Moins d’un mois après sa vidéo larguée dans les réseaux sociaux, qui donnait au Président Kabila « un ultimatum de 45 jours pour quitter le pouvoir », le colonel (lieutenant-général autoproclamé) John Tshibangu, a été arrêté en Tanzanie et extradé derechef vers Kinshasa lundi 5 février 2018. De son vrai nom Dédé Mulamba, l’officier renégat, déserteur des FARDC, avait été interpellé dans la nuit du 28 au 29 janvier à l’aéroport de Dar-es-Salam où il transitait en provenance de Naïrobi au Kenya. Les services d’immigration tanzaniens qui avaient été intrigués par le fait qu’il était en possession de deux passeports, l’un centrafricain et l’autre zambien, en ont immédiatement alerté Kinshasa dont les autorités judiciaires militaires avaient déjà lancé un mandat d’arrêt international contre le colonel déserteur depuis 2014.
La saga John Tshibangu remonte à 2012, lorsque cet ancien chef d’Etat-Major FARDC, et à ce titre N°2 de la 4ème région militaire de Kananga avait fait désertion à la tête d’un groupe de militaire pour, selon ses propos, « rétablir la vérité des urnes » en faveur de son « frère tribal » Etienne Tshisekedi. En fait, il s’agissait de replacer le ‘lider maximo’ de l’UDPS qu’il tenait pour vainqueur de la présidentielle 2011 au pouvoir. Mulamba alias John Tshibangu annoncera sur les réseaux sociaux avoir mis sur pied un mouvement insurrectionnel baptisé Front du Peuple pour le Changement et la Démocratie (FPCD) et tentera même de faire jonction avec la rébellion pro Kigali du M23 à partir de son Kasaï natal avant d’être obligé de fuir sa tanière du Kasaï sous la pression des FARDC lancées à sa poursuite. L’opinion n’entendra plus parler de lui et son éphémère FPCD qu’aux frontières du pays, en République Centrafricaine (RCA) que par ses communiqués revendiquant des incursions régulières dans les provinces riveraines du Nord et du Sud Ubangi, ainsi qu’à la faveur de séjours de villégiatures au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, avec des annonces d’attaques toujours « imminentes » du Rambo dans la région de Beni au Nord Kivu.
Rebelle cherche job
Lorsque les troupes musulmanes des milices Seleka centrafricaines s’emparent du pouvoir à Bangui au deuxième semestre 2013 et chassent François Bozizé du pouvoir, elles comptent dans leurs rangs quelques sicaires de John Tshibangu. Le Colonel insurgé projetait, en échange de son appui à la Seleka, d’obtenir leur autorisation – et leur appui – pour attaquer son pays à partir d’une RCA militairement troublée. L’arrivée du contingent FARDC dépêché par Joseph Kabila dans le cadre de la MISCA (Mission de Soutien à la Centrafrique) compromet toute tentative de déstabilisation des institutions rd congolaises, et l’homme disparaît. Pour réapparaître quelques années plus tard, en juin 2017, par l’intermédiaire de deux de ses collaborateurs qui tentent de reconstituer son groupe armé. Freddy Libeba et Alexandre Mitshiabu sont accusés d’activisme militaire en RCA et en RD Congo, et mis aux arrêts par les autorités Centrafricaines. Par la suite, le 31 août 2017, sont interpellés à Gemena dans la province du Sud Ubangi des jeunes gens suspectés d’appartenir à l’APCD, en même temps que les services spécialisés recherchent activement les recruteurs de ce nouveau groupe armé. Mais ce qui ressemble bien à une tentative de reformation de la branche militaire de l’APCD ne fera pas long feu dans cette partie de la RD Congo.
Comme chez lui, à Beni
En octobre 2017, une révélation faite par un défenseur des droits de l’homme de la région de Beni fait état d’un regain d’activisme militaire des hommes du colonel Tshibangu dans la région. Selon Maître Jean-Paul Paluku du CRDH, ce sont des éléments de l’APCD soutenus par un acteur politique local qui auraient attaqué les positions des casques bleus onusiens tanzaniens et des FARDC en octobre et non pas les rebelles ougandais de l’ADF comme l’avaient indiqué des sources officielles. La révélation n’avait pas été suivie d’effet mais revêt toute son importance depuis l’interpellation du patron de ce mouvement rebelle par les services tanzaniens fin janvier 2018. Et les déclarations d’un acteur politique de la région déjà soupçonné de participation dans les tueries des civils de la région de Beni, Antipas Mbusa Nyamuisi, selon lesquelles « il n’y aura pas d’élections. Il faut donc utiliser les mêmes moyens que Kabila et l’opposition le sait bien, dit-il avec un ton détaché. Moi, je suis prêt. On n’a plus le choix. Certains ont commencé à former des groupes, mais il leur manque un chef. ».
