandais, Somaliens, Burundais et Congolais) pour appuyer mon livre, les fameux chercheurs occidentaux, y compris les experts des Nations Unies, rejettent catégoriquement les faits qui parlent d’eux-mêmes. Le livre est intitulé : «L’avènement du Jihad en RD Congo. Le terrorisme islamiste ADF mal connu», Editions Scribe/Bruxelles 2016.
La polémique autour des terroristes islamistes ADF, malgré les massacres des populations congolaises et des 17 Casques bleus tanzaniens de la FIB, prouve que la communauté internationale a un agenda caché, celui de la balkanisation, sur notre pays. Il existe bel et bien un terrorisme islamiste au Congo.
ON : A tout problème, il y a une solution. Selon vous, laquelle ramener la sécurité à l’Est ? On entend de plus en plus quelques communautés tribales réclamer le redécoupage du Nord Kivu et du Sud Kivu…
NKBO : Il y a deux personnages qui tiennent un Etat, à savoir « le diplomate qui donne la mort par la parole et le militaire qui donne la mort par les armes», avait écrit Raymond Aaron.
J’ajouterai le 3ème personnage qui est le journaliste parce que les guerres actuelles sont avant tout médiatiques.
Est-ce que ces trois personnages congolais jouent-ils effectivement la mission de sécuriser notre pays ? Nous sommes, nous-mêmes, les fossoyeurs de notre armée nationale. Il nous faut prendre conscience de ce que nous sommes et de ce que les autres veulent que nous soyons.
L’armée nationale n’appartient à personne sinon aux Congolais. Si nous créons une armée adaptée aux réalités auxquelles nous faisons face et si nous la soutenons en plaçant l’Etat au-dessus des querelles interethniques, nous arriverons à stabiliser notre pays. Emietter les provinces du Nord et Sud Kivu n’est pas la solution à la déstabilisation de notre pays. L’Etat doit être au-dessus de nos querelles et doit jouer son rôle régalien pour le bien-être de la population.
ON : Avez-vous un mot de la fin ?
NKBO : Nous appelons les Congolaises et les Congolais à la prise de conscience de ce que vaut notre pays, cette gâchette du revolver dont parlait Frantz Fanon. Je recommande aux compatriotes de lire mes livres qui sont des réalités vécues par un témoin direct, expérimenté et un journaliste d’investigation.
Propos recueillis pour www.congo30juin.com
Par Omer Nsongo die Lema