Car, dans la région de Beni-Butembo, Mulamba alias colonel Tshibangu, comme beaucoup de ses anciens compagnons d’armes, se retrouve comme dans son élément. C’est dans les rangs de l’Armée du Peuple Congolais (APC) d’Antipas Mbusa Nyamuisi que cet ancien de l’Ecole de Formation d’Officiers de Kananga (dont il est sorti avec le grade de Sous-lieutenant) a fait toutes ses armes (rebelles) et acquis ses galons avant d’être réintégré au sein des FARDC à la faveur des Accords de Sun City de 2002, affublé du grade de Colonel. Et ce n’est peut-être pas un fait du hasard si c’est en Tanzanie, pays qui sert de base arrière à Mbusa Nyamuisi, que le Tshibangu a été interpellé. D’aucuns dans la région de Beni où l’homme est connu pour ses « faits d’armes » estiment que l’officier supérieur déserteur tentait d’y rejoindre l’ancien roitelet de Beni-Butembo, devenu le chef de file des va-t-en guerre des extrémistes de l’opposition. Et spécialiste de la politique régionale.
Mbusa, l’expert ès rébellions
Chez nos confrères de la Libre Afrique, une section de la Libre Belgique manifestement consacrée au soutien à l’opposition au Président Kabila, Mbusa Nyamuisi a déclaré que certains chefs d’Etats de la région se seraient rendus compte que le président Joseph Kabila ne partirait du pouvoir que « contraint et forcé ». Et se seraient résolus à apporter leur appui à une solution du recours à la force par une opposition cornaquée par le bientôt ex-archevêque métropolitain de Kinshasa Laurent Monsengwo. Ce dernier, surnommé « cardinal-afande » (cardinal commandant), a joué son va-tout ces dernières semaines et essaimé sans doute le même type de convictions. Au dernier sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UA à Addis-Abeba, quelques ténors de l’opposition radicale avaient accouru pour tenter d’accréditer l’idée saugrenue de l’organisation d’une « transition sans Kabila » en RDC. Si pas pour quérir des soutiens en faveur d’une opération militaire de plus en RD Congo. C’est ce dont se vante volontiers l’ancien ministre des Affaires étrangèresde Kabila qu’est Antipas Mbusa Nyamuisi, qui assure nos confrères du Monde de ses rapports, redevenus excellents avec l’Ougandais Yoweri Museveni. Autant que de ses entrées à Luanda où Eduardo Dos Santos vient d’être remplacé par Joao Lourenço. « Mbusa prétend aussi avoir l’oreille du pouvoir tanzanien sur les questions congolaises », assurent nos confrères du quotidien français « Le Monde » qui l’ont entretenu fin janvier 2018.
Enthousiasme prématuré
Seulement, la célérité avec laquelle Dar-es-Salam a réagi à la demande d’extradition du déserteur John Tshibangu semble démentir l’enthousiasme contagieux de la tendance militariste des boutefeux de l’opposition. Et donner raison à ceux des observateurs qui estiment que les relations entre Kinshasa et ses voisins, particulièrement de la SADC, ne se sont jamais aussi bien portées, ainsi que l’affirmait du reste Joseph Kabila au cours de sa prestation médiatique du 26 janvier 2018. « Mbusa Nyamuisi confond le Zaïre moribond du défunt Maréchal Mobutu à la RD Congo de Joseph Kabila. L’un était un Etat en fin de déclin, et l’autre est un Etat qui monte en puissance, et que nul ne peut s’aliéner sans y avoir réfléchi à deux fois », a confié à nos rédactions ce diplomate africain en poste à Kinshasa.
Extradé dans le cadre de la coopération judiciaire en RD Congo et la Tanzanie, John Tshibangu est, au moment où nous bouclons cette édition, sous bonne garde dans les locaux sécurisés des FARDC, assurent des sources à Kinshasa. Selon le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, un procès public attend l’officier supérieur qui sera sans doute poursuivi pour plusieurs chefs d’accusation. Notamment, désertion, organisation d’un mouvement insurrectionnel en vue de renverser un pouvoir légalement établi. Pas encourageant pour ce qui ressemblait à un embryon de la branche armée du cardinal Monsengwo.
J.N.